L’exception culturelle bretonne

par Voris : compte fermé
mercredi 25 juillet 2007

La première biographie de Morvan Lebesque, l’auteur du célèbre manifeste « Comment peut-on être Breton ? » vient de paraître. C’est l’occasion de rappeler l’exception culturelle bretonne. La Bretagne est de loin la première région de France pour l’édition de livres et de disques. Elle se distingue aussi comme on le sait par une identité celte qui la classe à part des autres régions.

La langue bretonne :

Charles De Gaulle, auteur de L’Appel aux Celtes, apprit le breton et le pratiqua comme sa langue maternelle. Il rédigea même des poésies en breton. Il rêva de la résurrection des langues celtiques comme langues littéraires. Certes, ce Charles de Gaulle n’était pas le Général mais son grand-oncle (né en 1837). George Sand apprit également le breton pour apprécier à leur juste valeur dans leur langue d’origine les chants traditionnels du Barzazh Breizh. Mais ces exemples relèvent plus d’un engouement aristocratique pour la celtomanie que d’un mouvement populaire qui ne viendra que plus tard, après une période répressive de l’Etat français symbolisée par la fameuse "Interdiction de parler breton et de cracher parterre", écriteau qui figurait dans les lieux publics et les écoles. La richesse de la culture bretonne ne réside pas dans l’érudition de quelques artistocrates. Même si, il faut bien le reconnaître, on doit à un marquis (Hersart de la Vilemarqué) la collecte et la mise en valeur des chants bretons dans son Barzazh Breizh.

Le breton est la seule langue celte encore parlée sur le continent européen. Pourtant, elle n’est pas défendue par l’Etat français au même titre que d’autres causes. Ainsi, Chirac, le 6 septembre 1999, félicite le Canada pour son "exemplarité" dans la reconnaissance culturelle Inuit. Alors que la même année, le Conseil constitutionnel considérait comme contraire au principe d’égalité la charte européenne de langues régionales ou minoritaires. A cause de cette décision du Conseil constitutionnel, la France n’a pas ratifié la charte.

Dans ce contexte, la lutte pour la reconnaissance de la langue bretonne reste difficile. En 2001, le Conseil d’Etat décida de suspendre les décrets d’application assurant l’intégration des écoles Diwan dans le service public de l’Education nationale (des milliers de personnes se rassemblèrent alors à Quimper pour protester contre cette décision).

Dans son essai Comment peut-on être Breton ?, Morvan Lebesque raconte pour sa part le traitement que le maître infligeait à l’élève surpris à parler breton à l’école : non seulement on lui accrochait le symbole au cou, mais "si l’enfant n’a pas réussi avant la fin de la classe à dénoncer quelqu’un d’autre, il le traîne sous le préau et lui fait épeler l’écriteau : Défense de cracher et de parler breton".

L’identité bretonne :

Au XXe siècle, le manifeste Comment peut-on être Breton ? de Morvan Lebesque, publié en 1970, réveilla la conscience bretonne. Ce texte allait connaître une grande postérité. Le groupe nantais Tri Yann le rendit célèbre sous le titre La Découverte ou l’Ignorance.

Comment peut-on être Breton, par Morvan Lebesque (extrait) :

"(...) J’ai longtemps ignoré que j’étais Breton.


Je l’ai par moment oublié. Français sans problème, il me faut donc vivre la Bretagne en surplus ou, pour mieux dire, en conscience :
si je perds cette conscience, la Bretagne cesse d’être en moi ;
si tous les Bretons la perdent, elle cesse absolument d’être.
La Bretagne n’a pas de papiers. Elle n’existe que dans la mesure où, à chaque génération, des hommes se reconnaissent Bretons. À cette heure, des enfants naissent en Bretagne. Seront-ils Bretons ? Nul ne le sait.
À chacun, l’âge venu, la découverte ou l’ignorance
."

Avec ce manifeste, on prit conscience de l’urgence d’enseigner le breton à ses enfants ou petits-enfants pour ne pas perdre le lien avec les ancêtres. Au prix d’une lutte de tous les jours, une certaine reconnaissance par l’Etat français du fait culturel breton se fit jour. Quelques marques des plus visibles sont les panneaux indicateurs bilingues sur les routes, le "gwen ha du", drapeau breton que l’on voit surgir au bout d’un bras tendu dans tout événement filmé par la télévision, témoignant ainsi de la cohésion de la Grande tribu (*) en dépit des distances et de la culture mondialisée qu’on veut nous imposer.

(*) Titre d’un livre de Youenn Gwernig

Une Bretagne autonome ?

La question ne se pose plus en ces termes, même si l’idée peut encore constituer un thème de révolte, plus littéraire ou symbolique que réel. Comme par exemple dans cette chanson de Soldat Louis C’est un pays.

