La culture, soumise aux lois du marché

par ERIC
mercredi 23 janvier 2008

En annonçant une hausse considérable du budget consacré aux monuments historiques, Christine Albanel prouve-t-elle une révolution de la politique culturelle ou bien une adaptation aux exigences de notre époque ?

Durant toute sa campagne, notre président de la République, Nicolas Sarkozy, avait clairement manifesté, que l’un de ses objectifs prioritaires consistait à réformer les politiques publiques. La lettre de mission, adressée à Mme Albanel Christine, la ministre de la Culture et de la Communication, quoique raillée par beaucoup, semblait ouvrir une nouvelle voie, concrétisée cette semaine par la déclaration d’une augmentation de près de 33 % des crédits alloués à la protection des monuments historiques.

LES MONUMENTS HISTORIQUES.

L’intérêt populaire pour ces vestiges du passé ne se dément pas ces dernières années, notamment lors des Journées du patrimoine (3e week-end de septembre). A y regarder de plus près, seuls quelques monuments et autres objets mobiliers de nos aïeux, attirent une foule considérable, laissant des milliers de monuments se dégrader dans l’indifférence générale. Car, la politique de protection du patrimoine, qui se développa au cours du XIXe siècle, s’est immédiatement buté à un dilemme, devant amener à trancher entre deux positions diamétralement opposées :

· Ou bien, répartir ce budget sur le maximum de bâtiments, en leur allouant de petites subventions.

· Ou alors se consacrer à quelques grands monuments, qui seront alors choyés.

Bien évidemment, aujourd’hui plus qu’hier, la seconde option est érigée en dogme inébranlable, et les grands chantiers se multiplient, mettant en valeur les monuments emblématiques de l’histoire française.

LA PROTECTION DES MONUMENTS HISTORIQUES

Ainsi est-on passé, de 2002 à 2007, de 32 % d’édifices en péril à plus de 41 %. Aujourd’hui, pour sauver ces monuments, on estime les besoins de financement à 11 milliards d’euros, alors que dans le même temps le budget, qui y est consacré annuellement, peine à dépasser les 300 millions. A ce rythme-là, il faudra plus de 37 ans pour couvrir ces besoins, qui s‘alourdissent au fur et à mesure. Le temps, qui passe, fait son œuvre, fragilisant un peu plus les œuvres, détériorant les monuments...

On ne peut pas tout protéger, comme le laissait déjà entendre Prosper Mérimée, qui donna ses lettres de noblesse au métier d’inspecteur des monuments historiques. Et, en ces temps de crise, la Culture n’est pas, quoi qu’on en dise, une priorité des gouvernements successifs. Avec la Fondation de France, on supposait que l’Etat, à l’instar des pays anglo-saxons, allait se reposer sur un financement privé, mais après des années d’exercice, on se rend compte des limites de ce système.

Si la galerie des glaces à Versailles a trouvé un mécénat généreux et profitable, on n’imagine pas, qu’une entreprise consacre une partie de ses revenus à la restauration d’une abbaye de campagne, visitée par quelques centaines de personnes chaque année. La culture, et plus particulièrement les monuments historiques, répond désormais à une loi de marché, où offre et demande régulent plus la protection et la sauvegarde, que l’intérêt national du point de vue artistique et/ou historique.

L’ANNONCE DU GOUVERNEMENT

Aussi, Mme Albanel a surpris en annonçant que ce budget passerait à 400 millions d’euros, et que cette hausse conséquente serait financée par une taxe de 2 euros sur les nuitées passées dans les Hôtels de luxe, voire par un nouveau jeu de la Française des Jeux.

Ces hôtels de luxe reçoivent, en grande partie (70 % de la clientèle), des clients étrangers, venus en France visiter les grands monuments, symbole de la culture française, et on nous explique alors que 2 euros ne correspondent même pas au prix d’un soda dans ces hôtels (On nous a expliqué, il y a quelques mois, qu’une franchise médicale de 50 euros représentait moins d’un euro par semaine). Même si cela peut paraître dérisoire, on a du mal à accepter qu’une clientèle étrangère soit taxée pour subvenir à la restauration des monuments historiques français. Lorsque le président ou sa ministre de la Culture décidera de s’occuper des "petits monuments ignorés", on arrivera peut-être à taxer toutes les nuits d’hôtel.

Si l’ambition est louable, nous pouvons déplorer la méthode et le sens. Sur le sens, nous voyons aujourd’hui s’accélérer les taxations diverses pour financer tel ou tel projet, et d’une manière de plus en plus directe. Une taxe sur les ventes de téléviseur pour financer France Télévisions, une franchise médicale pour financer le déficit, une taxe de 2 euros par nuit pour financer la protection des monuments... Il n’y a donc plus besoin d’hommes politiques, si tout problème entraîne inéluctablement une nouvelle taxation. Plus besoin de réfléchir à quelle société nous voulons. Plus les services seront élevés, plus il faudra payer directement sans véritable décision.

Sur la forme enfin, Mme Albanel a annoncé cette réforme sans consultation des professionnels de l’hôtellerie... Peut-être a-t-elle voulu imiter son président, qui annonçait, il y a quelques jours, la suppression de la publicité sur France Télévision, sans qu’elle n’en ait été avertie ni même consultée ? Une imitation, une vengeance, ou peut-être plus simplement une réponse à ceux qui s’interrogent sur "Y a-t-il encore un ministre à la Culture ?" (Télérama n° 3028)


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