L’appel du 21 juin

par Lisa SION 2
lundi 21 juin 2010

Ecouter les yeux fermés est une preuve de respect et d’humilité pour cet art acoustique fantastique, faire abstraction de tous les autres sens au profit d’un seul autorise à mieux atteindre la plénitude de perception de cet organe, et garantit l’excitation de tous les autres. Car les frissons que la musique peut générer en travers tout le corps, garantit l’éveil du sens du toucher, et cela juste par une onde musicale impalpable...c’est épatant. Tous les aveugles vous le diront.

http://www.musicme.com/Khalil-Chahine/albums/Turkoise-3448964490036.html?play=07
Ce morceau commence si doucement, que c’en est bon pour démarrer à froid, ce voyage qui va vous emmener vers des sommets à partager seul avec le son. Sans même accélérer, mais juste en allant chercher le tréfonds de sa respiration, l’artiste déclenche ce frisson, qui parcours en un instant le grand canal nerveux dorsal central de haut en bas. Se répartissent ensuite les fourmis ouvrières jusqu’aux derniers réseaux de sensibilité pour les réveiller, c’est vivifiant. Le soutien rythmique rappelle le tintement de ces trousseaux de clés qui se balancent à votre ceinture quand vous marchez tranquillement. Les intonations de sa voix vont du plus doux des soupirs, du plus velouté des élixirs, sensés éveiller les plus chauds des désirs, jusqu’aux timbres brillants, trémolos vibrants et ondulant comme ces vagues régulières des plus belles plages abandonnées. Les suivre avec acuité peut entrainer l’esprit à rejoindre l’âme du poète et faire à ses cotés le plus pur des voyages. Le partager avec une femme sensible peut mener à connaître la couleur de son aura. La sensibilité de ces mots couchés sur un tapis féminin ramène immédiatement tout le restant de ce monde, à un immense jeu de boules pour brutes qui s’ignorent. Beaucoup d’autres chansons se prétendant d’amour deviennent subitement des autoroutes en papier de verre où circulent de vulgaires Bull-Dozer sans pots d’échappement...L’amour, lui, entrera sans frapper.

http://www.musicme.com/Murray-Head/albums/Say-It-Ain%27t-So-0042284245227.html?play=01 Afin de donner un peu de vitesse et de poids à vos sens ainsi réveillés, ce morceau va chercher encore plus loin dans les aigus, probablement pour révéler le féminin endormi en chacun. Le sentiment porté par l’artiste sur les risques qui pèsent sur le monde l’emmène à appeler si fort au secours, que personne ne peut rester indifférent à ce cri authentique. La tension actuelle prouve à quel point il avait raison, et le renvoyer un instant dans les oreilles initiées, ne peut que lui permettre d’à nouveau couvrir le brouhaha de nos ondes quotidiennes si tristes. Les glissements du doigts métallique sur les cordes filées plat de la pédal-steel-guitar apportent une sensualité à cette note qui passe par tous les tons sans aucune interruption, et d’autant plus qu’elle est double. Les nuances permises par la basse Fretless créent cette instabilité et ce déséquilibre sur lequel il est impossible de s’appuyer, mais soustrait tout la strictitude des notes établies et fixes. Ce concert de nuances possibles enrichissent d’autant l’éventail établi de l’octave musical, et repoussent les limites de la liberté de chanter. Laissez vous bercer jusqu’au dernier phrasé, il est injonctif, certes, mais salutaire à ceux qui voudront bien l’entendre.

http://www.musicme.com/Florent-Pagny/albums/Talents- :-Florent-Pagny-0600753066409.html?play=12 Ce chanteur à la mode qui s’est mesuré à deux fois plus lourd que lui aux cotés de Pavarotti and friends, a démontré que son organe, si petit soit-il, percute aussi fort et juste à nos sens. L’harmonie complexe et les paroles profondes de ce morceau exporte immédiatement l’artiste hors du champs des banalités rabâchées à longueur de journée pour formater les jeunes à la sous culture du vide. La femme, ce thème incessamment allongé par tous les poètes sur le papier et dans les airs, est ici si symboliquement déshabillée de l’intérieur, que son cœur apparait effleuré et caressé par la voix chaude du magicien musicien hypnotique et chirurgical. Les harmonies complexes sortent des ornières profondes et boueuses où s’enterrent les tubes classiques en accords majeurs et descentes chromatiques. Dès la première note, l’on sent que l’artiste a ouvert une porte inhabituelle et le chemin qu’il y parcourt est plein de découvertes et de renouveau, c’est enrichissant. Sa recette consiste en commençant le morceau sur un La, alors que le rez de chaussée de cette chanson est bien le Do. La circulation se maintient ainsi dans les étages, ce qui facilité l’envol de l’esprit qui finit bien sûr par retomber sur ses pieds, mais après une agréable lutte contre l’apesanteur.

