L’homme qui aimait la terre, la paix, les arbres

par Orélien Péréol
vendredi 12 août 2022

L’homme qui aimait les arbres de Jean Giono ; mise en scène : Marie-Françoise et Jean-Claude Broche ; avec Patrice Dehent, Laurent Feuillebois ; vu à l’espace Roseau teinturiers ; à Avignon

Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix de Jean Giono adaptation d’Alain Besset et Gregory Bonnefont ; mise en scène d’Alain Besset ; jeu Gregory Bonnefont ; Vu à L'Atelier 44 ; à Avignon

La plupart du temps, on ne connaît Jean Giono que de réputation (bonne réputation). On connaît quelques titres. Il est lié à la Provence, on a l’impression qu’il ne l’a jamais quittée : il est né le 30 mars 1895 et mort le 8 octobre 1970 à Manosque. Il chante la relation à la terre, au travail comme une dignité humaine et, parti de « sa » Provence, il est de plain-pied dans l’universalité humaine. Les deux spectacles que j’ai vus ayant cet auteur comme source sont des leçons d’humilité, de sagesse, de lenteur, de contemplation active.

 

L’homme qui aimait les arbres est comme une veillée de l’ancien temps, quand les villageois allaient les uns chez les autres écouter des histoires. Cinq nouvelles de Jean Giono nous sont dites, une galerie de personnages provençaux, délicieux, simples, humains. Les deux comédiens sont impeccables, d’une justesse admirable. Ils se complètent parfaitement, se relaient, deux compères en foire et nous narrent les aventures tragi-comiques de « héros ». Je me souviens particulièrement du vieux qui a vendu son terrain, parce que les pêchers trop anciens ne donnaient pas assez mais qui ne veut pas que le nouveau propriétaire, son voisin, arrache les arbres. Tout le village est impliqué. Le vieux menace de se jeter du haut du clocher… il se met en travers de la route pour que les autos l’écrasent. A l’époque, les autos sont rares et les conducteurs le verront et s’arrêteront… truculent… le tout dit avec la pointe d’ail et d’humour qu’il faut. Et quand le vieux meurt et que le propriétaire abat enfin les arbres, il en laisse quatre ou cinq pour que le vieux voie, de là où il est, qu’on ne l’oublie pas et qu’on le respecte, dans la vie qui continue et où la destination des champs change de temps en temps.

Une autre histoire qui m’a régalé est celle du berger qui plantait minutieusement des chênes, choisissant les glands, les mouillant la nuit et les enfonçant dans la terre au fond d’un petit puits qu’il faisait à l’aide d’une barre de fer. Ainsi, une forêt poussa, qui parut naturelle. L’administration, toujours un peu bête, ignorante et prétentieuse, fit des fêtes, des manifestations pour honorer l’étrangeté d’une forêt qui avait poussé « toute seule » ! Le responsable de cette « merveille » ne se montra pas…

Cinq histoires provençales qui font de ces vies simples et modestes des aventures et toujours le lien au sol, aux arbres comme accomplissement loyal et magnifique de l’homme.

 

Tout autre est la Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix. Giono l’a écrite à l’été 1938 ; il y évoque la guerre de 14-18 (la grande guerre, mais comment une guerre peut-elle être grande ?) et voit le désir de guerre revenir. Celle qu’on a appelé la der des der ! ne sera pas la dernière. Pour en finir avec la guerre, il faudrait se passer du patriotisme et se passer de l’État. Discours anarcho-pacifiste dru et direct, profond et plein, volontaire…

Giono, écrivain paysan, décrivant un monde agricole vibrant aux rythmes des éléments, des saisons, des pluies, des labours, des semailles, des récoltes… s’engage explicitement pour la paix. On n’ignore pas, il ne peut ignorer ce que les belliqueux font aux pacifistes : que l’on songe aux assassinats d’Henri IV, de Jean Jaurès, de Gandhi, d’Abraham Lincoln… Sans doute que cet engagement pour la paix est du même bois que le fait de voir la beauté de l’homme dans son amour de la terre, aidant les arbres, les bêtes à croitre et se multiplier… du même bois, alors qu’apparemment la politique est d’un tout autre ordre. « Tous les peuples du monde sont prisonniers ». Si la terre ne pouvait être que celle qui colle aux sabots les jours de pluie, la paix serait assuré, celle des proches, de la famille et des voisins. Mais il y a les grands ensembles, les pays, les peuples, les États, avec leurs armées, leurs lois, leurs coutumes… La lutte contre les mères de la guerre est perdue d’avance cependant c’est la seule juste et estimable.

Le point le plus étonnant de cette « lettre » est l’éloge de la pauvreté. C’est la volonté de posséder plus, de consommer plus, donc de produire plus qui fonde tout ce système guerrier. C’est le goût pour la richesse, la recherche de la richesse qui amène ces conflits sans fin. Il nous faudrait aimer la pauvreté, la pauvreté n’est pas le manque, c’est l’économie, au sens propre « d’être économe », de rester petit, avec ce qui nous convient sans vouloir toujours plus, qui nous guérirait de la guerre.

Ce texte admirable est bien servi par Gregory Bonnefont, dans une mise en scène simple et sobre, efficace.

Gregory Bonnefont en scène

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