Inégalités

par Orélien Péréol
vendredi 10 juillet 2020

 

Contre cet aphorisme de Tahar Ben Jelloun : « La nature a créé des différences. L’homme en a fait des inégalités. »

On nait tous inégaux. On est tous inégaux. Toute différence est inégalité. Cette idée que les différences seraient indifférentes à la justice et que ce serait les hommes qui, mais pour quelle raison ?, les transformeraient en inégalité, en injustice me paraît fausse, inadéquate, ne pas parler de ce qui est vraiment, et perdre les gens. Cette idée fausse est séduisante parce qu’elle fait croire que les inégalités sont dans la main des hommes et qu’il suffirait que les hommes décident de cesser cette « alchimie » qui fait de différences positives des inégalités négatives pour que cela finisse par arriver. Cela fait croire à une possibilité de résoudre le mal dans le monde, puisque ce mal, dans cette idée, sort des hommes, qu’on sait comment, et que, sachant comment on peut organiser ce qu’il faut pour que cela cesse.

Or, les hommes posent des actes dans un monde qui contient du bien et du mal, le bien et le mal étant liés de mille façons indescriptibles. Les actes des hommes ont des résonnances dans cette division morale entre bien et mal, mais les actes des hommes n’ont pas la capacité de transformer un bien absolu (la différence) en un mal absolu (l’inégalité). Tout bouge tout le temps, le bien sort parfois du mal et le mal sort parfois du bien. Exceptionnels sont les actes qui ne sont que d’un côté, la plupart de nos actes contiennent du bien et du mal, comme le vin et l’eau ne peuvent plus se séparer.

Le dessin qui demande à des animaux différents de grimper à l’arbre montre que les différences sont des inégalités. Ce n’est pas le jury constitué d’une seule personne qui crée l’inégalité, l’inégalité est dans les différences comme le pépin dans le raisin.

C’est par le Droit que les hommes tentent de diminuer les dommages de ces inégalités et y arrivent plus ou moins, tout dépend des périodes, des pays, des religions, des idéologies, des mentalités... tout dépend de la richesse du pays, tout dépend des surplus que le pays peut dégager pour compenser les inégalités naturelles. On peut aussi ne pas chercher à compenser ces différences, comme le dessin qui critique l’école montre que si l’on valorise seulement certaines compétences (certains types d’intelligence), on pénalise ceux qui ne l’ont pas. Dans ce cas-là, l’homme « exploite » à fond les différences-inégalités.

La phrase de Tahar Ben Jelloun a l’air d’être faite pour le racisme. Les différences de couleurs de peaux sont des différences qui ne contiennent aucune inégalité. Et l’homme se base sur ces différences pour créer des inégalités. C’est en ce sens que l’aphorisme est sympathique et recueille une adhésion généralisée. On peut dire que limité à ce domaine, cela fonctionne à peu près. Sauf que rien n’indique qu’il soit écrit seulement pour le racisme. Et il vaudrait mieux formuler que les couleurs de peaux ne devraient pas être causes d’injustice.

Il y a deux causes des guerres : les ressemblances parce qu’alors il ne reste que la violence pour se distinguer. Voir certaines fratries célèbres : Abel et Caïn, Romulus et Remus… et la différence, alors là, la liste est longue. Les gros, les roux, les petits… ne sont pas aimés. L’Afrique est sujette à des tensions ethniques fort violentes parfois, et permanentes, qui sont des haines de type raciste et dont on ne parle pas, on ne voit le racisme qu’en blanc et noir.

Au lieu de promener et répéter cet aphorisme mignon mais peu pertinent : « La nature a créé des différences. L’homme en a fait des inégalités. » on pourrait réfléchir autrement que par ce slogan aux multiples questions de la différence et de la ressemblance, autant philosophiquement que de façon historique et géopolitique.


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