L’Anglais dans le Français

par Orélien Péréol
lundi 25 octobre 2021

Un danseur soigne son corps, qui est son outil de travail. C’est notre outil à tous et nous devrions tous prendre soin de notre corps. Une danseuse ne fume pas, ne boit pas d’alcool, ne passe pas des nuits blanches en boite comme les jeunes de son âge…

Il en va de même de la langue. Un poète, un auteur, un journaliste devrait prendre soin de la langue française, comme nous tous devrions en prendre soin, mais un peu plus, volontairement, avec sécurité et fierté, avec professionnalisme, en quelque sorte.

Il est difficile quand on prend soin de la langue française de ne pas passer pour un conservateur, alors que l’axe progressisme-conformisme n’a rien à faire là-dedans.

Le problème n’est pas nouveau. En 1991, René Étiemble écrivait « parlez-vous franglais ? », montrant que la France était une colonie des USA et l’acceptait plutôt joyeusement, en tout cas, sans résistance. Ce phénomène continue, alors que la colonisation est réputée être une horreur.

Mon propos n’est pas celui-là, de géopolitique, de la domination économique, culturelle et politique. Mon propos est plus « psychologique », visant à montrer le manque d’amour pour nous-mêmes que relate cette intrusion permanente des mots américains (il faut cesser de l’appeler anglais). Ce qui a progressé depuis 1991, ce qui me semble nouveau, c’est la substitution exacte de mots anglais à des mots français !

 

Sur France Inter, quelqu’un parle d’anxiété écologique et dit qu’elle se demande si elle va faire un troisième enfant et qu’elle se range plutôt avec les « no kids ». A quoi sert ce mot ? Posez-vous la question.

Certains s’opposent à l’idéologie appelée woke, mettant dans leurs critiques le fait qu’elle soit importée des USA. Personnellement, je parle de « faire-taire », des faire-taire ou des censeuriste...

OK : j’écris Dac pour d’accord, je le disais quand j’étais en culottes courtes.

Cluster : foyer (!)

Bashing : dénigrement

Burn out : surmenage

Suces full : de succès (le même mot qu’en français !)

Green wahing : fausse écologie, écologie de façade ou de vitrine, écologie de communication (on peut inventer comécologie ou écocommunication)

Empowerment : l’empouvoirement (on peut inventer des mots).

Fact-Checking : vérification des faits (souvent traduit après avoir été dit)

Fake news : bobard

Story telling : grand récit

Replay : différé

Blackout : coupure (d’une fourniture énergétique, en général l’électricité). On ne sait pas dire cela en français ? Apparemment non. Débarrassons-nous vite de cette langue qui ne dit pas grand-chose, qui ne dit pas ce que nous avons besoin de dire !

Marseille attend le « go » du président ! (feu vert, autorisation…)

 

Une langue est constituée d’un patrimoine et d’un moteur ou de moteurs qui permettent de créer des mots. Ces deux dimensions, l’une statique et l’autre dynamique, n’ont pas le même statut : Quand on apprend une langue, on apprend tout ce qu’on peut du stock de mots et du stock des procédures grammaticales, on n’apprend pas les procédures de création de néologismes. Cependant, une langue a ces procédures. Si elle ne les met pas en jeu, si elle n’est pas capable de nommer des choses nouvelles, elle se fait envahir peu à peu par les autres. Je redis que cet article traite d’une particularité de la langue française pire que de ne pas savoir s’augmenter pour continuer à parler de tout, une particularité qui consiste à détruire des mots pour les remplacer par des mots étatsuniens.

France Inter : je suis en plein milieu d’un road trip… un voyage en fait.

Je suis invité quelque part, il y aura des Serious Gaming, or la notion de jeu sérieux existe en français (et en italien) et se dit dans des termes calquables mots pour mots avec l'étatsunien.

Une affiche nous invite à entrer dans le game… un site de bricolage s’appelle need help (besoin d’aide) ! etc.

 

J’écoute une émission économique et soudain, j’entends « so what ? » pour « et alors ? » !

Un contre-exemple : Denis Robert, interviewant Ruffin : « je ne vais pas déflorer la fin du livre… » déflorer et non spoiler ! Rare ! Merci monsieur. Malheureusement, ailleurs, il dit il faut continuer le fight (le combat). Misère !

 

https://www.youtube.com/watch?v=jzvMxn683ps à 8’30’’ : On a demandé à la CCC de résoudre problème par problème, de faire du problem solving, comme on dit en anglais. D’où vient cette connivence entre l’interviewé, l’intervieweur et le public qui pousse à dire une chose une fois en français, une deuxième en étatsunien et de signaler que ça n’apporte rien de le dire une seconde fois en « anglais » ? Pourquoi fait-on comme ça ? (Ce moment n’est pas plus significatif que bien d’autres, vous en trouverez autant que vous voudrez)

 

« Il y aura des quick fix (je ne suis pas sûr d’avoir bien compris ?) comme on dit en anglais », Esprit public, France culture, le 3 octobre, il nous signale qu’il nous parle anglais mais ne traduit pas.

C’est partout, tout le temps.

 

On dit de temps en temps que la domination de l’étatsunien dans le français est dû à la rapidité d’exécution de cette langue. Save the date, (pour note la date) ! ça va plus vite ? Des théâtres subventionnés emploient cet étasunicisme (anglicisme) ! Il n’y a pas une digue ! pas un frein ! que l’analyse quasi impuissante d’un anonyme. Michel Serres avait cette insistance et cette présence à ce problème culturel tragique, tragique signifie que les français ont pris, par ignorance, mais on pourrait dire de gaité de cœur, un chemin vers la mort de leur langue (le tragique, c’est ce qui a à voir avec la mort).

D’autre part, on parle avec beaucoup de redites. Notamment, des redites liées à cet emploi abusif, intrusif de la langue étatsunienne dans le français. J’en ai parlé plus haut.

 

Nous avons un étranger dans notre maison, il casse les meubles, vide les placards et détruit ce que ces derniers contiennent, il remplace les meubles et le contenu des placards par des choses qui lui plaisent à lui. C’est un voleur à l’envers, il casse, il remplace, il occupe, au sens de l'occupation (1940/1944). Au lieu de le chasser comme un intrus, l’intrusion est normalement une agression, on l’aide, on s’y met avec lui… Tiens, ce mot français-là, quelle mocheté, vite un beau mot anglais à la place. Il faut être moderne, il faut être à la mode, excusez-moi, il faut être in, il ne faut pas être has-been. Il faut être à la mode veut dire qu’il faut être comme tout le monde, et il faut réclamer d’être soi-même, de penser par soi-même puisque tout le monde le réclame.

 

Le bouquet (je n’aurais pas cru cela possible si je ne l’avais entendu, de mes oreilles entendu), dans la bouche d’un poète au marché de la poésie !

UN MOT FRANÇAIS PRONONCÉ COMME SI C’ÉTAIT UN MOT ANGLAIS (en l’occurrence, le mot « diable » prononcé « diabeulse »).

La langue est un outil puissant d’humanité, nous devrions prendre soin de la nôtre « comme de la prunelle de nos yeux ».


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