Jours d’orage, Hubert-Félix Thiéfaine
par norbert gabriel
jeudi 8 mars 2012
Hubert-Félix Thiéfaine « Jours d'orage » Fayard
A une époque où l'étiquette Rock est souvent collée sur des ersatz très surfaits, il est bon de remettre les choses en perspective, et à leur juste place.
Le rock est né du mal-être des musiciens noirs américains, de leur blues, et de leur subversion cachée sous leurs musiques et leur langage codé, façon Cab Calloway, un des premiers à musiquer une subversion narquoise en se jouant de la belle société « white and people qui venait s'encanailler au Cotton Club et qui ne comprenait pas les jeux de mots de l'argot des noirs américains
Ensuite, ce fut l'emballement d'une jeunesse américaine qui a trouvé dans cette musique sommaire et violente un exutoire à son envie de jouir de la belle american way of life, et parfois de hurler ses rebellions. L'idole emblématique s'est incarnée avec un jeune crooner du Sud qui a transformé le mouvement musical rageur en show de postures plus ou moins provoc, mais en costume à paillettes , puis en marchandisation à outrance.
Un homme de radio, Alan Fredd fut le premier à utiliser l'expression rock'n'roll en 1951 , sans savoir que ce terme d'argot des noirs allait devenir un genre musical qui allait marquer le siècle ; c'est quand Bill Haley immortalise 'Graine de violence' et qu'Elvis prend le relais et que le rock explose, parce que ce sont des blancs qui le jouent. Avant les musiciens noirs qui faisaient cette musique n'étaient que des représentants d'un genre folklorique mineur, pour minorité ethnique en quelque sorte. (les disques Racial records)
Little Richard, Big Joe Turner et quelques autres, précurseurs étaient noirs, ils faisaient du rock and roll sans le savoir, mais Elvis, et surtout son manager, le colonel Parker ont vite compris comment exploiter le filon avec un merchandising intensif qui a fait du rock un produit commercial hautement côté à la bourse du showbizz.
Un des critères pour savoir qui fait de la musique et qui fait du bizness, c'est l'analyse des revenus des « artistes » quand les ventes de produits dérivés priment sur les droits et royalties, on n'est plus tellement dans la musique, mais dans le commerce d'accessoires et de gadgets.
On verra donc un peu partout des clones d'Elvis, qui se font une rock and roll attitude artificielle, avec une pseudo biographie américanisée que les médias relayent sans trop de déontologie.
Ce sont les anglais qui vont faire du rock une vraie musique de subversion et de transgression, quand Presley n'est plus qu'un produit bien exploité et formaté king des teen agers.
Néanmoins, les USA ont aussi des géants de la création, comme « The Doors » qui vont atteindre des sommets, et pour la France, le seul artiste dans la lignée des créateurs du blues, père du rock, est Hubert Félix Thiéfaine.
On mettra au rang des épiphénomènes plus ou moins anecdotiques ceux qui n'ont retenu du rock que les santiags, les oripeaux à paillettes, et la guitare qu'on essaie devant un miroir pour voir si elle s'accorde avec le costume.. En ce qui concerne le son, c'est pas la priorité pour les deux accords sommaires et les qualités médiocres d'instrumentistes de la plupart des idoles des jeunes, t'as le look, coco, le reste c'est très secondaire. Et pour les paroles... le french yaourt est en promotion permanente.
Donc pour avoir une idée de ce que peut être le rock dans une approche supérieure, de la musique et des paroles, il faut lire la biographie d'Hubert-Félix Thiéfaine. Après avoir écouté ses albums.
« Jours d'orages » C'est une édition augmentée de 100 pages environ depuis la première édition de 2005. Un travail biographique fouillé, né d'une suite de rencontres entre Jean Théfaine, et Hubert Félix Thiéfaine , comme une longue discussion-analyse riche et documentée.
