« L’épidémie », de Matin brun à la Solution finale

par Fergus
jeudi 26 novembre 2020

 

L’épidémie est un roman noir de l’écrivaine suédoise Åsa Ericsdotter. Un thriller politique inspiré par la montée des populismes. Un livre d’autant plus glaçant que l’on ne peut s’empêcher en le lisant d’y voir des analogies avec les dérives idéologiques observables dans un nombre croissant de pays…

La Suédoise Åsa Ericsdotter, domiciliée depuis quelques années dans une île de l’état du Maine (États-Unis), a commencé sa carrière littéraire en publiant un roman d’amour en 1999, Oskyld (Innocence) ; elle était âgée de 17 ans. Ont suivi plusieurs recueils lyriques à caractère poétique jusqu’en 2007. En 2010, elle revient au roman et publie successivement Svårläst (Difficile à lire) en 2010, Äktenskapsbrott (Adultère) en 2012 puis Epidemin (Épidémie) en 2016.

Seul ce dernier opus a donné lieu, à ce jour, à une traduction française (signée Marianne Ségol-Samoy). L’épidémie a été publié en France en mars 2020 par les Éditions Actes Sud dans l’excellente collection Actes noirs où la romancière suédoise côtoie désormais d’autres grands noms de la littérature noire scandinave, notamment ses compatriotes Stieg Larsson – l’auteur décédé de la célèbre trilogie Millenium – et Camilla Läckberg.

Les premiers mots de la 4e de couverture de L’épidémie sont les suivants : « Le charismatique Premier ministre Yohan Svärd n’a qu’un seul objectif en tête : faire de la Suède le pays le plus sain d’Europe. »

De quelle manière ce chef de gouvernement en quête d’un nouveau mandat compte-t-il s’y prendre pour atteindre cet objectif ambitieux ? Quels effets auront ses décisions politiques sur la population suédoise et les rapports entre les citoyens ? Jusqu’où peuvent aller, pour les uns la muette complicité, pour les autres le rejet de la différence ?

Jusqu’où les valeurs démocratiques et les libertés peuvent-elles être remises en cause dans le cadre d’une crise sanitaire ?

Telles sont les questions – d’une étonnante actualité – que pose cet effrayant roman dont l’inspiration rappelle, comme le constate l’un des personnages du livre, « les heures les plus sombres de notre histoire ». Au fil des pages, l’atmosphère pesante de ce thriller devient de plus en plus irrespirable. Pour s’en faire une idée, nul besoin de longs commentaires, il suffit d’en lire ces quelques extraits :

« c’est surtout pour ne pas penser au reste. Le chômage, la dette de l’État, le manque de personnel dans les hôpitaux (…). Sans parler du problème majeur qui sera de gérer l’État providence (…) durant la prochaine génération, lorsque la réforme de l’Éducation nationale aura transformé les jeunes en illettrés ».

« Le pire est que ce qui arrive est logique. »

« Une société basée sur la surveillance et le contrôle. (…) Tout cela se terminera par un implant intégré dans le bras de chaque citoyen ».

« [ceux qui ont le moins de pouvoirs dans la société] peuvent donc être maltraités sans que personne réagisse. Les pertes humaines ne sont qu’un dommage collatéral. »

« Ce n’était pas la crasse et les plaies qui la bouleversaient le plus : c’était les regards. Les yeux ronds et clairs des porcs qui fixaient la caméra. Comme s’ils savaient.

Aujourd’hui, c’étaient eux les porcs. Elle et tous ceux enfermés ici. »

« Pouvaient-ils avoir fait une sorte de rafle ? Avoir rassemblé des gens pour ensuite les transporter hors des villes ? (…) Mais dans ce cas où les avaient-ils emmenés ? »

« Le pire, c’est qu’on réalise ce qui arrive quand il est déjà trop tard. C’est leur stratégie. De petits changements progressifs pour que personne n’ait le temps de réagir. (…) Les gens ignorent les signaux d’alarme. »

« Plus tard, il décrirait ce qu’il avait vu (…). La dimension des cages. L’humidité sur les murs. L’eau de rinçage de couleur rouge, aspirée comme du sirop dilué dans les grilles d’évacuation. Il ferait une description factuelle des câbles de transport (…) et du gaz anesthésiant. »

« Comment décrire l’inimaginable ? »

Dans une critique datant du mois d’août 2020, le web magazine Rolling Stone a synthétisé ainsi le contenu de L’épidémie : « Une effroyable dystopie, décrivant le glissement d’une société vers le cauchemar totalitaire. » On ne saurait mieux dire.

Et voilà que, le roman achevé, l’on se prend à relire Matin brun et à se convaincre que, dans un monde instable et de plus en plus caractérisé par les dérives autoritaires, le maître mot qui, plus que jamais, doit guider notre rapport à la politique et aux gouvernants est : vigilance !


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