« Hôtel des deux mondes » Séjour cathartique au Schmitt - Rive Gauche
par Theothea.com
lundi 6 février 2017
Dix-sept années ont passé depuis qu’au tournant du siècle était créée, en salle Popesco du Théâtre Marigny, cette huitième pièce d’Eric-Emmanuel autour de l’ascenseur diabolique d’un petit motel désuet. Nous débutions notre chronique de l’époque ainsi :
« Ce pourrait être le purgatoire des âmes, mais c’est plus certainement l’antichambre de la destinée que cet hôtel des deux mondes, situé quelque part entre le haut et le bas comme un improbable refuge en état d’apesanteur.
Les corps flottent débarrassés de leur contingence pathologique permettant ainsi aux esprits de se réapproprier leurs capacités précédemment atrophiées par les aléas de la vie… »
Il est effectif que ce flottement scénographique éthéré nous revient désormais à la mémoire en même temps que le sifflet strident qui précédait chaque voyage en monte-charge vers cette alternative de l’au-delà ou de l’ici-bas.
Aujourd’hui, au Théâtre Rive Gauche cogéré par E-E. Schmitt, il apparaît aisément que la direction d’acteurs signée Anne Bourgeois prend le contre-pied de cette précédente mise en scène de Daniel Roussel, davantage abstraite et cérébrale.
Les huit comédiens, dont deux anges fort expressifs bien que muets, y jouent présentement d’une manière charnelle et, délibérément, « bien vivante ».
Ce parti pris a priori paradoxal, eu égard à cette création de l’an 2000, s’explique par la dimension avant tout humaine de ces personnages déboutés par la vie quel que soit leur retrait, temporaire ou définitif.
En effet, propulsés dans ce lieu « hospitalier » par un coma profond survenu à la suite d’une cause accidentelle ou pathologique, ces êtres, souvent hauts en couleur, vont tenter, durant cette parenthèse de temps plus ou moins brève, de (se) reconstruire un espace vital selon des variables d’ajustement collectif.
C’est ainsi que, par la parole échangée, argumentée, problématisée, les cinq protagonistes dépossédés du droit existentiel vont reprendre pied dans ce hall d’accueil face à une doctoresse (Odile Cohen) bienveillante mais se disant dénuée de tout pouvoir décisionnel vital.
Julien (Davy Sardou), le président Delbec (Jean-Jacques Moreau), Laura (Noémie Elbaz), Marie (Michèle Garcia), le mage Radjapur (Jean-Paul Farré), chacun ira de son couplet à connotation terre à terre, idéaliste, philosophique ou métaphysique bien que toujours menacé par le défaitisme ou le renoncement mais chacun, surtout, se construira une nouvelle armure, prêt à affronter objectivement la fatalité au nom d’une maxime basique mais ô combien performante :
« La confiance est une petite flamme qui n’éclaire rien, mais qui tient chaud ».
Et puis, chacun à son heure, appelé par la destinée et, donc en l’occurrence, par la fameuse Docteur S. (comme Schmitt), devra rejoindre le majestueux ascenseur à cage mordorée pour y être enfermé si possible paisiblement… afin de se soumettre aux lois mystérieuses du tirage au sort à titre personnel.
A cet instant, dans un délire addictif semblable à la musique des machines à sous de tous les casinos du monde, se déclenchera une procédure de recherche acoustique et visuelle aléatoire, du plus bel effet sur le public… se soldant, au bout d’un espace temps relatif, par le pouce levé ou baissé, en l’occurrence par une signalisation stroboscopique de l’ascenseur se dirigeant subjectivement vers le meilleur ou le pire.
Les jeux sont faits !… « Rien ne va plus ! »… et pour en finir avec la métaphore ludique… Rouge ou noir, pair ou impair, manque ou passe, chacun y aura ainsi trouvé son compte, sa perspective et sa fortune, heureuse ou moins, à la roulette de « l’Hôtel des deux mondes ».
photos 1 & 3 © Theothea.com
photo 2 © F. Rappeneau
HÔTEL DES DEUX MONDES - ***. Theothea.com - de Eric-Emmanuel Schmitt - mise en scène Anne Bourgeois - avec Davy SARDOU, Jean-Paul FARRE, Jean-Jacques MOREAU, Michèle GARCIA, Odile COHEN, Noémie ELBAZ, Günther VANSEVEREN & Roxane LE TEXIER - Théâtre Rive Gauche