« L’Autre fille » d’Annie Ernaux de retour aux Déchargeurs

par Theothea.com
jeudi 24 janvier 2019

Quelque part entre le dédoublement de personnalité et la quête de l’alter ego, l’auteur Annie Ernaux pose les jalons d’une interrogation immanente concernant sa sœur terrassée par la diphtérie à l’âge de six ans environ deux années avant sa propre naissance.

 

L’AUTRE FILLE
© Julien Piffaut

  

La problématique insidieuse va procéder du silence de leurs parents s’apparentant au déni existentiel, auquel paradoxalement devrait s’ajouter une préférence avouée à un tiers qu’Annie découvrira au détour d’une conversation maternelle interceptée par hasard :

Désormais, le choc ressenti lors de cet aveu « l’autre fille était plus gentille » la maintiendra en état de défiance permanente vis-à-vis de ses parents qui, sans doute relativement insatisfaits de la « substitution » de l’une par l’autre, maintiendraient secrètement une nostalgie valorisée à l’égard de leur première fille ainsi disparue.

 

L’AUTRE FILLE
© Julien Piffaut

  

Ce non-dit vital ayant persisté durant toute leur vie de couple, ce n’est qu’après leur disparition, que la romancière décidera d’écrire une lettre adressée à cette sœur méconnue d’elle-même mais ayant eu un tel impact sur sa propre existence.

Comment se situer par rapport à cette aînée dont la maladie fatale aura permis à Annie de voir le jour ?

Comment se sentir dépositaire, a posteriori, d’une destinée dans laquelle Annie s’est inscrite au plus haut point en accaparant la chambre de l’absente, son lit, ses vêtements, son cartable et ainsi être devenue une sorte de double, malgré soi, de cette personnalité forcément différente voire étrangère à elle ?

 

L’AUTRE FILLE
© Julien Piffaut

  

Comment admettre, a contrario, qu’elles auraient pu toutes deux être proches dans leur sororalité alors même que les circonstances et le mutisme ambiant avaient choisi délibérément de les rendre interchangeables ?

Au Théâtre Les Déchargeurs, la résidence de cette création à succès sera prolongée par une reprise début 2019 selon la même co-mise en scène de Jean-Philippe Puymartin & Mariane Basler.

En effet, c’est donc ce lourd tribu aux relations identitaires que la comédienne a choisi d'incarner sur scène en une implication d’autant plus intense que cette dénégation ontologique lui en rappelle une autre très intime la concernant et qu’il pourrait en être ainsi pour chaque spectateur interpellé en son propre vécu mémoriel.

   

L’AUTRE FILLE
© Julien Piffaut

  

Ainsi Marianne, interprète aguerrie et engagée, s’interroge à haute voix ou même dans le chuchotement sur le ressenti s’emparant de sa « présence au monde » jusqu’à la faire douter de sa volonté à vivre à la place de l’autre… tout à la fois manquante et néanmoins omniprésente.

Assise devant un petit bureau, les feuilles d’écriture noircies se succèdent en brouillons à chiffonner tant le poids des mots inexacts pèsent davantage que le désir impérieux de communiquer au plus juste avec celle qui, au-delà des apparences, ne devrait jamais recevoir la lettre qui lui aura ainsi été dédiée… à moins que les forces de l’esprit soient plus déterminées que ces malentendus tellement douloureux s’interposant entre les êtres, ici-bas ou ailleurs.

  
photos © Julien Piffaut
        
L'AUTRE FILLE - **.. Theothea.com - de Annie Ernaux - mise en scène Jean-Philippe Puy Martin & Marianne Basler - avec Marianne Basler - en Tournée & Théâtre Les Déchargeurs (reprise du 19 mars au 6 avril 19) 

 
 

L’AUTRE FILLE
© Julien Piffaut

   

 


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