« Il fait beau » : une pépite méconnue de la chanson française
par Fergus
lundi 15 août 2022
En cet été 2022 caractérisé par l’omniprésence du soleil sur les villes et les campagnes de France – avec des conséquences malheureusement dramatiques en termes d’incendies – revient en mémoire une chanson assez largement oubliée et totalement inconnue des jeunes générations : Il fait beau. Un petit chef d’œuvre de poésie et d’humour popularisé naguère par les Frères Jacques...
Il n’est pas facile de décrire en peu de mots l’ambiance d’une chaude journée d’été depuis l’aube naissante jusqu’au crépuscule finissant, en passant par les heures d’indolence qu’induit la chaleur du soleil lorsqu’il est au plus haut dans le ciel de la capitale. Donner à faire ressentir à l’écoute les impressions évolutives des Parisiens relevait même de la gageure artistique. C’est pourtant ce qu’ont réussi à faire, de bien belle manière, Guy Béart à la musique et Jacques Grello aux paroles en unissant leurs talents en 1975 pour créer cette charmante pépite, hélas ! trop méconnue du répertoire populaire : Il fait beau.
En quelques minutes, ce sont 24 heures de la météo estivale parisienne qui s’écoulent. C’est d’abord un constat matinal joyeux à la vue des premiers rayons qui surgissent du côté de Pantin : « Il fait beau ». Puis il faut se rendre à l’évidence dans la torpeur qui s’est progressivement installée et, entre autres effets, inhibe la colère de « l’ami Gaston » : « il fait chaud ». Les heures filant, le soleil se met à décliner : « il fait bon », constatent les concierges. Enfin, lorsque l’astre a disparu derrière Saint-Cloud, naît un soupir de satisfaction : « il fait doux », et l’espoir qu’il sera de retour le lendemain, « là-bas derrière Pantin ».
Beaucoup de poésie dans cette tranche de la vie parisienne si joliment mise en musique et si tendrement mise en mots. Mais également beaucoup d’humour comme savait en distiller l’habitué des caveaux de chansonniers Jacques Grello dont les textes satiriques ont ravi des générations de spectateurs. Enregistrée en format orchestral par Guy Béart (lien), ce n’est pas faire injure à ce grand nom de la chanson française d’affirmer que c’est au quatuor formé par les Frères Jacques que l’on doit la plus aboutie des versions d’Il fait beau, un chant à quatre voix, simplement souligné par le piano et la contrebasse : lien.
L’immense Georges Brassens a lui-même salué la qualité de cette chanson. Comment pouvait-il en aller autrement tant Il fait beau est porteuse de touches humoristiques et d’une poésie dont les plus belles images sont liées aux piafs de Paris « filochant ventre à ciel », et aux hirondelles faisant « une partie de saute-moucherons » ? Une rare vidéo montre un extrait de la chanson où l’on découvre en souriant notre bon moustachu fredonnant Il fait beau d’une voix et d’une mémoire mal assurées lors d’une émission de variétés, avec le concours du souffleur Guy Béart, sous l’œil ravi de Jacques Grello : lien.
Un grand merci à Guy Béart et à Jacques Grello, mais également aux Frères Jacques, de nous avoir offert cet excellent moment de musique populaire qui reste gravé dans les mémoires de nombreux « séniors » ! Voici les paroles d’Il fait beau :
Quand le soleil s'est levé là-bas derrière Pantin
Ça n'a été qu'un cri dans le petit matin :
"Il fait beau" !
Les oiseaux de Paris filochant ventre à ciel
Aux quatre coins d'la ville ont porté la nouvelle :
"Il fait beau".
De la Muette à Pigalle, on se l'est répété
Une bonne nouvelle ça vaut l'coup d'en parler :
"Il fait beau, il fait beau".
Et tout Paris bientôt fredonne obstinément
Ce refrain de trois mots monotone et charmant :
"Il fait beau", tout l'monde est content.
Puis le soleil joyeux montant un peu plus haut,
En fin de matinée y a quèqu' chose de nouveau :
Il fait chaud.
Ça s'aggrave d'heure en heure, bientôt nous étoufferons,
On a un p'tit peu d'air quand il passe un avion.
Il fait chaud.
Les femmes sont adorables, comment peuvent-elles ranger
Dans si peu de tissu tant de choses à toucher ?
Il fait chaud, il fait chaud.
Partout dans les bistrots on prépare les grands verres,
On a beau être content, on s'fait monter de la bière.
Il fait chaud, faut jamais s'en faire !
Délaissant avant l'heure son torride bureau
L'ami Gaston chez lui est rentré bien trop tôt,
Il fait chaud.
Il a trouvé sa femme seule avec un monsieur,
À part le drap du d'ssus, ils n'avaient rien sur eux,
Il fait chaud.
Gaston restait sans voix, sa femme ne disait rien,
Alors l'autre type a dit "y a qu'comme ça qu'on est bien"
Il fait chaud, il fait chaud.
"Vous croyez" ? dit Gaston, "Je peux vous l'affirmer".
Gaston s'est dévêtu et tout s'est arrangé.
Il fait chaud, on peut pas s'fâcher !
Puis enfin c'est le soir, assis d'vant leur maison,
Les concierges déclarent avec satisfaction :
"Il fait bon".
Dans le ciel assombri, les hirondelles font,
En poussant des p'tits cris, une partie d'saute-moucherons.
Il fait bon.
Puis le soleil pressé disparaît vers Saint -Cloud,
L’a l’tour du monde à faire, faut qu'il en mette un coup.
Il fait doux, il fait doux.
Il a pas d' temps à perdre s'il veut êt’ rev'nu d'main,
On compte sur lui d' bonne heure, là-bas derrière Pantin.
Il f'ra beau, il f'ra beau, Il f'ra beau
Ça nous plaira bien !
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