L’amer Michel revient d’entre les mo(r)ts

par LM
mercredi 16 août 2006

Michel Houellebecq de retour dans un blog sans fleurs ni couronnes, avec des mots comme des regrets et une mise ne page pleine de remords. Ca sent un peu l’égout et le dégoût des autres, du désespéré désespérant, et c’est Arnaud Lagardère qui serait à l’origine de cette rechute, inspirant assassin.

« J’ai cessé depuis si longtemps de donner de mes nouvelles qu’il va me falloir commencer par aligner un nombre élevé de phrases informatives, dépourvues de portée générale absolument. C’est avec amusement que je pense à tous ces journalistes qui se sont (du temps où j’étais “romancier”, du temps où j’étais “créateur d’univers”) acharnés à établir que j’étais moi-même dans mes personnages, leurs opinions, leurs préoccupations, que leur biographie était en tout point calquée sur la mienne... »

Houellebecq is back. Le romancier au teint d’évier et à la voix de tournée générale (qu’est ce que tu bois ?) parle à nouveau, ou plutôt écrit, sur un blog au titre évocateur, chantant et familial : Mourir II « La reprise ». On jurerait le deuxième volet d’un de ces films fantastiques en toc, genre la Momie, ou une bande annonce pour le redémarrage de la Ligue 1 sur Canal + (Mourir d’ennui II), mais ce n’est rien de tout cela, et dès les premiers mots ci-dessus on sait sans avoir à le deviner qu’on est bien de retour chez Michel, loin des boulevard, loin des michou, loin des accolades mondaines, chez un Michel remonté comme une pendule retardée, qui écrit à nouveau comme un abstinent qui n’en peut plus de s’abstenir et qui craque, se reverse un verre, puis un autre, parce qu’il ne peut pas faire autrement.

Ecrire, pour Houellebecq, ce ne peut être que cela : ne pas pouvoir faire autrement. Chaque fois, à chaque roman devant ce mur là, cette obligation non festive de produire, dire, écrire le malaise, le sien, le nôtre, mais l’urgence surtout sur le papier d’avancer ses mots tels des pions, en étant sûr, orgueilleusement sûr, de l’imparable succès de ses combinaisons, de sa tactique. Houellebecq s’intéresse au mat, ne supporte pas le simple échec. Il lui faut le Roi, et la couronne de la Reine.

Son dernier roman aurait peut-être mérité le Goncourt, mais ça n’a pas grande importance qu’un autre ait chopé le bandeau. Pas grande importance, sauf pour Houellebecq, et son éditeur. Houellebecq parce qu’il court après depuis Plateforme, son éditeur parce qu’il sait que le prix des vieux de chez Drouant représente quelque plus value au niveau des ventes. Tassé à 300000 exemplaires, « La possibilité d’une île » a un peu déçu ceux qui se voyaient déjà planter leur drapeau aux 400000, les doigts dans le nez. Mais l’objet du courroux ronflant de Houellebecq est ailleurs que dans ces caprices de hit parade, dans ces chiffonnades de strapontins. Car Houellebecq est mort, voyez vous, ni plus ni moins. Et s’il est mort, ce n’est même pas de sa faute, il n’a loupé aucun virage, bâclé aucun paragraphe, non s’il est mort, c’est qu’on l’a tué : « Plus simplement, je meurs ; mais on m’a tué, aussi. Les joies de la vengeance sont amères et restreintes ; ai-je réellement le choix ? » Il est raide donc, et plus que la justice, il réclame vengeance. Alors qui ? Qui a osé tuer Houellebecq ? Ils sont deux. Deux assassins : « Le premier assassin manifesté fut, comme j’ai dit, le journaliste Demorpion. L’assaut, mené avec cette qualité de malveillance cruelle qu’on attribue aux impuissants, me laissa bien diminué, mais avec l’espoir, quand même, de me refaire. Aucun témoin essentiel n’avait parlé - l’exception de ma mère n’étant qu’apparente, car ma mère, au fond, n’a jamais rien compris à ce que j’étais ; elle n’avait rien compris à mon père non plus. »

Un journaliste qui ose fouiller dans le passé de Houellebecq, qui ose poser la question de Houellebecq et les femmes, de quoi chambouler notre homme aussi sûrement qu’un Goncourt à Weyergans. Houellebecq a mal vécu qu’on tente de cerner sa libido, lui qui sur les choses du sexe et de l’amour a écrit bien des pages susceptibles de faire aboyer pour quelques siècles au moins le chenil entier des amies d’Isabelle Alonso, les très drôles chiennes de garde. Houellebecq et comment il bande, voilà qui avait autant d’intérêt que de connaître les inspirations d’un Florian Zeller, au hasard...Mais passe encore qu’on titille le bout du bout du gland écrivain, le plus insupportable pour lui c’est que celle qu’il appelle sa « vieille salope de mère » soit sollicitée et réponde aux sollicitations. Ca le tue, littéralement... ...mais pas définitivement. Ca ne le tue pas...à mort.

