« La Cerisaie » de Clément Hervieu-Léger au plus près du naturel impressionniste

par Theothea.com
vendredi 26 novembre 2021

Certes, la perspective de voir et revoir cette pièce de Tchékhov est, à chaque fois, un plaisir récurrent inextinguible.

Savoir qu’un metteur en scène s’est à nouveau impliqué pour en extraire une intimité subjective qui, en retour, fera écho aux versions précédemment appréciées, est en soi un agrément à nul autre pareil.

 

LA CERISAIE
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

  

Car « La Cerisaie », c’est toute la nostalgie d’une époque s’apprêtant, qu’on le veuille ou non, à faire place nette à une autre vie… peut-être plus prometteuse mais en sachant pertinemment que l’on y perdra sans doute ce qu’il y a de plus cher… ce à quoi on tenait par-dessus tout.

Et à chaque fois, cet enjeu s’esquisse avec la personnalité des comédiens forcément investis au plus profond d’eux-mêmes selon une mise en scène qui accentuera, selon sa palette spécifique, telle ou telle dimension émotionnelle.

Loin de toute surenchère des sentiments, Clément Hervieu-léger cherche, lui, à atteindre l’évidence naturelle, en s’appuyant sur le ressenti des personnages, pour construire des êtres en osmose avec leur destinée assumée.

Cette volonté de justesse de ton est communicative avec celle de la créativité mise au service de cette production à la Comédie Française au travers de tous ses talents artisanaux.

Ainsi en est-il du décor à juste titre très explicite dans les intentions de ses concepteurs souhaitant d’une part faire lien entre intériorité et extériorité, d’autre part laisser l’expression libre à tous les possibles qui surviendraient au fil des répétitions.

 

LA CERISAIE
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

  

Faisant, par exemple, le choix d’une rusticité de bon aloi, le bois et la teinte vert/bleu font dominante avantageuse d’un tel dessein en élevant une sorte d’écran charpenté au premier tiers de la profondeur scénique.

Durant une période transitoire, une partie de cette applique frontale s’ouvrira sur elle-même, telle une porte sur ses charnières, afin de découvrir la totalité de cette profondeur de champ laissée à cet instant disponible pour la fête organisée lors du retour attendu de Lopakhine qui s’était absenté pour cause de mise aux enchères de la maison avec sa cerisaie.

Le bal champêtre qui y est improvisé se présente comme le temps fort de cette réalisation en entraînant momentanément les esprits et les cœurs loin de toutes les contingences convoquées au sein de ce milieu aristocratique en voie de déchéance.

De fait ce décor, faisant la part belle aux signes reconstituant notamment toute la généalogie de ceux qui y vécurent à travers photos, tableaux et autres objets muraux, se présente comme une avancée montant très haut vers les cintres, davantage à la manière d’une grange réhabilitée plutôt qu’une d’une maisonnée élaborée autour d’un chaleureux âtre domestique.

Ce parti pris scénographique éminemment respectable n’est pas pour autant en mesure de suggérer, de manière palpable, l’affectivité qui pourrait relier intimement chacun des protagonistes à son vécu rural dans ce havre protecteur.

 

LA CERISAIE
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

  

Il en résulte une forme de distanciation virtuelle que chacun pourra exprimer en se recentrant sur le texte à incarner parmi ses acolytes familiaux.

Disons que l’intensité ressentie aura tendance à venir essentiellement de la nostalgie évoquée face à la peinture évocatrice de la cerisaie exposée plein centre plutôt que d’un réel rapport charnel à l’ensemble du lieu ainsi élaboré de manière exclusivement symbolique.

Cependant les comédiens du Français sont bel et bien au rendez-vous du geste artistique permettant à Tchekhov de s’y sentir bien chez lui.

Faisant équipe, leurs liens de connaissance réciproque d’autant plus renforcés durant les périodes de confinement (en raison paradoxale de leurs multiples projets de vidéos numériques), font choc convivial avec cette dynastie russe qui nous est si familière.

Dans une superbe dualité au sommet, Florence Viala et Loïc Corbery oeuvrent à pleine crédibilité au charme évanescent prêt à se dissoudre en direct sous les sirènes du profit escompté.

 

LA CERISAIE
© Theothea.com

  

De la même façon, au fil de la lutte contradictoire que s’y mènent l’oisiveté factuelle, le déficit culturel et l’appel au travail, l’ensemble de la distribution contribue aux particularités savoureuses imprégnées dans cette œuvre ultime du dramaturge russe au soir de sa vie pour en faire un fleuron patrimonial qui ne cessera jamais d’être plébiscité sur toutes les planches du monde aspirant au surcroît de civilisation.

    
Photos 1 à 3 © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française
Photos 2 & 4 © Theothea.com

   
LA CERISAIE - ***. Theothea.com - d' Anton Tchekhov - mise en scène Clément Hervieu-Léger - avec Michel Favory, Véronique Vella, Éric Génovèse, Florence Viala, Julie Sicard, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Adeline d'Hermy, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux, Anna Cervinka, Rebecca Marder, Julien Frison et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Vianney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Jouffroy, Emma Laristan - Comédie Française / Salle Richelieu

 

LA CERISAIE
© Theothea.com

    


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