La Fenice de Venise : “Don Giovanni” de Mozart, d’après le livret de Lorenzo da Ponte

par Venise
samedi 12 juin 2010

“Ma maison est ouverte à tout le monde : vive la liberté !” toutefois, la conception de liberté de Don Giovanni semble limitée à sa liberté de courtiser - sans limite aucune - toutes les femmes qui passent à sa portée...

Don Giovanni de Mozart
la scène de la descente aux enfers
 
Aujourd’hui, on dirait que Don Giovanni est un « sex addict », mais sans regret ni envie de changer. Pourtant, on ne peut dire qu’il soit satisfait de sa vie car comme dit son valet Leporello : « jour et nuit fatiguer, pour qui n’apprécie rien ». Don Giovanni est en fuite perpétuelle des femmes qu’il a séduit (qui une fois abandonnées, le recherche avidement pour s’en venger) et entre deux fuites, il court en séduire de nouvelles. Il vit toute sa vie à la vitesse grand V, comme nous le démontre ses dialogues avec Leporello « dépêche-toi, vite, promptement, rapidement, prestement .. » c’est un monsieur 100.000 volts qui ne recule devant rien pour réussir : il use et abuse de ruses (il se déguise en son valet pour séduire plus facilement la servante de Donna Elvira) et de mensonges (il promet à toutes de les épouser, tout en sachant pertinemment qu’il n’en épousera aucune), utilisant jusqu’à la violence pour parvenir à ses fins.

Le livret de Lorenzo da Ponte n’est autre que le récit de son ultime jour de vie, peu flatteur pour notre héros car il tenta d’abuser de Donna Anna et de Donna Elvira : ce qu’il n’obtient par la séduction ou la ruse, il cherche de l’obtenir par la force. Le Don Giovanni de Mozart et de Lorenzo da Ponte est loin du mythe du Casanova vénitien (qui d’ailleurs assista en personne, figure emblématique de son temps, à la première représentation du Don Giovanni à Prague, quand il avait déjà 62 ans), qui est le séducteur de femme par excellence par des tentatives d’approches courtoises, mais est au contraire inspiré du Don Juan de l’Espagnol Tirso de Molina, qui le premier écrivit sur ce thème à succès (« El burlador de Sevilla y Convidado de piedra » écrit en 1630).

D’ailleurs, le vrai et mythique Casanova était un ami de Lorenzo da Ponte, qui eut également une vie très mouvementée et aventureuse. Casanova critiqua avec beaucoup de dureté le texte de Da Ponte, lui reprochant que ce Don Juan n’ait en tête que de se jeter sur les femmes l’une après l’autre, sans autre but que de décharger ses instincts primordiaux. Il convainquit donc Da Ponte d’apporter des corrections à son livret, transformant ce rustre de Don Giovanni en son propre personnage : un authentique libertin (plus proche de la version de Molière), un homme qui aime follement les plaisirs de l’amour certes, mais aussi la bonne chère et la musique, ainsi que sa liberté de faire et de penser ce que bon lui plait, qui connait à la perfection l’art de séduire et qui aime les femmes d’un amour inconditionné : jeunes et vieilles, belles et laides, riches et pauvres, Casanova aimait sans restriction aucune toutes les femmes qui tombaient sous son charme.


Le Don Giovanni de Mozart corrigé par Casanova, reste toutefois encore assez proche du Don Juan de Tirso de Molina, un homme violent allant jusqu’à assassiner le Commandeur, père de Donna Anna, ce qui fait de lui un personnage peu sympathique contrairement au vrai Casanova. Toutefois, quand il fut invité à diner par le commandeur dans l’au-delà, Don Giovanni ne recula pas et accepta l’offre, faisant preuve d’un orgueil incommensurable, et devenant ainsi un héros : bien que comprenant parfaitement que sa fin était proche il refusa toutefois de se repentir, ce qui aurait pu lui permettre de sauver sa vie. Restant cohérent avec lui-même jusqu’à la fin, il refusa de changer de style de vie et accepta la mort avec bravoure.

Le première représentation du Don Giovanni de Mozart eut lieu à Prague en 1787 (Mozart avait alors 31 ans), ville où il séjourna plusieurs fois et dira qu’il y passa les plus belles années de sa vie : il parle de l’aimé public Pragois dans ses lettres et quand Mozart mourra le 5 Décembre 1791, tandis qu’à Vienne il fut enterré sans cérémonie et abandonné de tous, un office à sa mémoire fut célébré à Prague devant une audience importante, par ses « chers Pragois » qui toujours l’aimèrent et le comprirent.

