« Je l’aimais » d’Anna Gavalda théâtralisé par Patrice Lecomte
par Theothea.com
lundi 8 février 2010
Si, à ces qualités humaines et artistiques, s’ajoutent la plénitude rustique d’un décor de villégiature (Yvan Maussion), la mélancolie d’un leitmotiv musical (Ours et Lieutenant Nicholson) et la sensualité discrète des lumières de Franck Thévenon, alors au moment du tomber du rideau, dans ce temps du rêve éveillé où la conscience reste sous le charme d’une représentation réussie au plus fort des sentiments, l’interrogation finale poursuit insidieusement son cheminement métaphysique : « L’homme est-il doué pour le bonheur ? ».
Quelques instants auparavant, Chloé aura, à son tour, conclut laconique : « Alors, l’amour est une connerie ! »
Pierre, lui, comme à son habitude, sera resté en suspend, entre deux eaux, celle du tourment délicieux d’une part, celle de la destinée, imparable d’autre part.
« Je l’aimais », c’est l’histoire d’un homme qui cherche à réconforter sa belle-fille, abandonnée lâchement par le propre fils du beau-père, qu’il assume être.
Toutefois, son expérience de la vie l’empêche de condamner sa progéniture ; tout au plus consent-il à admettre que d’un mal devrait sortir un mieux, c’est-à-dire une nouvelle chance offerte par l’existence.
A l’appui de son état d’esprit pragmatique, le récit du dilemme qui l’a submergé lorsqu’il a du, lui-même, choisir entre l’affection pour l’épouse et les enfants, confrontée à la passion amoureuse pour Mathilde, rencontrée fortuitement.
Aujourd’hui, à soixante ans, revenu des illusions qu’il continue paradoxalement de chérir, Pierre tente, avec tact mais force boissons alcoolisées, de relativiser la détresse morale de Chloé, qui aurait tendance à s’apitoyer sur son sort.
Sur le plateau du théâtre de l’Atelier, jonglant avec dextérité entre le contingent et le virtuel, Gérard Darmon s’offre, à coeur ouvert, au simulacre de l’émotion palpable.
Son rôle de conteur transporte ses deux partenaires, au royaume de l’infinité des possibles où la part féminine de chacun d’entre eux atterrit avec persuasion délicate, au plus profond de l’âme du lecteur Gavaldien, spectateur d’un soir, subjugué.
Alors, le jaillissement des applaudissements s’adresse, au-delà des voix scéniques, à la romancière qui aura su déceler, derrière les ressorts de la psychologie, ces forces souterraines qui submergent la condition humaine se débattant, maladroitement, avec ce qui s’appellerait « l’Amour », faute de mieux.
« On ne pas avoir tout bon, tout le temps » explique Pierre à Chloé, puisque, en définitive, Mathilde n’est pas revenue !... Certes, mais « Avoir tout bon, ici et maintenant » au Théâtre de l’Atelier avec « Je l’aimais », c’est, bel et bien, le retour intense d’une intuition de la vie.