Histoire de la meilleure cuisine du monde

par NewsofMarseille
samedi 14 avril 2012

Pour vous distraire en ces temps éminemment politiques News of Marseille vous parle d’une autre assiette que celle de l’impôt, puisqu’on a décidé de vous conter la cuisine de chez nous. La France est réputée pour avoir la meilleure cuisine du monde, c’est un fait avéré (en France, du moins). Et Marseille est la plus belle ville de France, ce que personne ne conteste (à Marseille, du moins). Donc Marseille a la meilleure cuisine du monde, vous êtes toujours d’accord ? Bon, pour ménager les sensibilités on étendra cette distinction à la Provence entière, comme ça pas de jaloux, enfin sauf au nord de la Durance mais là on ne peut rien pour eux.

L’étude de la gastronomie de notre région au travers des âges réserve plus d’une surprise. Avez-vous déjà songé, par exemple, qu’un des ingrédients les plus incontournables de notre répertoire culinaire n’était apparu qu’au XVIème siècle ? Je parle bien sûr de la tomate, ramenée des Amériques lors de « l’échange colombien », cette rencontre de deux mondes qui apporta aux Européens la tomate, le poivron, le maïs (et accessoirement un bon paquet d’or) pendant qu’ils refilaient généreusement quelques pacotilles et la variole en cadeau bonus. Le commerce équitable avant l’heure, en somme. Alors y avait-il une vie avant la tomate ? Difficile à concevoir, n’est-ce pas ? Mais il y a pire : avant l’arrivée des Phocéens en -600, il n’y avait ni vignes ni oliviers par chez nous ! Les sources anciennes nous apprennent aussi que le chou était l’aliment le plus consommé dans la Provence médiévale. Par peur de ce que je pourrais découvrir j’ai donc fait le choix de ne pas remonter plus loin que l’Antiquité pour cet article. L’histoire de notre cuisine est à l’image d’un plat de lasagnes, fait de couches successives correspondant généralement à l’arrivée d’un nouveau peuple ou d’un nouvel ingrédient. Prenez l’aubergine : celle-ci n’était pas si répandue dans les recettes locales bien qu’elle existât, et c’est seulement avec l’arrivée massive d’une diaspora arménienne qu’elle prit la place de choix qu’on lui connaît aujourd’hui.

Jadis votre assiette reflétait votre appartenance sociale. Les études montrent que le paysan se nourrissait essentiellement de pain et de soupe dans laquelle il mijotait quelques légumes improbables : rave, panais, campanule, raiponce, etc. L’asperge revient régulièrement dans les récits d’époque, à la nuance près que le terme désignait alors toutes les jeunes pousses. La viande était un luxe, et inutile d’espérer remplir son assiette grâce à la chasse puisque le paysan devait s’acquitter d’une importante taxe seigneuriale pour obtenir un droit de chasse. Notre pauvre paysan pouvait alors se consoler en ramassant des escargots qui étaient extrêmement appréciés en Provence il y a quelques siècles, ce que note un certain Quiderand de Beaujeu selon qui les habitants se nourrissent avec « force gastéropodes en Camargue ». Quant aux citadins ils goûtaient à un certain confort culinaire puisqu’en plus des épices, du vin, du fromage, ils mangeaient régulièrement de la viande. Le seul hic c’est qu’on ne trouvait alors qu’une seule viande ou presque : le mouton. Allez savoir pourquoi, cet animal se déclinait sous toutes ses formes dans les assiettes provençales, l’étude des menus servis dans les réfectoires des universités ou des archevêchés entre le XIème et le XVème siècle montre une récurrence à vous dégoûter à vie du mouton. En 1784, le comte polonais Moszynski se vit proposer au cours du même repas pris dans une auberge d’Avignon, une soupe au bouilli de mouton, des côtelettes de mouton, du mouton bouilli, des pieds de mouton à la Sainte-Menehould, une tête de mouton au vinaigre, des queues de mouton grillées et une poitrine de mouton rôtie. Ce qui fit écrire au gentilhomme : « de sorte que, tout compte fait, j’ai eu à peu près un demi-mouton pour un dîner qu’il fallut payer neuf livres et dont les restes ont nourri encore trois domestiques » .

Un autre trait singulier de la cuisine provençale est son extrême diversité d’une ville à l’autre, d’une vallée à l’autre, et même d’un village à l’autre. Chacun possède sa propre recette pour à peu près chaque plat traditionnel, ce qui s’explique par la géographie de notre région. Le manque de routes, le terrain difficile et vallonné, la rusticité des moyens de transport et la forte sédentarité de la majorité des habitants ont contribué à un développement parallèle des différentes spécialités culinaires puisque chaque village vivait dans une relative autarcie dans les temps reculés. De même que les ingrédients spécifiques à un lieu ont rendu sa cuisine unique. L’huile d’olive était presque absente de la cuisine des Alpes provençales qui lui substituaient l’huile de noix, et on pourrait ainsi multiplier les exemples. Quant à la ville de Marseille il était bien normal que le poisson occupât une place de choix dans les estomacs, notamment à travers la fameuse bouillabaisse qui fut mise au point après que les croisés ramenèrent une épice persane, le safran qui donne sa couleur orange à l’ensemble.

Il ne faudrait surtout pas négliger la fonction sociale et même religieuse de la cuisine dans l’histoire de notre région. La légende veut par exemple que le calisson d’Aix ait redonné le sourire à Jeanne de Laval, la seconde épouse du Roy René, pas franchement heureuse de son mariage selon les témoins de l’époque. En même temps le brave René ressemblant plus à Guy Carlier qu’à Brad Pitt on pouvait comprendre la malheureuse ! Quant à la navette de Marseille rappelons que l’Archevêque lui-même procède chaque année à la bénédiction de la première fournée de navettes, biscuit impérissable fort utile aux marins de naguère et qui, toujours selon la légende, tiendrait sa forme de la traditionnelle barque de pêche marseillaise. Le Four des Navettes, fondé en 1781 tout près de l’Abbaye de Saint-Victor, est toujours là pour témoigner de la tradition ancestrale. Le classique repas de Noël en Provence s’appelait le Gros Souper et était constitué de sept plats de légumes et poissons suivis des treize desserts. Je tiens ici à réhabiliter ma regrettée grand-mère qui essuyait régulièrement les moqueries des convives pour sa tendance à ne jamais répéter la même liste d’un Noël sur l’autre et à y ajouter des desserts pas franchement traditionnels. Or l’on apprend en faisant quelques recherches qu’il n’existe aucune liste « officielle » des treize desserts qui ne furent jamais les mêmes d’une famille à l’autre en Provence. Et que dire de l’aïoli, plat à la fonction ô combien essentielle ! Les sources anciennes parlent souvent « d’aïolis monstres », terme désignant une sorte de banquet tenu sur une grande place en présence de nombreux convives qui se retrouvaient autour de ce plat constitué de légumes bouillis et de poisson accompagnés de la fameuse mayonnaise à l’ail qui a donné son nom à ce plat. Rien de tel qu’un aïoli monstre pour réconcilier tout le monde, comme à Avignon en 1968 où les artistes Jean Vilar et Maurice Béjart décidèrent d’organiser un aïoli géant, peut-être le plus important jamais tenu, pour apaiser les tensions après l’annulation du festival pour cause de troubles sociaux. A quand un aïoli monstre dans les quartiers Nord pour réunir jeunes de banlieue et policiers ?

Pierre SCHWEITZER

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