La chanson, clef de la mémoire collective lilloise ?

par kaloutch
samedi 10 septembre 2011

Vive Le Patrimoine !

A une époque où l'on se préoccupe beaucoup du patrimoine, de sa mise en valeur, de son animation , il semblerait que sa composante "mémoire", immatérielle par définition , en soit le parent pauvre.

On ne sait pas trop comment la présenter, l'animer. Certes il ya des initiatives : expos, livres, club de paroles d'habitants... mais en général cela reste une affaire de bénévoles associatifs plein de bonne volonté, souvent qualifiés de gentils et sympathiques. Et pourtant ces animations nécessitent autant de compétences que la rénovation de la pierre.

Une résistance importante : il y a un fort souhait des autorités de ... modération pour employer le mot à la mode synonyme de censure. Ainsi un village de la France profonde où la foule a dévoré un homme, un lieu où la Kommandantur fut un peu trop confortablement installée ne souhaite pas trop exhiber cette partie de mémoire. A Lille, on est certes fier d'y avoir chanté pour la première fois l'internationale, mais beaucoup moins des ravages humains, les foyers de misère provoqués par l'essor du textile.

La mémoire n'est pas l'histoire, mais la façon dont "les gens" l'ont vécu. Sur un fait "il est une histoire et mille mémoires".

Beaucoup d'auteurs ont fait allusion à la malédiction qui plane sur la mémoire populaire (exemple :Michel Ragon dans l'histoire de la littérature prolétarienne). Tous les prolétaires qui ont accédé aux "choses de l'esprit" et à la création, notamment la littérature se sont vus exclus de leur groupe social. Au regard de cette logique, je n'ai donc aucune illusion sur l'impact de mon article.

Je suis passionné par la mémoire sous toutes ses formes au point d'avoir créé "Chante-mémoire" (une entreprise personnelle aujourd'hui disparue). Je suis de ceux qui pensent qu'une chanson va plus droit au coeur du peuple qu'un traité d'ethnologie. Pour parler "aux gens" de leurs racines, mieux vaut chanter que jargonner.

Ce que je vais vous raconter et vous faire entendre (si vous le souhaitez) ci-dessous, vise à en faire la démonstration. Que vous connaissiez ou non la ville de Lille, vous allez découvrir une façon d'en ouvrir les portes différentes. On y va ?

Monsieur Alexandre Desrousseaux a écrit et composé le "petit quinquin", la chanson de référence du Nord.

On ne s'arrête plus aux paroles (en patois). Heureusement car elle raconte un milieu terrifiant : celui qui inspira Hugo dans châtiments ("Un jour je descendis dans les caves de Lille ; Je vis ce morne enfer...").

Par exemple, lorsque la maman dit "j'irai dégager tin biau sarrau" cela signifie aller rechercher au clou (mont de piété) le sarrau ( blouse de travail) preuve qu'on ne roule pas sur l'or...

Le répertoire complet de Desrousseaux est de plus de 400 chansons qui racontent par les menus détails la vie "des gens de Saint Sauveur". Une mine d'information sur la vie du peuple, ses coutumes, des qualités et ses défauts. De cela, il ne reste que quelques poncifs :la fète du broquelet, la braderie, le quinquin, les frites, les moules et la bière.

Alexandre avait prévenu. En, parlant de ses chansons il disait :

"...Vous n'irez point avec Sénèque / Remplir un illustre casier
Vous aurez pour bibliothèque / la mémoire de l'ouvrier
."

Et encore , il n'avait pas prévu que les ouvriers, tels qu'ils les avait connus n'existeraient plus quelques décennies plus tard ( dintellières et fileurs sont des lointains souvenirs).

Je vais donc faire l'expérience de vous raconter quelques bouts de mémoire de Lille en chanson.


Imaginez que vous soyez au cabaret de la mémoire ( le rêve est gratuit !)

