L’année 2013 commence bien avec Le porte non aperte et son prog libertaire et virtuose

par Bernard Dugué
mardi 29 janvier 2013

Encore une étonnante formation progressive qui vient se signer son premier album chez Ma.Ra.Cash en Italie du Nord et ses régions devenues des pépinières pour le rock alternatif aux prétentions esthétiques et aussi intellectuelles. L’occasion d’évoquer « Le porte non aperte », un nouveau groupe créé en Toscane qui vient d’enregistrer dans les studios de Calenzano près de Florence un album concept, Golem. Ce nom chargé de symbole évoque le fantasme de créer des choses artificielles à partir d’argile et de les animer. Dans le Talmud, le golem précède la création mais dans la critique existentielle post-moderne, le golem peut représenter le symbole d’une vie artificielle et aliénée dans un monde illusoire où les gens ont perdu l’âme essentielle et sont animés par des désirs artificiels et fabriqués par le système marchand. C’est donc ce thème qui fait l’objet de ce disque dont la présentation évoque un monde fait d’illusion où les gens s’affichent comme étant heureux mais sont bien incapables de sourire. Les musiciens de Porte non aperte sont jeunes et n’ont pas connu la période des années 60 et 70 qu’ils célèbrent car le golem est inspiré par « imprevedibili », mouvement intellectuel et anarchiste basé en Toscane en ces années révolutionnaires et qu’on pourrait mettre en parallèle avec nos situationnistes conduit par Guy Debord, le théoricien du spectacle. Et quoi de plus signifiant que cette allusion aux individus qui s’affichent au lieu de s’incarner. Les initiés du prog italien des années 1970 savent que la critique sociale était largement présente dans les textes et concept albums de l’époque. Notamment le prog avec quelques formations dont le style permet de situer Porte non aperte, qu’il s’agisse de Biglietto per l’inferno ou de Balletto di Bronzo.

Le style, parlons en ! Golem offre une dizaine de compositions très élaborées et exécutées avec virtuosité et célérité. C’est une musique qui fait parfois tourner la tête et dont l’enthousiasme et l’énergie font passer Led Zep pour un groupe mou, ce qui n’est pas exact. En fait, la formation de Jimmy Page donnait dans le heavy alors que Porte non aperte offre une musique fluide, rapide, saccadée et parfois hallucinante pour les oreilles. On s’en convaincra avec le second morceau qui associe des lignes mélodiques bien affirmées, un chant torturé et pénétré d’incantations sauvages et des ruptures de rythme et de style, bref, aux antipodes de la structure convenue des pop songs mais quand on écoute du prog, il ne faut pas s’attendre à des musiciens qui accompagnent une chansonnette. Comme bien des formations de ce genre, Porte non aperte joue comme un quintet, chaque musicien occupant une place et relayant cette musique endiablée qui nous entraîne loin dans nos pensées.

La musique jouée par ces cinq virtuoses est résolument ancrée dans les seventies, ce qui correspond à une tendance bien développée actuellement en Italie. Sans doute, les nouvelles générations ont une saine curiosité pour cette époque de combats politiques et d’innovations musicales sans précédent et bien entendu, le prog des années 1970 constitue le meilleur de l’art rock si bien qu’il n’y a pas faute de goût lorsque l’on s’inspire du style de cette époque et qu’on reprend les bonnes recettes du genre, avec des facéties exécutées au clavier, des riffs de guitare stridents et parfois saturés et une rythmique cherchant à propulser les innovations musicales tout en perdant l’auditeur. La batterie étant carrément un cinquième instrument. La spécificité de Porte non aperte repose sur l’usage omniprésent de la flûte traversière qui n’a rien d’un instrument d’appoint et participe avec générosité à l’ensemble, renforçant de ce fait le côté très seventies, très envolé et légèrement free, dont l’écoute évoquera certainement le Tull de la vieille et belle époque ainsi que les premiers albums de Jade Warrior. Mais la comparaison s’arrête juste au niveau de ces réminiscences stylistiques car la musique proposée dans Golem est très enflammée et passionnée, intense, à l’instar de l’âme italienne à la foi baroque et sensuelle, avec un raffinement particulier dans les compositions, lyriques et étrangement free en alternance, parfois à la limite du krautrock. Sensualité et virtuosité, ces deux mots collent bien à cette musique inventive. Et légèreté, avec la flûte qui semble planer au dessus du flot bouillonnant des claviers et chants intenses. Et comme c’est souvent le cas avec la musique progressive, il faut plusieurs écoutes pour apprécier ce disque qui devrait certainement figurer dans le top 10 des albums progressifs de 2013.

On gardera aussi à l’esprit le thème très contemporain de l’homme aliéné et torturé cherchant à échapper à son conditionnement social pour trouver une voie libre, spirituelle et riche d’existence, au lieu de suivre les chemins tracés par les convenances culturelles dont se servent habilement les élites. A écouter sans modération.

 

Line-up : 

 

Sandro Parrinello – Voice

Filippo Mattioli - Organ, Synthe

Jacopo Fallai – Guitar

Marco Brenzini – Flute

Giulio Sieni – Drums

Daniele Cancellara - Bass

 

 

Tracks

 

1 - Preludio Al Sogno

2 - Il Re Del Niente

3 - La Città Delle Terrazze

4 – Binario

5 - Il Vicolo Dei Miracoli

6 - Rigattiere Dei Sogni Infranti

7 – Nemesi

8 - Oceano - Nel Canto Della Sirena

9 - Giardini Di Sabbia

10 - Animale Del Deserto

11 - Imprevedibilità


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