La Callas, légendaire et tragique
par Armelle Barguillet Hauteloire
lundi 18 août 2008
Inoubliable, inoubliée, La Callas continue de déchaîner la passion des amoureux du bel canto. Sa carrière, sa vie se sont mêlées pour le meilleur et pour le pire.
Trente ans après sa mort le 16 septembre 1977, Maria Callas émeut toujours par ce mystère qui lui était particulier et mêlait l’art lyrique aux scandales des revues et journaux "people", tant cette femme se mit en danger aussi bien sur les scènes du monde entier que dans sa vie personnelle. Elle dut ses débuts dans l’art lyrique à un remplacement de toute dernière minute dans le rôle-titre de La Tosca de Puccini à l’opéra d’Athènes. Voilà pour son premier succès. Puis, revenue en 1945 à New York, où elle était née, elle passa dix-huit mois à arpenter désespérément les coulisses des théâtres, auditionna et essuya refus sur refus. Voilà pour les premiers échecs. Heureusement la jeune femme avait du caractère, de ces caractères trempés dans l’acier qui font les êtres d’exception. Par chance aussi, un ami de son père finit par lui décrocher un rendez-vous avec Giovanni Zenatello, un homme à la recherche de voix nouvelles qui, dès les premières mesures de son audition, l’engagea pour le rôle-titre de La Gioconda de Ponchielli pour lequel elle fut acclamée à Vérone.
Une autre rencontre va définitivement orienter sa vie de cantatrice : celle de Giovanni Meneghini qui deviendra son imprésario, ensuite son amant, en 1949 son mari et conduira sa carrière d’une poigne de fer, mais avec discernement et compétence, au point de l’imposer sur les plus grandes scènes de la planète et de faire de chacune de ses apparitions un triomphe sans partage. Les représentations de mai 1955 à Milan sous la baguette de Carlo Maria Giulini et dans la mise en scène de Luchino Visconti sont entrées dans la légende du bel Canto comme inoubliables, incomparables, en quelque sorte historiques, voire... du siècle.
C’est à cette époque que La Callas perd 40 kg du quintal qui l’alourdissait et se métamorphose en une déesse sublime qui séduit non seulement par la tessiture de sa voix, mais par son talent d’interprète capable de conférer à ses personnages une puissance expressive peu habituelle sur les scènes lyriques. Hubert von Karajan la dirigera à Milan en 1955, lui arrachant des accents impressionnants dans Madame Butterfly de Puccini ; Leonard Bernstein, la même année, la fera vibrer dans La Somnambule de Bellini et Tullio Serafin en fera autant avec Lucia di Lammermoor de Donizetti. Ainsi Maria Callas fonde-t-elle son art sur un travail acharné de chanteuse et de tragédienne et consume-t-elle sa vie sur les planches afin de convaincre son public et l’initier à l’art suprême de la musique. Et elle y parviendra... tant elle sait être émouvante, pénétrée par le destin de celles qu’elle a à charge d’incarner.
C’est alors qu’a lieu sa rencontre avec Aristote Onassis, un Grec comme elle, qui, enfant, mendiait sa pitance avec des raisins secs et qui, désormais, écrase sous ses dollars jusqu’à son rival Niarchos. Pour Maria Callas, l’idylle qui s’amorce sur le yacht de l’armateur annonce déjà la fin de sa carrière. L’amour qu’elle éprouve pour cet homme sans cesse absent, mais qui sait la couvrir de fleurs et de bijoux quand il le faut, portera un coup fatal à sa voix qu’elle ne travaille plus assez. En 1965, elle fait ses adieux à Paris, puis à Londres, avec une dernière Tosca qui arrache des larmes à ses adorateurs. Son destin est scellé, d’autant plus que Meneghini n’est plus là pour la conseiller sur le plan professionnel. La plus grande voix du siècle, aux dires de nombreux mélomanes, vient de se taire à jamais. Ne reste plus que le chagrin et les scandales qu’une presse avide à suivre ses faits et gestes et à se gausser du mariage surprise d’Onassis avec Jackie Kennedy se plaira à perpétrer, sans se soucier des dégâts qu’elle génère. Pour Maria, toujours amoureuse, c’est le coup de grâce. Elle dira un jour : "J’ai commencé à perdre du poids, ensuite ma voix et pour finir Aristote". C’en est trop. La pharmacopée va peu à peu prendre le pas sur la nourriture et l’écoute réitérée de ses propres disques sur l’enregistrement de nouvelles gravures. Malgré une carrière brisée trop tôt, Maria Callas aura tracé, sans l’avoir réellement voulu, les frontières entre un avant et un après, ce, grâce à un tempérament hors du commun, à une sorte de démesure dans l’interprétation, à sa façon d’habiter un texte, n’autorisant plus les chanteurs, qui assureront la relève, à débiter le leur sans s’y investir. Dans ce domaine de l’art lyrique, elle fut une véritable novatrice, une magicienne qui transportait le spectateur tout ensemble par son timbre vocal et par la passion, la ferveur qui l’animaient. La cantatrice savait, ô combien ! que la voix est un bien fragile, qu’elle n’est là qu’un moment, miraculeusement, qu’elle passe et ne revient pas. Tel est ce dur métier, si proche de celui de l’équilibriste sur son fil, dont les badauds guettent anxieusement la chute. Tel fut aussi son mérite : s’effacer et renaître sans cesse. Eternelle Callas...