Les chansons se trouvent ici (en intégralité) : http://arkalao.viens.la/memlille/
accompagnées de quelques vidéos.
Voici les quelques mots que je pourrais dire pour introduire ces chansons :

Au cabaret de Jeanne  :

Elle a peut-être existé. On l'appelait Jeanne la maillote, la fille de célestin Maillot, patron de l'auberge du cabaret de l'arc où se réunissait les archers du serment de Saint Sébastien.
A la tête d'une armée de femmes, elle aurait repoussé une horde de "hurlus" venus pour assiéger la ville. Elle partage avec une autre Jeanne le triste privilège d'être récupérée par des extrémistes fachos ...

Motte châtelaine

La motte féodale se situait à l'endroit où se dresse actuellement Notre dame de la Treille. C'est le point d'origine de la cité, le seul qui était hors d'eau.Elle marquait un carrefour des routes Nord-sud et Est-Ouest. Pour raconter aux enfants la naissance de la ville j'ai inventé cette histoire plus romantique que celle, guerrière, de lyderic et Phinaert où Clovis serait apparu... six ans après sa mort.
 

Pierre Degeyter

Pierre et La lyre

Gustave Delory, le premier maire ouvrier de Lille avait reçu un recueil de poèmes de Charles Cros signé Eugène Pottier dont une page lui avait particulièrement plu. Il demanda à un certain Pierre Degeyter de la mettre en musique. Ainsi naquit le plus grand hymne révolutionnaire de tous les temps...

La Ballade de Marie Jeanne

Si je connais si bien l'histoire des caves de Lille, c'est parce qu'une partie de ma famille en est issue à quelques générations près. J'ai donc raconté l'histoire de cette Marie Jeanne qui sortit de ce morne enfer tout comme Alexandre Desrousseaux en apprenant à lire ...

Au bord du Canal du cirque

La mémoire de l'eau

Si Lille n'avait pas renfloué ses nombreux canaux, elle disputerait à Bruges le nom de Venise du Nord... Avec un peu de patience et d'observation, on retrouve les signes de cette époque. On pourrait appeler cela touristiquement "la mémoire de l'eau"...


livre réalisé par un collectif d'habitants à Lille sud

Le petit beur des biscottes

Lille sud est un des plus haut lieux de mosaïque et de conflits culturels. On y a démoli un ensemble HLM appelé "les biscottes" peuplé de nombreux "seconde et troisième génération". Des petits beurs dans des biscottes, l'idée était tentante.

Mon ile mon port

Le quartier des bois blancs est (presque) une île. De plus son histoire s'est construite d'une façon très semblable à la cité. Ce quartier a conservé beaucoup de charmes et surtout de liens sociaux ( comme on dit maintenant). C'est un vieil habitant du quartier qui en parle simplement : la battellerie, le textile, les fêtes de quartier.

Le terrier de la loutre

De l'autre côté de l'atlantique, le terrier de la loutre s'appelle "catiche". C'est aussi le nom donné aux galeries qui sont restées après qu'on en eut extrait "les blancs caillots" ( pierre de taille) pour construire, notamment, la reine des citadelles. Elles sont demeurées un objet de légende et de fantasme : un trésor caché, un lac bleu, des fantômes ... On ne peut pas en visiter à Lille où elles sont dangereuses mais à Lezennes . On y affine le fromage et on y cultive la barbe de capucins (salade du genre de l'endive).

Momo de Wazemmes

Wazemmes est certainement l'un des quartier les plus colorés de France. Premier quartier d'accueil de populations immigrées, il est réputé pour son marché où l'on trouve paraît-il, le choix d'épice le plus riche au nord de la méditérannée. C'est aussi un quartier de "traineux" comme ce Momo qui les représente un peu tous... Existe t-il vraiment ? S'appelle t-il Mohammed ou Maurice ?

Mimi pinpin de la clef

Le vieux Lille aujourd'hui entièrement rénové est un quartier hautement bobo. Mais il y a moins de 50 ans c'était encore un coupe-jarret, un repaire de drôles de capenoules (sale gosses) et surtout un haut lieu de prostitution. Cette Mimi pinpin de la clef du nom de la rue où elle excerçait, et elle est passée par de nombreux lieux (rubanneries, usine de tabac, port marchand, abattoirs...). Elle est certainement le meilleur guide pour en raconter la vraie histoire.

 On le comprendra : la plupart de ces textes ont été écrits sur la base de témoignages réels.


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