J’ai vu « Lincoln »

par fatizo
lundi 4 février 2013

Je suis allé voir Lincoln, et ayant souvent été déçu par le cinéma de Spielberg, c’est avec une petite réserve que je m’y suis rendu.

Tout d’abord, le film nous parle de quoi ?

Spielberg ne s’intéresse qu’aux derniers mois de la vie de celui qui fut le 16e président des États-Unis. La guerre de Sécession fait encore rage. L’Amérique est déchirée entre les esclavagistes du Sud et les abolitionnistes du Nord. Nous sommes au début de l’année 1865 et Lincoln vient d’être réélu en novembre 1864, mais il est pourtant un homme seul, conscient de devoir assumer des responsabilités qui ne pèsent que sur lui. Contre l’avis de tous ceux qui lui conseillent d’entretenir tranquillement sa popularité, il décide de lancer le combat pour l’adoption du 13e amendement, qui abolira l’esclavage.

Le combat s’annonce rude pour le Président réélu, la paix se profile et le 13e amendement n’a dès lors plus aucune chance de passer. L’Amérique veut la fin de la guerre bien plus que celle de l’esclavage. Le Président doit-il se préoccuper de la résolution du conflit présent ou envisager, seul, le destin du pays dans l’histoire de l’humanité ?

Abraham Lincoln de David Wark Griffith (1930) , avec Walter Huston

Lincoln est un film sur le courage politique. Mais il faut se préparer à aller voir le film, nous ne sommes pas dans une reconstitution de la Guerre de Sécession . Les seules images des champs de bataille, ce sont celles où Lincoln traverse lentement celui de la bataille de Petersburg, au milieu de centaines de cadavres. Images très fortes qui résument toute l’horreur de cette guerre fratricide.

Nous sommes ici plongé dans les réunions, les débats, les négociations entre clans opposés. C’est sérieux, assez technique même et pas forcément facile à suivre. Mais en montrant Lincoln à l’oeuvre, de la manière la plus concrète qui soit, Spielberg montre le génie politique à travers une leçon de gouvernance qui peut trouver toutes sortes de résonances aujourd’hui. C’est à une sorte de réinvention de la politique qu’on assiste. Lincoln trace une voie qui s’écarte des pratiques communément admises et partagées. Pragmatique et idéaliste, il grappille des voix au nom d’une grande idée, la dignité humaine . C’est un film sur le courage politique et sur les choix qui changent le cours de l’Histoire.

On apprend également en visionant ce film que les républicains de l’époque étaient plutôt les démocrates d’aujourd’hui et réciproquement.

Abraham Lincoln de John Cromwell (1940)

 Mais au delà du côté historique, c’est la complexité du personnage de Lincoln qui nous fascine et nous fait tenir en haleine jusqu’à la fin du film.

En effet, Spielberg nous montre en Lincoln un politicien qui pour arriver à ses fins n’hésite pas à mentir, à truquer, à corrompre, à soudoyer afin d’obtenir la signature de son fameux 13eme Amendement, bref un Lincoln pour qui la fin justifie tous les moyens.

Le réalisateur américain en a enfin terminé avec le manichéisme qu’on lui a si souvent reproché à juste titre . Ses personnages sont devenus beaucoup plus complexes, avec une part de lumière et une part d’ombre.

Spielberg nous montre aussi l’humour d’un président manipulateur.

Vers sa destinée de John Ford (1939), avec Henry Fonda.

Il y a également les grands moment du film comme cette scène extrêmement poignante ou Lincoln s’affronte avec sa femme.

Cet autre épisode ou il évoque un axiome du mathématicien de la Grèce antique Euclide : deux choses qui sont égales à une même chose sont égales entre elles. « Tout commence par l’égalité », dit Lincoln.

Enfin, Spielberg offre une émouvante dernière séquence au républicain Taddeus Stevens, magnifiquement campé par Tommy Lee Jones. Un homme qui finalement est bien plus progressiste que Lincoln mais qui sut sacrifier sa conviction profonde avec intelligence. On comprend mieux la force de son engagement dans la magnifique séquence où il retrouve sa compagne noire, et lui fait lire à voix haute, dans l’intimité de leur chambre le texte du 13e amendement.

Le film par ailleurs, comme on peut le remarquer plus généralement au vu des meilleures productions américaines, est un concentré d’idéologie ayant l’art, tout en divertissant, de poser des questions fondamentales complexes.

On est loin de la guimauve idéaliste dans laquelle nous a parfois emmené Steven Spielberg.

Ce film révèle de multiples joyaux. C’est un hymne à la démocratie et à la politique. Magnifique de bout en bout, subtil, pédagogique, ce monument est transcendé par les acteurs, tous excellents. Mention spétial tout de même à Daniel D. Lewis et Tommy Lee Jones qui sont tous deux au sommet de leur carrière.

Le réalisateur américain vient de réaliser un de ses films les plus passionnants.

Un grand Spielberg à ne pas rater.


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