« Je suis une légende » : un film coupé en d(i)eux !
par Vincent Delaury
jeudi 3 janvier 2008
Je suis une légende ! Mais non, je ne vous parle pas de... moi mais du film américain éponyme avec Will Smith, ex-Prince de Bel Air, jouant un savant de haut niveau et de réputation mondiale (Robert Neville) devenu, suite aux ravages d’un terrifiant virus d’origine humaine, le dernier des hommes sur Terre luttant sans merci contre une horde sauvage d’Infectés, mi-vampires mi-zombies, rôdant dans les ténèbres d’un New York en ruines. Autant le dire tout de suite : pas la peine de crier au loup pour ce film, mais pas la peine non plus de crier au génie, loin de là ! Ok, ce blockbuster américain signé Francis Lawrence, passant de Constantine à Babylone (!), n’est pas trop con. Ce n’est pas un " blockbuster sans cervelle " façon Michael Bay et autres tâcherons hollywoodiens, mais de là à lui dérouler le tapis rouge, mazette, faut peut-être pas déconner non plus !
Pourtant, au départ, on y croyait. Remplacer Los Angeles (ville en question dans le bouquin SF culte (1954) de Richard Matheson - L’Homme qui rétrécit, Les Seins de glace, Duel...) par New York, c’est plutôt bien vu d’autant plus que la Grosse Pomme désertée est plus impressionnante à voir que "la Cité des Anges" sans un chat - y a pas grand monde dans le quartier hyper-huppé "nine stairs" de Beverly Hills par exemple ! On pense aussi bien sûr, face à ce New York atomisé et au déplacement de populations métissées (grosse armada style véhicules militaires, hélicoptères, gardes nationaux, plongeurs, garde-côtes et tout le toutim sur le pont crépusculaire de Brooklyn) au syndrome post-11-Septembre qui hante l’Amérique d’aujourd’hui. D’ailleurs, dans le film, Robert Neville nomme Ground Zero son New York sauvage fait de bitume craquelé et de terrains vagues. En outre, cerise sur le gâteau, last but not least, voir que le dernier survivant sur Terre, et notamment aux States, est un... Black (Will Smith l’incarne), ce n’est pas anodin non plus, surtout à l’heure post-Bush où un homme politique actuel (Barack Obama) est en passe, peut-être, de devenir, face à la "Wasp XXL" Hillary Clinton, le premier président noir des Etats-Unis. Façon Martin Luther King, on peut toujours rêver !
Donc, au départ, ce film nous est plutôt sympathique (en diable) d’autant plus quand un musicien métissé ô combien célèbre (Bob Marley Superstar) fait figure de Messie cool, style United Colors of United $tates, pour guider l’humanité tout entière, fourvoyée dans la science sans conscience (n’est que ruine de l’Ame... rique) et les profondeurs insoupçonnées de la nature humaine. No (wo)man no cry, sun is shining, yo ! Bob, c’est aux yeux du Robert Neville de ce film-reggae man une référence-révérence suprême. Pourquoi pas. Et ainsi, on aurait souhaité un film risqué et intelligent de bout en bout, chassant loin des sentiers battus. Mais toute la fin du film vient foirer la portée métaphysique de cet objet filmé oscillant très bien, au départ, entre blockbuster sidérant (des vues mordorées hallucinantes, éclairées façon Le Lorrain (1600-1682), d’un New York post-apocalyptique et fantomatique attiré par les bouches d’ombre où sont tapies les Créatures nocturnes maouss kostos) et film expérimental - une espèce de huis clos angoissant fait d’un Man in Black classieux (il a quand même chez lui du Van Gogh, du Keith Haring, du Rothko ainsi que des objets d’art nord-africains et asiatiques - la classe !), d’un gros berger allemand au poil, de zombies sous LSD puissance 1 000 et de courses poursuites zarbies au cerf dans Times Square sur fond de Fast and (very) Furious ! On suit.
