Jean Fauque, le jongleur immobile
par Sandro Ferretti
mercredi 1er avril 2009
C’est un discret, un taiseux dont les mots torturés sur la feuille blanche passent ensuite dans la bouche des chanteurs. Et ça fait du bruit. Jongleur de mots pendant 20 ans pour Alain Bashung , dont il était l’ami et le "demi-frère" depuis 1975, Jean Fauque est un taiseux brillant. Le plus grand parolier français vivant. A 58 ans, il est arrivé au bout d’un voyage intime qui lui a fait crever le miroir , en produisant son premier album, "13 aurores", dont il est l’auteur- compositeur- interprète. Pas un faiseur, un diseur, un chanteur-parleur. Qui nous emmène dans son voyage immobile.
"Chanter, c’est lancer des balles", disait Souchon. "Derrière une vitre, pour pas qu’une petite nous quitte, ou pour que la vie passe plus vite". Et derrière la vitre, il y a le parolier, sorte de sous-marin qui doit déclencher des remous dans la tête des gens. Et ne pas s’aimer trop fort, car hormis pour la SACEM, on ne saura -presque -rien de lui.
Jean Fauque faisait ce métier. Depuis longtemps. Il le faisait brillement, pour Jacques Dutronc, pour Hallyday, Guesh Patti, Vanessa Paradis. Et puis, bien sur, pour Alain Bashung. En exclusivité et à plein temps, de 1989 (Album "Novice") à 2002 ("L’imprudence"). En passant par Osez Joséphine, Chatterton, Fantaisie Militaire.
Fils de militaire, pied-noir, Fauque écrit dès 10 ans, quand il rentre en France. Il rencontre Bashung en 1975 et lui écrit 10 chansons, qui resteront dans les tiroirs. Mais c’est le début d’une longue amitié avec "un demi-frère de noirceur". Il sera régisseur des tournées d’Alain lorsque le succès viendra. Puis, en 89, quand Boris Bergman (le parolier d’Alain depuis 10 ans) est éconduit, Bashung se tourne vers son ami, le parrain de son fils Arthur. Et ce sera -comme par hasard- l’ascension de Bashung vers la maturité, le mystère et la qualité.
Le jongleur de mots
Dans son écriture à quatre mains avec Alain Bashung (la plupart du temps chacun de son coté, comparant leur travail à la fin dans des séances de "collages" interminables), Fauque a du épouser la noirceur d’Alain, mais aussi sa fulgurance. La recherche de l’élégance, de l’onirisme, du sens, mais aussi de l’humour décalé.
La plupart des textes ont plusieurs niveaux de lecture, que chacun peut choisir. Par exemple, dans "Osez Joséphine", on peut prendre " à l’arrière des Dauphine, je suis le roi des scélérats à qui sourit la vie. Marcher sur l’eau, éviter les péages, jamais souffrir, juste faire hennir les chevaux du plaisir" au premier degré automobile. Comme, naturellement, du libertin jouissant des faveurs d’une "Dauphine" moyenâgeuse…
Il a beaucoup soigné les allitérations et les associations d’idées :
"Je passe de sas en sas
Les ombres s’échinent à me chercher des noises"
Ou bien encore :
"Que m’enseigne encore ce néon
Rien qui me fasse réfléchir
Au-delà des allo
On se perd au téléphone
Et du reste on n’en a cure".
Il est aussi l’auteur de petites pépites comme :
"Les calculs mentholés
Dans ta bouche ça piquait
J’ai pas compté, j’escomptais
Mais une erreur de taille s’est glissée
Et j’y suis resté"
Ou
"Epaves et pavés
Sont fait pour se rencontrer
Puis se perdre en retrouvailles"
"Ma vie sous verre
S’avère
Ebréchée"
"Rêves et ravins
Règlent nos moulins
Calent nos chagrins
Le temps écrit sa musique
Sur des portées disparues
Et l’orchestre aura beau faire pénitence
Un jour j’irai vers l’irréel
Tester le matériel
Y seras-tu ?"
Sur son travail, il indique : "lorsqu’on écrit sur un sujet grave, il faut le casser, avec de l’humour. Et c’est là qu’intervient le jeu de mots, pour dédramatiser la situation. La parole, c’est la pensée, c’est aussi le social. Et à partir du moment on la détruit, où l’on envoie un boule de bowling dans le jeu de quilles des mots, on détruit le jeu social, on casse cette comédie humaine. C’est le rôle de l’humour, qui est l’arme des désespérés."
Pour son dernier album, Bleu pétrole, Bashung lui avait rendu sa liberté, et fait des infidélités avec Gaétan Roussel et Joseph d’Anvers. Toujours amis, ils devaient travailler de nouveau ensemble sur un album en 2010, mais le crabe ne l’a pas voulu. Dans une dernière Fantaisie Militaire, Bashung, le soldat sans joie, a déguerpi dans la 13 eme Division du Père Lachaise.
Le vrai du Fauque
Dès lors, c’est à Jean Fauque, le "gardien du temple", le dernier rescapé du canal historique bashungien , de porter le flambeau sur scène. Avec 13 aurores, treize chansons d’alcôves, mi-chantées, mi-chuchotées, mi-racontées. Jean Fauque n’aime pas faire de bruit. C’est un artisan du voyage immobile. A 58 ans, il est arrivé au bout de son voyage au pays de la page blanche. Il a crevé le miroir, et est passé de l’autre coté.
En tournée dans toute la France depuis Novembre 2008, il était toute la semaine dernière au China à Paris. Dans la salle le premier soir, Arthur Bashung. La voix cassée, Fauque a chanté "la nuit, je mens" et "mes bras connaissent" , en hommage à Alain.
Puis , avec ses petites lunettes d’intello ( lui qui n’en est pas un), il a continué à égrener les chansons de sa petite boutique à lui.
"Ma jonque est jaune, jaune jonquille, à faire rougir l’automne".
Gros fumeur lui aussi, Fauque a terminé le spectacle avec cette chanson ironique :
"Soyez soyeuse,
Prière de ne pas fumer
Mourrez amoureuse
Prière de se consumer".
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NB : -Crédit photo : Stéphane de Bourgies
-Jean Fauque, "13 aurores", chez EMI 2008.