La fantastique épopée des austronésiens
par Jérôme Constantin
jeudi 26 avril 2018
Bien avant l'époque de Christophe Colomb, des peuples asiatiques unis par une même culture colonisaient la Polynésie, Madagascar et l'Amérique du Sud.
Récit d'une aventure prodigieuse et méconnue.
À l'Ouest, Madagascar. Au Nord, Taïwan. À l'Est, l'île de Pâques. Le triangle ainsi formé couvre l'aire d'extension des langues austronésiennes. Un territoire immense conquis par les premiers grands navigateurs de l'Histoire.
L'archéologie et la linguistique nous dévoilent leur extraordinaire parcours :
Partis de Chine au troisième millénaire avant Jésus-Christ, ils se répandent progressivement en Asie du sud-est. Colonisant les Philippines, la Malaisie et l'Indonésie, ils se mélangent aux populations locales, qui adoptent leur langue et leur culture. Leurs descendants se lanceront vers l'ouest, atteignant l'Afrique au début de notre ère.
À la même époque, d'autres iront vers les Fidji, la Nouvelle-Zélande et les îles du Pacifique. Ils peupleront Hawaii, Tahiti et la très lointaine île de Pâques - à 2000 km de toute terre émergée.
Leur exploit est d'avoir couvert ces énormes distances avec une technologie rudimentaire : sans cartes, sans boussoles, et sur des pirogues à balanciers !
Selon Julien Veilleux, professeur d'anthropologie à la Sorbonne, "Ces populations avaient une connaissance de la mer que nous n'auront jamais. Leurs pilotes s'orientaient grâce aux étoiles, sans appareils de mesure. Ils pouvaient détecter la présence d'une terre à des centaines de kilomètres, en observant les oiseaux, la houle et les courants."
Ces marins intrépides ont apporté avec eux un mode de vie et des coutumes que l'on retrouve encore de Madagascar à la Polynésie. "Les peuples de langue austronésienne ont notamment pour tradition d'ensevelir les défunts dans une pirogue. Ou encore de construire des huttes à base carrée sur pilotis."
Leur organisation sociale explique en partie leur formidable expansion : "Il existe une constante chez ces peuples : celle de la hiérarchisation des lignées en fonction de l'ordre de naissance. Cette hiérarchisation peut amener des conflits entre aînés et cadets. Cela provoque parfois le départ de ces derniers et entraîne la fondation de nouveaux territoires."
La "découverte" de l'Amérique avant les Européens
En 1947, un autre navigateur intrépide, le norvégien Thor Heyerdahl, quitte le Pérou sur un bateau de fortune : le "Kon Tiki".
Son but est de montrer qu'on peut relier la Polynésie depuis l'Amérique avec une embarcation rudimentaire. Il a constaté des similitudes entre la civilisation inca et celle des îles du Pacifique, et cherche à prouver que ces dernières ont été peuplées par les Amérindiens.
Son expédition sera un succès mais la science lui donnera tort : la génétique révèle que les Austronésiens viennent bien d'Asie.
Pourtant sa théorie n'était pas entièrement fausse : on détient désormais la preuve que des contacts ont eu lieu entre la Polynésie et l'Amérique avant l'arrivée des conquistadors. Cette preuve est... la patate douce !
On trouve dans les îles du Pacifique cette plante originaire d'Amérique du sud. En 1771, James Cook en ramène d'Hawaii. L'analyse génétique de ces échantillons indique qu'ils sont identiques à l'espèce américaine. Et l'archéologie prouve qu'elle est présente à Hawaii depuis un millénaire.
Plus encore : en tahitien, en samoan et en maori, on utilise le mot "kumara" pour désigner la patate douce. Exactement comme dans la langue quéchua du Pérou !
N'en déplaise à Thor Heyerdahl, aucun historien ne croit les Amérindiens capables d'un tel voyage. Ils ne naviguaient pas en haute mer... contrairement aux Austronésiens.
"C'est désormais un fait avéré, affirme Julien Veilleux, les Polynésiens ont atteint l'Amérique du Sud aux alentours de l'an mille. Ils ne semblent pas s'y être fixés durablement car la place était déjà prise. Mais ils y ont sans doute fondé des comptoirs."
Prenez un planisphère, posez le doigt sur Madagascar, glissez droit vers l'Est jusqu'à l'Amérique du Sud. Vous constaterez que la civilisation austronésienne a presque fait le tour du monde !