L’hypersymbolisme après la mort de l’art au 21ème siècle

par Bernard Dugué
mardi 27 mars 2012

En parcourant la dernière livraison de Courrier International, on trouvera un long article édifiant sur la stagnation des formes esthétiques, culturelles et artistiques depuis 20 ans. Partant de ce même constat, je propose cette petite réflexion sur l’hypersymbolisme. Quelques pistes faute de mieux. Un manifeste eut été plus percutant.

 

Réflexions sur un improbable hypersymbolisme conçu comme un art nouveau du 21ème siècle.

 

Le symbolisme s’est défini doublement, en réaction contre les tendances matérialistes et positivistes présentes dans la société française de la fin du 19ème siècle, et en opposition face à divers courants artistiques émanant de plusieurs champs, notamment la littérature et la peinture. Les symbolistes refusaient le naturalisme du Parnasse ainsi que le romantisme. En peinture, Gauguin reprochait aux impressionnistes de n’utiliser que l’œil de chair, alors que le symbolisme se revendique de l’intériorité de l’âme et des actes de sa pensée. Peindre l’Idée, voilà une formule manifeste. Donner aux Idées leurs chair littéraires, tel était l’objectif d’une littérature imprégnée d’imaginaire profond et de rêverie, ce qu’on lui reprocha du reste. Car bien souvent, l’écriture symboliste renvoie à une fuite hors du réel, à une sorte de contemplation d’un monde de là-bas comme aurait dit Plotin, sauf que ce monde est celui de l’inconscient de l’artiste, monde censé être déconnecté des tourments et de l’agitation typique de la ville industrielle en cette fin de siècle.

 

A l’image des deux véhicules du bouddhisme, on peut dire qu’il existe deux tendances symbolistes, l’une transcendante et l’une immanente. Les deux cherchent à travers les symboles et les signes, à interpréter et à transcrire le rapport entre le monde visible et un ordre de réalité caché. C’est ensuite sur cet ordre que divergent les deux courants. D’un côté, il s’agit des forces occultes qui influent sur le monde, domaine de l’inconscient collectif, des archétypes, des dieux et des démons qui pour ainsi dire, participent aux hypostases métaphysique, âme et Logos. D’un autre côté, le domaine de l’inconscient n’est qu’une salle obscure de la psyché humaine et en ce sens, le symbolisme anticipe les découvertes de Freud. En corollaire, on note une opposition entre deux doctrines du Symboles, l’une transcendante et l’autre matérialiste (J-N Illouz, Le Symbolisme, Livre de Poche, p. 243), et je dirais pour ma part, formaliste.

 

L’intention symboliste est universelle et hante la nuit des temps, autant celui de la philosophie que celui de l’Art. Elle possède comme soubassement le sujet universel ; conçu comme doublet empirico-transcendantal disent les savants de Kant à Foucault, ou bien comme doublet corps-pensée si on se réfère à Descartes et corps-esprit dans un sens plus théologique. Ainsi, le propre du symbolisme est d’exprimer à travers des procédés formels et stylistique cet arrière monde de l’âme, voire du cosmos noétique et mythique, pour faire face à ce que les théoriciens de ce mouvement on appelé la platitude naturaliste, visant le Parnasse comme résidu issue de l’épuisement des passions esthétiques romantiques. L’art décrié est celui qui imite les contours objectifs de la Nature et en ce sens, le symbolisme, lointain héritier du Romantisme, s’est constituée comme une Renaissance où la perspective ne concernerait plus la représentation de l’étendue objective mais des salles intérieures de la maison subjective, avec les stratifications de l’âme. Les artistes symbolistes se sont efforcés d’être les spéléologues de l’âme, essayant de descendre dans les salles obscures éclairées d’une lumière tamisée et d’exprimer les trésors et aussi les quelques immondices rencontrés.