Le film prend son temps et travaille magnifiquement notre peur (primale) de spectateurs par le hors-champ sonore et visuel, profondément suggestif (cf. Neville blotti avec son chien dans la baignoire et entendant, au loin, les goules hurlantes des zombies lobotomisés). Je suis une légende : ce film-jeu vidéo, comme Land of the Dead, Les Fils de l’homme, La Guerre des mondes ou encore 28 semaines plus tard, pose des questions intelligentes. On a vraiment l’impression que le Robert Neville 2007 s’est maté non-stop, on TV, davantage Tom Hanks robinsonné à souhait dans Seul au monde de Bob Zemeckis que le Géant Vert labellisé Shreck. Chouette ! C’est plus un ballon nommé « Wilson » qui tient compagnie à notre brave Neville, voiture-balai loin d’être neu-neu ramassant boîtes de conserve, sacs de nourriture, CD, DVD, Time Magazine et bacon à gogo, ici c’est un bon gros toutou qui ne manque pas de chien et des mannequins canon, limites chiennes, qui squattent ad libitum un vidéo-club sur mode Silent Hill. On se demande par exemple lorsqu’on voit Will tenir tête à des zombies déchaînés en se barricadant chez lui : où est la normalité ? Qu’est-ce qu’une minorité ? L’homme est-il un loup pour l’homme ? Bob Marley est-il notre Sauveur ? Suis-je moi-même une légende comme Bob Neville, le super soldat super scientifique super balaise sous stéroïdes ? I Will Survive de Gloria Gaynor est-il le meilleur tube disco-philosophique du monde ? L’homme seul peut-il trouver une raison de continuer à exister ? Où trouver l’espoir et l’envie de vivre ? L’envie d’avoir envie à la Johnny ? Quand tu rencontres une jolie fille après trois ans de désert old school de vieux gars, faut-il prendre une douche ou simplement changer tes fringues ? Toutes ces questions-là, et davantage encore, sont pas mal posées dans un film étrangement... posé pour un blockbuster américain à 150 millions de dollars passé, comme on le sait, entre les mains de tâcherons comme Schwarzy, (e)Bay & con-sorts.
Puis, vers les 2/3 du film, ça se gâte : une fille, joliment métissée (de type latino), vient convoquer Dieu et tout le toutim. Quand elle réfléchit dans le labo aux Créatures de l’ombre et à leurs méfaits, elle déclare, très habitée : "Comment Dieu laisse-t-il faire tout ça ?" Et Will Smith de répondre tout de go - "C’est nous qui avons fait tout ça, laisse Dieu en dehors de ça". Dont act. Pourtant, à la fin du film nous laissant quelque peu, hélas, sur notre faim de loup (?), Neville se fait sauter le caisson à Plexiglas à la grenade dans un acte sacrificiel à la Léon - va comprendre ! Il devient alors, dans une lumière divine immaculée, le nouveau Jésus-Christ Superstar des temps modernes interstellaires. Fondu au noir pour du 100 % blanc. Et, je vous le demande, où se réfugie notre dernière survivante et son fiston (famille, je vous aime) à la fin ? Eh bien dans une ville-lotissement américaine, véritable forteresse surveillée par des militaires surarmés en treillis (hé les mecs ! Pas besoin de vos tenues camouflage façon Warhol/Che Guevarra, les zombies de l’ombre ne distinguent pas les couleurs !), et ville sécurisée sous vidéosurveillance tous azimuts où l’on distingue sans mal, comme totems, un clocher d’église plus catholique que cathodique et le drapeau de la bannière étoilée. Alléluia ! La messe est dite ! Black à part, vive le monde sauvé par l’Amérique... blanche comme neige. Amen !
Ouais, dommage que ce film soit littéralement coupé en deux sans être complètement assumé à l’instar d’un Tropical Malady, des Chansons d’amour ou du pop Boulevard de la mort. Autant ses perspectives infinies (ouvrant sur une Amérique fantôme devant se retrouver via un less is more existentiel loin du consumérisme dysneylandisé asphyxiant) sont loin d’être des impasses, autant ses bondieuseries finales nous laissent sans voix tant les voies du Seigneur nous restent impénétrables et nous laissent, in fine, de marbre ! I Am Legend est un film vampirisé par sa morale scout finale - ouais, dommage que ce film n’ait pas été davantage vacciné (!) contre le virus du tout-sécuritaire et contre les béni-oui-oui d’un prêchi-prêcha mystico-lacrymal loin du désenchantement originel de l’oeuvre complexe de Richard Matheson. Il fallait davantage choisir entre le minimalisme zen et le maximalisme kitsch, ou alors faire un film-collage poétique manifeste affichant plus nettement ses grands écarts, ses césures. Mon Capitaine, sans toute cette soupe à la grimace messianique, Je suis une légende aurait pu faire du 4 étoiles. Bon, on peut tout de même décerner 2 étoiles à cet objet filmique qui, sans être une panouille amerloque, ne parviendra certainement pas, pour autant, à devenir une légende du septième art. Well well well, Will, le fucking masterpiece de tes rêves, ce sera pour une autre fois et please, développe un peu plus ton jeu minimal d’ I, Robot, my man, sinon tu vas finir par nous endormir ad vitam aeternam !