http://www.musicme.com/Level-42/albums/Level-Best-0042284139922.html?play=06 Ce morceau est d’une douceur étrange parce que l’artiste y déclare à sa compagne qu’il la quitte définitivement. Le poids de la partie rythmique alourdit encore le message et lui donne un caractère non plaisantin. Il sait qu’il va faire mal, qu’il sent déjà les larmes couler sur les joues d’une femme qu’il a dû aimer de tout son cœur et s’en excuse, d’autant plus qu’il a mal lui-même très profondément. C’est poignant. Sans doute cet éminent bassiste, d’habitude nettement plus prolixe dans le jeu de ses doigts marteaux puissants sur ces solides cordes, a-t-il été lui aussi touché de plein fouet par la chanson que les Beatles avaient développé sur un sujet un peu semblable dans « She’s leaving home ». Sans besoin d’artifices ni de fioritures, le sentiment profond est le seul moteur de ce morceau puissant où le cœur parle à nu. Des quantités de sons synthétiques sophistiqués accompagnent de discrets arrangements de cordes d’une pureté remarquable, et le mariage est parfaitement réussi.

http://www.musicme.com/Compilation/Tubes-2006-0828768169520.html?play=10 Cet éternel sujet, la femme, est dans cet exercice savamment envoyé par un sportif sentimental de renom. Les harmonies qui se suivent dans des descentes chromatiques d’accords majeurs présentent beaucoup moins de caractère, mais en deviennent derechef plus populaires. Et malgré cette harmonie en escalier aux marches égales, ce thème usé, mille fois brossé, trouve dans la voix de ce champion de hockey, une fidèle intensité. Les femmes ne s’y trompent pas. Ce n’est pas souvent que l’on parle d’elles avec autant d’intensité et la beauté du visage de cet homme fait qu’il est authentique, même quand il ne chante pas.

http://www.musicme.com/Roch-Voisine/albums/Chaque-Feu-0743216625727.html?play=09 Voici une autre interprétation par ce canadien probablement venu la chanter en avion, d’un morceau accouché par un breton surement marin. Cette invitation à pleurer sur le sort de tous ces marins perdus en mer, chantés par un homme sportif de surcroit, au nom de ces femmes qui les attendent des journées entières et angoissent dès que la mer se lève et le ciel s’assombrit, est pleine de vent obscurs. Sa faculté à exprimer les sentiments les plus angoissés avec un indéfectible rictus de joie rend encore plus paradoxal l’effet désiré. Cette faculté à chanter un sentiment de tristesse tout en restant amoureux de la vie participe à donner la plus belle image de la femme que peu d’hommes arrivent à décrire avec tant de sensibilité.

http://www.musicme.com/Compilation/Nuit-Celtique-5099751118626.html?play=01 Le même thème, chantée de l’autre côté de la Manche, avec une couverture cinglante du son pointu d’une batterie de cornemuses parfaitement accordées, et soutenant la femme attristée par le gris mais digne. Sans écarts ni compétition avec ces puissants instruments, sans rivalité possible en aigus acoustiques, la chanteuse n’en est pas moins vraie, noble et presque sévère. Sans aucun artifice ni pression inutile, cette voix douce mène derrière elle sa troupe de musiciens. Sa profondeur, dès la première note, laisse entrevoir toute l’histoire du monde celte, et malgré les échantillonnages synthétiques accompagnant les sons purs, et les harmonies à la fois classiques et pourtant recherchées, cet ensemble soulève les sens. La qualité du son est telle que vous pouvez emmener votre modulateur de son presque vers son maximum sans crainte.

Les artistes ont de tout temps été respectés par toutes les cours parce qu’ils assuraient de divertir les soirées organisées par la longue chaine des bras de de ceux qui comblaient la table de mets à consommer. Mais la musique à consommer n’est plus qu’un infâme collier de saucisses sans goût qui ne fait preuve d’aucun respect, ni pour les instruments acoustiques, ni pour les artistes anonymes, ni pour le public en attente, mais juste pour les sourds. Pour eux personnellement, la fête du bruit fait son office.


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