La bataille de Solferino
par Orélien Péréol
vendredi 11 octobre 2013
Ce film a été créé par un moyen nouveau, inédit. D’une certaine façon, c’est une histoire comme la plupart des films ; d’une autre façon, on n’avait jamais vu ça : environ 35 minutes du film ont été tournées dans la rue, dans des lieux publics, au milieu de gens (en foule) qui ne savaient pas qu’ils participaient à un film. Un des intérêts à procéder ainsi est dans la liberté économique : moins besoin d’argent, moins de dépendance du système ordinaire de production du cinéma. Il y a surtout un intérêt cinématographique à faire naître des scènes par la disponibilité à ce qui se passe vraiment, à ce qui arrive.
La bataille de Solferino n’est pas le tournage et montage d’un scenario, il est avant tout un dispositif de captation d’images. C’est un « moteur » de cinéma, un « véhicule » si vous préférez. Ce véhicule est sous-tendu par un squelette de scenario bien sûr, il y a bien quelque chose avant que la première image soit mise en boîte, mais c’est avec les images que se créera le film. L’expression squelette de scenario n’a pas un sens négatif ici. Squelette ne signifie pas une réduction drastique du scenario, le rendant inopérant, critiquable, ridicule, squelette signifie une structure vivante, préalable sur laquelle s’attache le vivant, qui créé le cinéma.
En tant que la bataille de Solferino est un moteur ou un véhicule cinématographique, on pourrait imaginer que d’autres films naissent avec des moteurs semblables. Il est un processus de création cinématographique, profondément cinématographique, dans la mesure où aucun autre art ne pourrait prendre comme départ et fonctionnement un tel moteur et dans la mesure où cette subversion du cinéma institué, courant, ordinaire, se pose au cœur de sa conception, dans ce qui est considéré, la plupart du temps, comme une antériorité : la production.
Pour les spectateurs comme pour la plupart des analystes, critiques, professeurs des écoles de cinéma… la production est en amont de la réalisation. La production n’est pas du même ordre que la réalisation, elle est technique, financière et est censée permettre une libre expression du réalisateur. En fait, les interactions (dans les deux sens donc) entre production et réalisation sont multiples, ces interactions sont un tissage de mille fils qui rendent indéchiffrables leur part respective au résultat final, comme le vin dans l’eau, en quelque sorte.
Dans la bataille de Solferino, les images prises à la foule sont franchement volées. Elles contiennent nécessairement des moments inattendus qu’il faut saisir, capter comme on capture un animal sauvage au lasso. C’est un film de raid cinématographique dans la ville, dans un événement fort de la vie politique française, fait par sept ou huit commandos.
On n’y voit des choses qu’on ne voyait pas avant. On y voit de très jeunes enfants pleurer. Ni on ne photographie, ni on ne filme des enfants en pleurs ; on console un enfant en pleurs, c’est une obligation, si on le peut car les enfants n’acceptent de se faire consoler que par certaines personnes… La conséquence en est qu’on ne voit jamais au cinéma des enfants pleurer. Les enfants ne jouent pas. Ici, il semble que la scène n’était pas prévue ainsi, les enfants pleuraient dès que leurs parents disparaissaient, elle a donc été tournée ainsi… et a transformé le scenario, a pris sa place dans un scenario modifié par ce qui se passait vraiment.
Avec une telle subversion des processus de création/production, ce film n’est pas dans la pensée unique sur les relations homme-femme. Beaucoup de critiques parlent du caractère déjanté du père, souvent pour encenser le travail de comédien de Vincent Macaigne. Alors que la femme est tout aussi déjantée que l’homme. Elle n’est vraiment pas rassurante pour ses enfants. Elle les fait passer après tous les autres éléments de sa vie (son boulot, ses amours). Elle choisit un baby-sitter on ne peut plus incompétent, non préparé. Elle demande à ce baby-sitter d’emmener les enfants dans la foule, un endroit on ne peut plus inadapté et dangereux, sous couvert de les protéger de la violence de leur père. Et une fois qu’ils y sont, alors qu’ils sont bien plus mal-à-l’aise et en danger que chez eux, elle ne s’en occupe pas particulièrement.
Le policier qui auditionne le père n’en croit pas ses oreilles et l’accable lui aussi : la femme a demandé un baby-sitter pour qu’il emmène les enfants au boulot avec elle ! C’est incroyable. Ce sont les propos du père qui non seulement ne sont pas crus mais lui valent une suspicion de mauvaise foi, de dire n’importe quoi. C’est le fautif, alors qu’elle a vraiment fait ça et qu’il ne peut pourtant rien dire d’autre.
Dominique Bertinotti, ministre de la Famille, dit que la décision du juge n’a pas résolu le problème intime de la dispute entre ces deux parents et qu’il faudrait de la médiation. C’est toujours cette même erreur : le juge n’a pas respecté l’égalité de traitement des deux partis et a donné tout le bien à la femme et tout le mal à l’homme, développant ou même enclenchant chez l’homme de réelles difficultés qui emblent ensuite faire la preuve du bienfondé de la décision.
La bataille de Solferino a le mérite de ne pas participer à ce flot, cette pensée unique, de ne participer à aucune pensée unique, c’est un film de contrebande et de contrebandiers. Il donne une tranche de vie dans sa complexité et au milieu du monde (l’élection de François Hollande) dans sa complexité. Pour cela merci.