Don Giovanni fut ensuite représenté à Vienne l’année suivante en 1788 avec une version sensiblement différente, adaptée en fonction de la différence du public - plus conservateur - de Vienne. Si le public de Prague l’acclama, il fut reçu avec plus de froideur par le public viennois, non en critique à la musique mais pour la trame où un noble (Don Giovanni) meurt à la fin du spectacle : « Trop fort pour nos Viennois » déclara l’empereur Joseph II à la fin de la représentation. Ceci bien que Mozart apporta plusieurs modifications à sa version viennoise : la scène finale n°20 a été tout bonnement éliminée, celle où tous les personnages se retrouvait pour commenter la fin de Don Giovanni, avec le concert final en ré majeur contenant la morale conclusive : « Telle est la fin de qui fait le mal, la mort du pécheur reflète toujours sa vie”/ Questo è il fin di chi fa mal : e de’ perfidi la morte alla vita è sempre ugual”.

Dans la version viennoise, l’opéra se conclut par la scène n° 19 entre le Commandeur et Don Giovanni, suivie de la descente aux enfers de ce dernier au milieu des âmes damnées.

Encore de nos jours, chaque chef d’orchestre est libre de choisir sa version préférée entre la viennoise et la pragoise : par exemple, Riccardo Muti, John Eliot Gardiner, Roger Norrington et René Jacobs préfèrent la version viennoise, même si la plus utilisée de nos jours reste la version pragoise. En effet, d’un point de vue philologique, la dispute a été définitivement réglée par les Membres de la Neue Mozart-Ausgabe de Vienne en faveur de la version pragoise, car d’un point de vue historique au XVIII siècle il était d’usage de conclure une tragi-comédie par une scène d’ensemble énonçant la morale de l’histoire. Le chef d’Orchestre italien Antonello Manacorda de ce spectacle à la Fenice a également choisi de faire jouer le final de Prague.

La direction de la représentation a été confiée à Damiano Michieletto, (qui a gagné le prix Abbiati en 2008 pour la Direction de la Pie voleuse de Rossini) jeune directeur vénitien de cette production et fin analyste de la dramaturgie de l’ oeuvre, qui a réalisé une version classique dans sa scénographie (peut-être même trop), avec le support de Paolo Fantin (de Castelfranco Veneto, pays natal de Giorgione) scénographe du spectacle. Le drame a lieu dans l’ appartement de Don Giovanni, impersonnel et avec de très hauts murs recouvert de damas vert pastel, un éclairage discret fait de bougies reflétées dans des miroirs, comme c’était alors l’usage dans les maisons nobles du XVIII siècle à Venise.
 


Le milanais Luca Scarzella, vidéo-maker, a créé pour le spectacle une installation vidéo projetée sur les murs de l’appartement du séducteur : un grand papillon noir dont les ailes battent au rythme du coeur des protagonistes, symbolisant l’âme du Commandeur dont la vie s’en va au début de l’oeuvre, puis, à la fin de la représentation, l’âme de Don Giovanni qui s’éteint en tombant en enfer....

Le choix classique des costumes s’inscrit dans la tradition du XVIII siècle mais sans excès ni froufrou, dans des tonalités brunes-vertes glauques s’adaptant aux couleurs de l’appartement et au drame en cours. Il est le mérite de la romaine Carla Teti, costumière, collaborant avec les meilleurs théâtres classiques italiens et européens.

Le beau baryton viennois Markus Werba interpréta avec brio le rôle de Don Giovanni, parfaitement adhérant au rôle, convaincant par sa fougue et parfait dans la gravité de la scène finale. Dans le rôle de Donna Anna, soprano, la non moins convaincante polonaise Aleksandra Kurzark, l’américain Marlin Miller , ténor, dans le rôle de Don Ottavio, Attila Jun (né en Corée du Sud à Séoul), basso, dans le rôle du Commandeur, l’italienne Carmela Remigio, soprano, dans le rôle de Donna Elvira, l’Italien Alex Esposito, basso, dans le rôle crucial du valet de Don Giovanni Leporello, l’espagnol Borja Quiza, baryton, dans l’interprétation de Masetto et la grecque Irini Kyriakidou, soprano, dans celui de Zerlina. Une équipe jeune et internationale à la hauteur des enjeux, le résultat fut convaincant et très applaudi par le public de la Fenice.

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