La Clef de Guillaume Nicloux
par Nikos Ramus
samedi 3 janvier 2009
Depuis peu Eric Vincent, trentenaire sans histoire, a un fort sentiment de malaise. Est-ce la peur d’avoir un enfant ou celle de voir brutalement resurgir le fantôme d’un père qu’il n’a jamais connu ?
Un matin, un inconnu l’appelle pour lui proposer de récupérer les cendres de son père. D’abord réticent, il finit par accepter et se retrouve plongé au coeur d’une machination infernale.
Cela faisait un bail que je voulais m’attaquer à la critique de "La Clef" mais faute de temps je remettais ce travail à plus tard. Et puis ce matin, j’ai décidé de m’y mettre. Pour vous donner l’envie d’offrir le DVD à vos amis.
J’ai lu pas mal de mauvaises critiques à propos de ce film. Mais comme le dit Nicloux lui-même, "Ce n’est pas un film pour les gens qui ont aimé American Gangster". Rien d’anormal donc à ce que certains spectateurs aient été déçus ou sur leur faim. Beaucoup avaient sans doute en tête "Ne le dis à Personne" avec Guillaume Cannet et imaginaient que "La Clef" s’inscrivait dans la même veine.
Non, "La Clef" n’est pas un film populo où le héros rectifie la gueule à tous les méchants qu’il croise. Bien entendu, je ne parle pas ici de "Ne le dis à Personne" qui est un excellent film bien que très différent)
"La Clef" c’est autre chose : Une merveille de noirceur dans lequel Nicloux peaufine son art du film de genre. A partir de là, ceux qui savaient à quoi s’attendre n’ont pas trompés par la marchandise.
Bluffant.
On va commencer par le début. Et on va faire simple. "La Clef" C’est l’histoire d’un "trentenaire sans histoire" justement. L’histoire de d’un couple ordinaire dévoré par la routine. Dés le début on voit bien que Canet a un réel positionnement dans son couple. Un malaise.
Mais de la banalité surgit le mal. L’arrivé de Rochefort est comme le grain de sable qui enraie la machine.
Et tout bascule.
Canet se retrouve prit dans une sale machination. Rapidement dépassé par les événements, son enquête se transforme vite en quête de soi.
Plus "Intéressé par les fleurs qui pussent sur un tas de merde que l’inverse", Nicloux nous balade dans un univers à la Raymond Carver. Comme l’écrivain qu’il admire, le réalisateur sait installer des atmosphères vénéneuses. Aire d’autoroute, zone pavillonnaire, sous-bois. Ambiance. Le climat s’installe tranquillement. L’angoisse monte lentement. Tout en sobriété.
Nicloux monter une fois de plus sa maîtrise. Sa capacité à générer un malaise dérangeant n’est plus à prouver.
Mais l’intérêt du film et sa complexité se cache dans sa structure narrative. En effet, l’intrigue se déroule sur plusieurs époques. Trois trames en parallèle. Trois chemins.
Nicloux avoue avoir travailler de la même façon que pour "Une affaire prive" et "Cette femme-là". Une écriture instinctive. Sans savoir où il allait. Sans avoir une vision de la façon dont tout ça va s’emboîter. Se terminer. Complexe mais dans l’univers de Nicloux, la mayonnaise prend facilement.
Les dialogues sont courts. Percutants.
Le travail de Nicloux et Pierre Trividic est une vraie réussite.
Un film c’est avant tout des comédiens. Nicloux le sait et, comme a chaque fois, les acteurs sont une pièce importante de l’oeuvre. Marque de fabrique du cinéaste, on retrouve des acteurs à contre-emploi. Des gueules connues dans l’univers de Nicloux : Josiane Balasko et un Thierry Lhermitte effrayant ( Jamais été aussi bon que filmé par Nicloux )
Guillaume Canet parfait et remarque dans ce rôle de type lambda dépassé par les événements.
Marie Gillain est sublime, à fleur de peau. Abîmé et débordante d’une mélancolie très touchante.
Ses scènes de confrontations avec Canet sont des petits bijoux d’émotion. Sans lyrisme et sans fioritures.
Je ne connaissais pas Marie Gillain avant ce film : Une revelation pour moi.
Le filmage est aussi à applaudir. La mise en scène occupe aussi l’un des rôles principaux.
Contrairement à "Cette femme-là", Nicloux a choisit de tourner caméra à l’épaule, avec un objectif unique. Une façon de se concentrer exclusivement sur le jeu des acteurs. Encore et toujours les acteurs ! La caméra à l’épaule apporte une réelle liberté de mouvement qui se ressent a l’image et qui s’adapte au jeu de comédien pour coller à ce qui est en train de se passer.
Ce dernier épisode de sa trilogie enfonce le clou.
Avec ce film, Nicloux s’affirme comme un David Lynch à la française et n’a rien à envier aux grands réalisateurs de thrillers américains
Un polar déroutant qui ravira les aficionados.