La Compagnie Emilie Valantin s’attaque au mythe de Faust
par Patrice Lemitre
mercredi 25 janvier 2012
Avec Goethe, figure de prou du romantisme allemand, le mythe change radicalement de nature. Le rationalisme des Lumières a triomphé et il n’est plus question de remettre en cause la volonté de l’homme de maîtriser la nature. Mais à la fin du XVIII ème siècle, l’enthousiasme n’est plus de mise. La révolution française s’est abîmée dans la terreur puis dans les guerres napoléoniennes ; les religions sont de retour et le développement de l’industrie coïncide avec la naissance d’une classe ouvrière très miséreuse. Le monde nouveau est moins beau qu’espéré, d’où l’attitude anxieuse des romantiques qui constatent à la fois l’irrépressible besoin d’un idéal et l’impossibilité pratique de l’atteindre. L’interprétation de Goethe est au coeur même de cette contradiction. Ainsi, la volonté de connaissance dont Faust fait preuve dégénère en volonté de puissance, de même qu’il confond souvent le plaisir avec l’amour. Selon les termes du pacte passé avec le diable, il devrait finalement être damné. Mais son désir d’un amour authentique, sa volonté de s’élever lui permettent de se racheter aux yeux de Dieu, qui choisit de le sauver.
Créateur et acteur de ce nouveau spectacle, le comédien Jean Sclavis semble avoir pris parti pour le non-choix, afin de ne retenir finalement de toutes les versions de Faust que « le plus petit dénominateur commun » ; à savoir « une mise en garde contre l’obtention d’un « bonheur » trop facile ». L’ambition semble modeste et bien loin, en tout cas, des interrogations métaphysiques des grands textes d’origine. Mais dans un monde occidental en perte de vitesse et de valeurs, cette réduction de Faust est sans doute davantage en phase avec notre époque. Le personnage joué par Jean Sclavis ressemble ainsi beaucoup à l’homme occidental moderne, muré dans son individualité, « anti-héros insatisfait, comique et tragique, nihiliste et jouisseur… »
Après un « Cid » de glace qui a propulsé la compagnie au plus haut il y une quinzaine d’années, après un « Scapin » qui a été joué dans le monde entier et une « Courtisane Amoureuse », tirée des ?uvres grivoises de La Fontaine, dont la belle carrière s’achève, la Compagnie Emilie Valantin a besoin d’un nouveau spectacle pour maintenir son rang : l’une des 4 ou 5 grandes compagnies de théâtre de marionnettes de France et l’une des rares à bénéficier d’une véritable notoriété internationale. Il est difficile de prévoir à l’avance quel sera le destin d’un nouveau spectacle. Mais de ce que nous avons pu voir de ce « Faust et Usages de Faust », nous pouvons déjà tirer une conclusion : 35 ans après sa création, la Compagnie Emilie Valantin n’a pas encore épuisé ce qu’elle avait à nous dire…
Liens :
Librescape, interview d’Emilie Valantin :
http://www.librespace.com/Faust-et-usages-de-Faust-le
Site de la Compagnie :