 

Un lointain regard porté vers la Grèce hellénistique permettra de situer ce dilemme entre les partisans de l’objectivité et ceux des espaces intérieurs propre à l’âme et au sujet. Dans une certaine mesure, Platon est un explorateur du monde de là-bas où règnent les Idées alors qu’Aristote semble coller de plus près aux formes de la matière, des étants, ainsi qu’aux essences qui participent à leur génération. Pour mener cette démarche qu’on qualifierait de scientifique et d’empirique, Aristote accordait une importance à l’observation de ce qui se passe et se trouve dans le monde, sans pour autant négliger la vie théorétique liée notamment à l’usage de la raison et de la pensée. Cela dit, si un schème ontologique universel relie les démarches antiques et moderne, on se gardera d’amalgamer la situation du symbolisme à un simple platonisme, même si par certains côtés, la figure de Platon est présente à travers les « intentions idéisantes » de la fin du 19ème siècle, époque marquée par les bouleversements que l’on sait, notamment au niveau de l’équilibre entre les vies théorétiques, contemplatives et la frénésie matérialiste qui s’empare des individus dans les grandes villes modernes. Pour compléter ce diptyque monde et pensée qui sous-tends les démarches inventives et créatrices de l’homme et tout spécialement des artistes et encore plus spécifiquement des symbolistes, on mentionne une vieille affaire, celle de Pyrrhon et des sceptiques. Voici un commentaire issu de la désormais classique étude de Brochard publiée en 1884.

 

« L’école mégarique procède du même esprit que le platonisme. L’important était de montrer qu’entre ces deux tendances qui sollicitent à cette époque l’esprit grec, et peut-être en tout temps l’esprit humain, l’une vers l’observation, l’expérience et les faits, l’autre vers l’analyse psychologique, la dialectique et l’éloquence (ou, comme nous dirions à présent, l’une scientifique, l’autre littéraire), c’est à la première que se rattache le pyrrhonisme, à la seconde la nouvelle académie) « (Brochard, les sceptiques grecs, Livre de Poche, p. 112).

 

Le rapprochement avec les sceptiques n’est pas fortuit puisque selon ce même Brochard, les positivistes, scientistes et matérialistes de la fin du 19ème siècle furent considérés comme les nouveaux sceptiques face aux philosophes se réclamant de l’intériorité, la conscience, bref, spiritualistes comme le plus fameux d’entre eux, Bergson. Mais la comparaison s’arrête là. Le motif fondamental, c’est le rapport entre le monde et la pensée. Et au centre de cet entrelacs l’homme et plus spécifiquement le créateur artistique élabore des actions et des œuvres qui ne peuvent s’assimiler à la pensée pure car elle doivent s’exprimer comme formes dans un champ d’expression objectif, mais qui ne sont pas pour autant égale aux formes de la Nature, même si quelques artistes se réclament du naturalisme. Platon n’aurait pas spécialement apprécié les naturalistes, le considérant comme de simples imitateurs par opposition aux symbolistes dont l’objectif est d’habiller les Idées d’une tunique formelle. Et ce sens, les symbolistes sont de véritables artisans, au même titre que le démiurge du Timée. Mais leur accointance avec le platonisme et ses mystères ne leur accorde pas une visibilité dans une Nation connue pour ses penchants envers l’ordre, les rapports définis, les clôtures sémiotiques. Euripide plutôt qu’Hésiode, la poétique d’Aristote plutôt que le hiéroglyphe de la République de Platon, voilà où se situe l’esprit français (voir Curtius, Essai sur la France, Editions de l’Aube). Si les Idées sont des problèmes pour Deleuze, alors les symbolistes expriment des mystères. Les mystères seraient-il la solution des problèmes posés par les Idées ?