Car il y a un deuxième assassin, et l’auteur nous dit que celui-ci lui « a porté cette fois un coup qui pourrait bien être mortel. » Génie de l’écrivain malheureux mais pas à côté de ses pompes (funèbres), qui invente d’une phrase une seule le concept d’assassin qui ne tue pas, qui n’assassine qu’un peu. Donc un deuxième assassin, lui « presque » mortel. Et cet autre n’est autre qu’Arnaud Lagardère, le bandidos de chez Hachette. « Il semble aujourd’hui acquis que malgré les promesses formelles, tant écrites qu’orales, d’Arnaud Lagardère, le groupe Hachette ne participera pas au financement du film tiré de “La possibilité d’une île”. Dans ces conditions, il est bien possible que le film ne puisse pas se faire. Il ne s’agit pas cette fois d’une simple piqûre d’amour-propre, épidermique, comme dans le cas de l’insecte Demorpion ; il s’agit d’un coup très dur, et peut-être fatal, asséné en pleine poitrine. Je vacille ; à l’heure actuelle, je vacille. » C’est beau comme les adieux d’Ardisson, sincère comme les regrets de Condolizza Rice après un bombardement abusif en Irak (au hasard). Houellebecq vacille. La pellicule coupée lui reste un peu en travers de la gorge, plus difficile à digérer qu’un à valoir d’un million d’euros. Arnaud Lagardère, cette infâme, a osé contrarier Houellebecq dans ses projets, a osé empêcher le maestro d’achever son œuvre monumentale et néanmoins cinématographique. Ce crime de lèse majesté est bien sûr insupportable. Non seulement il risque de nous priver d’un somptueux chef d’œuvre, mais ensuite il fait « vaciller » le meilleur écrivain de ces, mettons, deux dernières rentrées littéraires.

Je chambre, mais l’affaire est grave, parce que le Houellebecq, tout agacé, ne compte pas en rester là et menace d’aller bouder pour de vrai dans son coin : « Bien entendu, j’en tirerai sur le plan contractuel les conséquences prévues - comme je l’ai rappelé, il y a une dizaine de jours, à son secrétariat. C’est à dire que plus aucun de mes livres ne sera publié par une maison d’édition dépendant du groupe Hachette, et ceci dans aucun pays. » Na ! Bien fait pour toi, Lagardère ! Si tu ne viens plus à Houellebecq, Houellebecq ne viendra plus chez toi !

Au Rubicon de cette bataille épique, qui bouleverserait plus d’un pays normal sous les bombes, faisons une pause pour nous rappeler qu’en avril de cette année le film avait changé de main, passé chez la boîte qui avait produit Brice de Nice (sic) la société Mandarin, qui s’est empressé une fois dans la bergerie de demander au chaloupant romancier de remanier son scénario. Cette pause faite, précisons que le groupe Lagardère a déclaré qu’il « continuait à soutenir Mandarin », autrement dit à s’intéresser au film...qui n’a pas obtenu l’avance sur recette le 4 juillet dernier....Alors, bon, Michel, sans t’offenser, t’es sûr de ton coup sur cette bobine là ? Parce qu’enfin, en ce moment, ça farte pas beaucoup pour toi...

Chamailleries à part, et s’il n’est jamais agréable, comme le souligne le poète romancier penseur provocateur exilé volontaire, « d’admettre qu’on s’est fait rouler » il n’y a sans doute pas de quoi fouetter un contrat. Beau joueur, Lagardère a d’ailleurs fait savoir qu’il s’agissait là sans doute d’un « malentendu » et qu’il avait pris la décision d’injecter « 600000 euros » dans l’impossible film. Houellebecq n’en a cure et continue à tirer sur son site une troche à ressusciter Castro, tout en publiant des poèmes qu’il « pensait avoir perdu » mais qu’il a heureusement sauvés des os. Des poèmes aux titres évocateurs : « Isolement », « Exister, percevoir », « Leurs têtes sont aveugles »... On y lit le meilleur du glauque écrivain, qui a souvent culminé dans la poésie.

« Au fond j’ai toujours su Que j’atteindrais l’amour Et que cela serait Un peu avant ma mort »

Entre autres fulgurances.

Et là, on se dit que l’écrivain a raison, sans doute permis. Pas sur toute la ligne, quant à son affaire, mais sur toutes les lignes, très à son affaire. L’écrivain a raison sans que Lagardère ait tort. On s’en fout, d’ailleurs, de Lagardère, que Houellebecq aille voir ailleurs, aussi, on s’en moque. L’écrivain a raison quand il écrit. Qu’il déprime, dégoupille ou délire ne nous importe peu tant qu’on tourne ses pages.

Et c’est ainsi que Houellebecq est grand.


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