« Kiko and the Lavender Moon »

par Fergus
lundi 2 septembre 2019

Avec ce titre, présent sur le superbe album « Kiko » de 1992, le groupe de musiciens latinos de Los Angeles Los Lobos a incontestablement signé l’une de ses plus belles réussites. « Kiko and the Lavender Moon » est une chanson atypique à bien des égards, tant par l’atmosphère étrange qu’induit son écriture que par le profil de son héros nocturne. Une œuvre étonnante qui, près de 30 ans plus tard, n’a rien perdu de son charme envoûtant…

Kiko dort jusqu’au moment où le Soleil se couche et laisse sa place à la Lune de lavande. Ce curieux personnage n’est inspiré que par l’atmosphère étrange qui naît de la lueur ténue mais troublante du satellite. Et ça le rend joyeux. Et ça le rend espiègle. Et ça le rend poète. Alors, Kiko fait des blagues, et même des grimaces au Diable déguisé en chat noir. C’est qu’il est joueur, Kiko. Alors, il joue et joue encore, jusqu’au moment où il sombre dans le sommeil. Kiko aime également voler et faire des acrobaties sans reprendre son souffle. Il se tient même en équilibre sur un seul pied au sommet d’un mur. L’équilibre du danseur. Alors, il danse et danse encore. Et quand il ne joue pas, et quand il ne danse pas, alors Kiko se met à genoux, comme s’il était en prière, et il rêve et rêve encore, jusqu’au moment où il sombre dans le sommeil. Puis la Lune disparaît tandis que Kiko s’est endormi. Demain sera une autre nuit, et Kiko réveillé jouera et jouera encore, et Kiko réveillé dansera et dansera encore, et Kiko réveillé rêvera et rêvera encore sous la lueur troublante de la Lune de lavande.

En un mot, il est « libre », Kiko. Plus libre qu’aucun de nous ne le sera jamais. Et totalement maître de son destin de personnage évanescent qui ne prend forme qu’après le crépuscule pour s’évanouir avant l’aurore. Est-ce ce message de « liberté » qu’ont voulu faire passer Los Lobos dans la ville oppressante qu’était la mégalopole métissée de Los Angeles en cette année 1992 alors que couvaient les émeutes ? Ou bien, de manière plus triviale, une échappatoire aux accidents de la vie, au poison du racisme, aux contraintes d’un quotidien terne, aux procès-verbaux routiers, aux engueulades d’un patron, ou bien encore aux déprimantes disputes domestiques ? Ni Louie Perez, ni David Hidalgo – les co-auteurs de la chanson – n’ont jamais donné les clés de lecture de cette œuvre singulière aux accents si mystérieux, encore que le premier ait mentionné des réminiscences de son enfance. Mais peu importe, chacun y entend ce qu’il a envie d’y entendre, et c’est très bien ainsi. N’est-ce pas d’ailleurs le propre de toute création artistique, dans quelque domaine que ce soit ? Amener le spectateur ou l’auditeur, non à s’identifier à l’univers du créateur, mais à s’évader lui-même dans une réalité virtuelle basée sur sa propre perception de l’œuvre. À chacun d’en juger…

Los Lobos est un groupe né en 1973 dans « East LA », les quartiers est de Los Angeles. Une formation difficilement classable bien qu’elle soit le plus souvent répertoriée dans les catalogues rock et pop sur des critères pas toujours pertinents. Car en réalité l’on retrouve dans la production du groupe des influences très variées allant du rock au R‘n’B en passant par le blues, la country, le folk, le jazz et la musique traditionnelle mexicaine, notamment mariachi. Incontestablement, l’album « Kiko » – sorti en mai 1992 – a été une grande réussite, saluée comme telle par les médias spécialisés, même s’il n’a pas atteint des sommets dans les « charts ». D’aucuns considèrent même cet album comme une étape importante dans l’évolution de la musique folk, et sans doute ont-ils raison, même s’il semble difficile d’évaluer de quelle manière il a pu influencer le monde musical des « nineties ». 5e titre de l’album, « Kiko and the Lavender Moon » occupe une place particulière avec sa construction atypique, support d’une œuvre surprenante où, métissées de « son jarocho », le traitement des percussions, les interventions syncopées de l’accordéon et les lamentos du saxophone donnent à la chanson une coloration résolument onirique.

« Kiko » a été l’album favori des musiciens du groupe Los Lobos. Et c’est de cet opus que le natif de Boyle Height – un quartier d’« East LA » – Louie Perez a le mieux parlé lorsque, les yeux brillants de plaisir, il a affirmé ceci  : « Il y a un moment où tous les auteurs de chansons tombent dans un vide où tout semble éthéré et presque surréaliste… Nous étions tous engagés dans un voyage fou. C’était comme une pirogue dans le brouillard : nous étions tous en train de pagayer, et la seule chose que nous savions était que nous devions pagayer. Nous ne savions pas où nous allions, mais nous faisions simplement confiance [au destin]. Et c’était merveilleux ! »

« Kiko and the Lavender Moon » est l’un des titres nés de cette atmosphère créative qui a débouché sur l’album « Kiko ». Le meilleur, peut-être. En tous les cas, l’un des plus chargés de mystère.

Lien musical : Kiko and the Lavender Moon

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