 

Telle ne fut pas la question lorsque le symbolisme s’éteignit au tournant du siècle. Certains ont essayé d’en sauver la part platonicienne. Saint-Pol Roux plaidait pour un « idéoréalisme » visant à réunir étroitement l’idée et le réel le plus quotidien. Autrement dit, il faut organiser une communication entre les expressions du monde et les expressions du Moi le plus profond, censé être la source des Idées. Bref, toujours la trace des hypostases plotiniennes mais dans le monde du Sujet. S’agissant du symbolisme, Curtius évoqué une littérature anémié et sans doute que le destin des Idées, si elles sont d’une hypostase incarnée en l’homme, est justement de ne pas se complaire dans une stase mais de s’épandre, en une ex-stase on dira. Le surréalisme ne fut-il pas alors ce moment ex-statique de l’Art ? Peut-on entendre dans ce mouvement l’expression d’une émanation de l’artiste visant à percuter le sujet au fond de son âme au lieu de lui offrir une fenêtre, et ce en jouant sur l’intensité des symboles et des idées ? Mais contrairement à l’émanatisme plotininien, les hypostases ne sont pas dépendantes de l’Un mais au fond de l’âme humaine, dans les profondeurs de l’inconscient, ce qui justifia le plaidoyer pour l’écriture automatique comme technique à même de bloquer les filtrages conscients qui contrôlent l’expression d’une pensée référencé, normée. Si on veut être précis, l’hypostase subjective de l’artiste surréaliste est avant toutes chose l’âme. Celle-ci apporte quelques éléments de l’Intellect-Logos, et donc quelques Idées, mais sans qu’on puisse y voir une cohérence d’ensemble. A travers l’œuvre, la vie se déverse comme un flux intenses d’idées et d’affects, un gai chaos qui n’est pas étranger au matérialisme joyeux d’un Diderot. Il faut dire que les Lumières et le Surréalisme ont en commun un oui à la vie. Mais après, les objectifs et les compréhensions sont toutes autres.

 

Pour résumer, cette question du Symbolisme se place sur trois axes. Premièrement il est question de mouvements, d’époques et de dates évoquant la compréhension de l’existence que livrent les artistes au sein d’un même Art. Des relations d’opposition ou de complémentarité relient les mouvances entre elles, selon des modes diachronique ou synchronique. Autrement dit et à titre d’exemple, le Symbolisme s’oppose au Parnasse qui le précède et face auquel il veut succéder comme art nouveau, mais il s’oppose aussi au naturalisme d’un Zola qui est contemporain. Puis le Surréalisme est un dépassement du Symbolisme. Deuxièmement, les arts s’influencent mutuellement et l’on connaît le rôle de la musique, notamment Wagner puis Debussy, dans les œuvres et propos d’un Mallarmé ou bien des romanciers symbolistes. Plus récemment, Kerouac témoigne d’une influence du jazz et de l’énergie qu’il véhicula. Troisièmement, tout art se positionne en reflétant un équilibre entre les trois hypostases subjectives que sont le corps-monde-technique, l’âme tourmentée entre lumière et obscurité, et enfin l’hypostase de l’Intellect-Logos qui est entrelacée à celle de l’Amour. Il est un fait bien connu que la principale quête autant qu’enquête des romanciers français reste bel et bien le champ indéfini des relations amoureuses se déclinant entre Eros et Agape, face à l’abîme infernal et sous l’espérance de la grâce rédemptrice. Le Bien l’emporte sur l’Intellect et les Idées laissées aux génies métaphysiques de l’Allemagne.

 

Métaphore. Les électrons obéissent au principe de Pauli et occupent chacun un niveau d’énergie différent qui est aussi un niveau de forme. L’artiste joue sur les plans et la distribution des énergies. Il est électron libre lui-même et navigue d’une hypostase à une autre, organise les tourments, les passages, les choix où l’existence se comprend réflexivement d’une hypostase à l’autre, avec soi et les autres. Corps à corps, face à face, empathies, sympathies et antipathies…

 

Le cinéma a suivi la musique, la peinture et la littérature. Les tendances du roman se retrouvent dans les scénarios, l’art pictural influe sur l’image et la musique sur le rythme, autrement dit le chronotope des plans successifs.

 

L’Hypersymbolisme se définit sommairement comme le futurisme élevé à la puissance des Idées. Redonner la place au Logos. Serait-ce un Art qui pense ? Le cinéma, la littérature, la peinture, la science… pensent-ils ?

 


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