En 2000, fut publiée la version non censurée des Mémoires d’un paysan Bas-Breton, rédigées entre 1834 et 1905, par lesquelles un fils de journalier agricole, Jean-Marie Déguignet, raconte sa vie et pourfend, de façon souvent outrancière, tout ce qui le fâche. C’était un homme qui ne mâchait pas ses mots. Il se montre méfiant à l’égard du mouvement régionaliste. Extrait : "C’est bien cela, messieurs les régionalistes monarchisto-jésuitico-cléricafardo-bretons. Votre but serait de renfermer les pauvres Bretons dans leurs vieilles traditions sauvages, dans leur langue barbare, dans leurs croyances stupides, afin que vous puissiez toujours par leur art et votre industrie spéciale bien les exploiter, en en tirant le plus de suc possible."

Enfin, il faut rappeler qu’Ernest Renan, célèbre par la définition de la nation qu’il donna dans son discours de 1882 Qu’est-ce qu’une nation ?, était né à Tréguier en Côtes-d’Armor, en Bretagne ! Quelle meilleure preuve, outre le sang versé pour la France, de l’attachement des Bretons pour leur pays ?

La question aujourd’hui n’est plus tant celle de l’autonomie que celle de l’intégration dans l’Europe et celle de la restauration de l’intégrité du territoire breton historique.

La Bretagne, combien de divisions ?

Il existe quatre départements bretons officiellement. Mais historiquement et dans le coeur des bretons : cinq départements, Loire-Atlantique incluse. Six départements disent d’aucuns car la population bretonne de Paris équivaut à celle d’un département breton !

Chacun sait que la Bretagne historique a toujours inclus une grande partie du territoire actuel couvert par la Loire atlantique. Nantes était le siège du duché de Bretagne jusqu’au rattachement de ce pays à la France par mariage d’Anne de Bretagne avec les souverains français. C’est en 1941 que le maréchal Pétain décide de séparer le département appelé alors "Loire inférieure" de la Bretagne administrative. Depuis, les choses sont restées inchangées malgré des revendications fortes et réitérées de rétablir des frontières plus conformes à la réalité culturelle et historique. Le gouvernement Raffarin a légalisé les référendums locaux et rendu possible, techniquement, cette réunification. Voici un clip du groupe Tri Yann qui après avoir entonné l’hymne breton Bro goz ma zadou évoque librement cette question.

YouTube Tri Yann parle de l’identité régionale bretonne.

La culture bretonne aujourd’hui :

C’est le succès populaire consécutif à la publication du Barzazh Breizh et du manifeste de Morvan Lebesque qui est à l’origine du renouveau de la culture bretonne qui a pu se décoloniser dans les années 1960 à travers les chanteurs et les bardes comme Alan Stivell. Mais la culture bretonne est avant tout vivante grâce aux paysans, au petit peuple.

La Bretagne, historiquement de tradition orale, est devenue la première région en matière d’édition de livres comme de disques. 150 éditeurs sont bretons. Encore faut-il ajouter que la culture bretonne ne passe pas que par l’écrit et que la tradition orale se perpétue toujours par la chanson, la musique, le conte, les nombreuses festivités (les festou noz, les festivals nombreux). La culture bretonne sait désormais vivre en dehors du simple folklore pour touristes. Lorsque ces derniers regagnent leurs pénates, les cercles de musiciens bretons ou de danseurs continuent de rendre vivante la culture de leur région. Le phénomène Dan ar Braz atteste de cette continuité. L’essor passe également par une musique qui dépasse les frontières et le brassage des cultures. L’Irlande, la Galicie de Carlos Munez, le Pays de Galles, se mêlent à la musique bretonne qui s’enrichit de ces sonorités jumelles. On est loin aujourd’hui d’une Bretagne caricaturée par Bécassine et Théodore Botrel.

Dans son article Vacances en Bretagne ? Brillez au fest-noz : le kan ha diskan, Masuyer, montre combien le folklore ou la participation festive se complète bien aujourd’hui d’une certaine connaissance culturelle. Mais, constate Erwann Chartier, l’auteur de la biographie sur Morvan Lebesque (Coop Breizh éditeur), "si aujourd’hui, la Bretagne intéresse peu les milieux parisiens, à l’époque c’était encore pire". L’auteur ne passe pas sous silence l’erreur de Morvan Lebesque de s’être laissé gagner - certes sur un temps très court - par un mouvement régionaliste de collaboration sous le gouvernement de Vichy. En 1952, il entrera au Canard enchaîné.

On peut lire sous sa plume des mots de grande tolérance qui dissipent l’ambiguïté, l’erreur des temps funestes «  Je souhaite en Bretagne beaucoup d’"étrangers", pour employer un mot qui pour moi n’a pas de sens ; je souhaite des Juifs, des Arabes, des Noirs, et nous ne logerons pas, nous, les travailleurs immigrants dans des bidonvilles ; ma patrie qui a résisté à quatre siècles de colonialisme n’a pas peur de devenir une terre d’accueil, elle ne craint que la désertion.  »

Morvan Lebesque est mort au Brésil le 4 juillet 1970.

Bibliographie : Comment peut-on être Breton, par Morvan Lebesque éditions Coop Breizh


Lire l'article complet, et les commentaires