Je n’ai pas le coeur à le dire...
par rosemar
mercredi 28 août 2019
Le temps qui passe irrémédiablement a inspiré tant de poètes célèbres, depuis Ronsard jusqu'à Baudelaire...
Une chanson de Jean Ferrat reprend ce thème traditionnel, avec simplicité, déchirement et pudeur..."On ne voit pas le temps passer", c'est bien, là, une constatation que chacun de nous a pu faire.
La chanson s'ouvre sur l'évocation d'un mariage à "vingt ans", la naissance immédiate des enfants, le temps occupé qui dévore la vie, des activités quotidiennes que tout le monde connaît : "les courses, la vaisselle, le ménage, le déjeuner", l'énumération venant souligner la monotonie uniforme de la vie.
Le pronom indéfini "on", employé dans ce début de poème, permet de donner une valeur générale au texte.
Emporté par ce tourbillon, on ne voit même plus le monde extérieur, les soucis personnels empêchent d'observer tout le reste, impression que chacun de nous a pu éprouver... Le monde assimilé, dans une belle image, à un oiseau blessé devient pour nous invisible...
"Le monde peut battre de l'aile
On n'a pas le temps d'y penser."
Avec cet emploi de la négation, le temps semble nous échapper inexorablement...
Le refrain fait intervenir des questions contrastées : "Faut-il pleurer, faut-il en rire, Fait-elle envie ou bien pitié ?" Mais, le poète se contente de prononcer ces mots : "Je n'ai pas le coeur à le dire", comme si la réponse était évidente, mais aussi douloureuse et difficile à exprimer.
On perçoit, ainsi, comme souvent, dans les chansons de Ferrat, une forme de pudeur dans l'expression des idées.
On remarque l'emploi de la première personne qui souligne un commentaire du poète, plein de retenue.
On peut noter l'utilisation du pronom "elle" dans ce refrain : la femme semble plus particulièrement concernée par ce temps qui passe et qui l'écrase de contraintes, de tâches de toutes sortes...
L'évocation de la vie quotidienne qui suit montre, à la fois, le bonheur et le côté dérisoire de ces activités, des tableaux familiers, empreints de simplicité sont suggérés...
"Une odeur de café qui fume
Et voilà tout son univers
Les enfants jouent, le mari fume."
Le temps semble, aussi, s'inverser, comme le montre l'expression : "Les jours s'écoulent à l'envers..." Un raccourci saisissant souligne la fuite du temps :
"A peine voit-on ses enfants naître
Qu'il faut déjà les embrasser..."
Le départ des enfants est, ici, simplement suggéré, avec émotion, par cette expression, "il faut les embrasser..."
Une phrase restitue le temps qui s'écoule en mêlant des activités quotidiennes à l'idée d'une jeunesse enfuie :
"Et l'on n'étend plus aux fenêtres
Qu'une jeunesse à repasser..."
Le couplet suivant revient sur le destin de la femme vouée, le "dimanche", au repassage de "costumes", à des "fleurs" qui peuvent décorer la maison.
On voit, aussi, un univers limité et réduit qui est celui de la plupart des gens simples : un monde qui se réduit à "une table et une armoire"...
Comparés à un "marteau et une enclume", ces éléments du mobilier deviennent l'image même de l'enfermement, d'autant que la vie se résume à "des millions de pas dérisoires" entre l'un et l'autre.
Cette chanson constituée d'octosyllabes restitue le balancement régulier des jours qui se déroulent de manière immuable.
La mélodie à la guitare oscille entre tendresse et mélancolie... La simplicité des mots utilisés et des images nous touche : Ferrat sait nous décrire le quotidien et nous émouvoir par un texte plein d'une verité que nous avons tous pu éprouver...
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2015/05/je-n-ai-pas-le-coeur-a-le-dire.html
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