C'est une vie pleine de turbulences de « jours d'orage » qui génèrent quelques albums d'anthologie, nourris de textes fulgurants, de somptueuses harmonies, d'une quête permanente de l'absolu, sans concessions aux modes et aux effets artificiels, pas de frime, pas pipolade ni de « une » dans voicigala, d'ailleurs, c'est dans une totale absence dans les médias que Thiéfaine a fait sa vie d'artiste.
Par chance, des auditeurs de France Inter, et lecteurs de « Paroles et musiques » ont eu le privilège de découvrir Thiéfaine assez tôt, 1979-80, époque « Autorisation de délirer » ensuite « Soleil cherche futur » et « les dingues et les paumés » ont été au top de nos play list familiales de 12 à 40 ans à l'époque. Et ça a continué jusqu'à « la tentation du bonheur » et la suite...
H-F Thiéfaine est le champion incontesté des non-invités à la télé, même quand on remplit un Bercy, silence écran, hormis Monique Le Marcis de RTL et Foulquier-Villers-Artur sur Inter, il fait sa carrière sans médias ni relais presse. Et exception dans ce monde très segmenté de la chanson des années 2000, il est peut-être le seul à avoir un public qui se renouvelle constamment.
Sa vie d'homme et sa vie d'artiste ont été traversées de nombreux jours d'orages, évoqués ou racontés avec pudeur et précision à la fois. Les doutes, les angoisses, l'incertitude, et tout ce qui peut soigner ces maux composent un chemin de vie apparemment cahotique mais finalement cohérent, si on considère le bilan musical
Cette biographie de Jean Théfaine est un modèle du genre, par sa documentation fouillée sans être indigeste, par les témoignages sans voyeurisme des compagnons de route, par la qualité du texte, ça chante entre les lignes, leçon de vie, leçon de musique, les convulsions de la création, tout ça donne des tableaux de ciels tourmentés, de mouvements d'opéra sauvage où les dingues et les paumés trouvent parfois le chemin d'un paradis provisoire, juste avant l'enfer ? un soleil qui cherche toujours un futur, sur les pas d'Abdallah Geronimo Cohen,
« ...Je ne vais tout de même pas te raconter comment et pourquoi j'écris des chansons, non ? C'est comme ça !
Ma main sur le clavier de mon piano est reliée à un fil et ça marche. Je suis "dicté"
J'ai un magnétophone dans le désespoir qui me ronge et qui tourne et qui tourne et qui n'arrête pas .. »
On ne saurait mieux dire, n'est-ce pas Léo ? (extrait de et basta !)
N'empêche, dans ses désespérances et ses colères salutaires, HF Thiéfaine est un des ces artistes majeurs, et si les citoyens lambda ont une chance d'entrevoir ce qu'est la vie d'artiste, on peut trouver une piste dans ces lignes :
« ...Un artiste qui ne provoque pas, c'est un bourgeois. La création ne peut passer que par la provocation. Mais ça implique qu'on se remette en question soi-même de façon quotidienne. Pour ça il ne faut pas avoir peur d'en prendre plein la gueule et d'aller parfois jusqu'à l'autodestruction. » (Extrait du petit lexique thiéfainien à l'usage des mal-comprenants)
Je laisse la conclusion à Francis Vernhet, (photographe de spectacle et de Chorus) qui résume bien ce qui se dégage de l'oeuvre de Thiéfaine, et du livre du Jean Théfaine :
« … Thiéfaine me rend plutôt optimiste sur la force vitale qui peut animer les êtres. C'est quelqu'un, même quand il avait une vision de la vie passablement noire, qui a continué à avancer. Comme tout le monde, sans doute un peu plus que tout le monde, il a encore des coups de blues, mais ça ne l'empêche pas de créer et de vivre. »
« Jours d'orage » par Jean Théfaine, chez Fayard
Norbert Gabriel
pour plus d'infos sur le rock, une fiche synthétique assez complète