La fille et le film coupés en deux...

par Vincent Delaury
lundi 24 septembre 2007

Je sais que des choses (fort intéressantes, d’ailleurs) ont déjà été écrites sur Agoravox concernant le dernier Chabrol mais, sachant qu’il est encore en salles de cinéma ces derniers temps, j’en profite (donc) pour donner mon avis, ici, sur ce dernier cru chabrolien... en diable. A déguster sans modération !

Ce que j’ai aimé dans le dernier Chabrol, La Fille coupée en deux, c’est que c’est justement, aussi, un film coupé en deux. On pourrait s’attendre à une grosse charge critique contre les faux-semblants du monde moderne (notamment la télé), la société des apparences, les nouveaux riches et, en même temps, Chabrol nous raconte, dans cette bourgeoisie étalée à l’écran à cran, une vraie histoire d’amour contrariée, entre l’écrivain érotomane âgé, Charles Saint-Denis (François Berléand), et sa jeune héroïne à la fois innocente et fatale, Gabrielle Deneige (Ludivine Sagnier), journaliste météo à la TV, tombant réellement amoureuse de lui. La preuve, pour satisfaire sa libido, ses fantasmes et parce qu’elle l’aime, elle est prête à se promener fesses à l’air, à quatre pattes, avec une queue de paon ! Oui, c’est un film qui est difficile à saisir et qui nous file quelque peu entre les doigts à l’instar des filés lumineux rouges sur fond noir du générique du début car il joue sans cesse entre vérité (nue) et fausseté, voire artifice (d’ailleurs il y a une certaine fausseté à l’œuvre dans le jeu des acteurs, qui posent plutôt artificiellement dans le plan, notamment dans le sur-je(u) cabotin de Benoît Magimel), et la preuve en est également la magnifique pirouette finale mélancolique du film, lorsque l’oncle, Denis Deneige (Etienne Chicot), magicien de son état, sauve in fine par l’artifice sa chère nièce du néant affectif et sentimental. Comme chez Hitchcock appréciant ces fables lumineuses sur la grâce perdue et retrouvée, pour notre cinéaste français aussi, puisque tout est faux autant choisir de mettre en scène le faux, ainsi « le salut dans un univers truqué ne peut venir que d’un trucage supplémentaire » (Chabrol).

Ce vieux cinéaste, selon moi, tel un entomologiste hors pair, capte bien notre époque clivée, notamment en ce qui concerne tous les faux-semblants et les hypocrisies autour de la sexualité. Un personnage (style vieux riche) le dit dans le club libertin - on n’a jamais vu autant de fesses, de nichons exposés sur les affiches et dans les médias et d’un autre côté, c’est « attention, pas touche ! ». Il s’agit bien d’un film contemporain qui brosse le portrait d’une société française contemporaine écartelée, telle La Fille sur la balançoire, entre le libéralisme mondialisé et les illusions de la libéralisation des mœurs de 68, entre le puritanisme et l’obsession du sexe (via la pornographie tous azimuts). Oui, sous couvert de faire un film de fiction, en fait Chabrol, tel un vieux maître qui se régale à brouiller les pistes et qui ne craint personne, met en avant, ni plus ni moins, la f(r)iction d’un état des lieux réaliste d’une paranoïa ambiante généralisée. Chapeau, c’est bien un cinéma de magicien, parce qu’il joue ad libitum, en avançant quelque peu masqué, sur le cacher-montrer et fait office de révélateur !


En outre, soulignons le plaisir que l’on a à retrouver le grand Etienne Chicot. Etienne, Etienne, Etienne (Chicot), oh ! Tiens-le bien ! Oui, j’ai envie ici de vous parler du trop rare Chicot, croisé tout dernièrement dans ce très malicieux Chabrol, La Fille coupée en deux. Il y campe dans des scènes toujours trop courtes au vu de sa justesse de je(u) et de son calibre, Denis Deneige, l’oncle de l’héroïne Gabrielle Deneige, un oncle magicien trop souvent absent parce qu’intermittent du spectacle, donc itinérant, mais présent à 100 % quand il se montre, pas intermittent du cœur pour un sou, donc.
Pour en revenir à Chicot, ce mec-là, dans le plan, c’est une tête cabossée, dépolie et taillée comme du vieux cuir, puis un corps charpenté, las, mais sans chiqué, des yeux fatigués, comme « pochés », et surtout une belle voix chaude, reconnaissable entre toutes, grave et sensuelle, qui rend cet acteur puissamment dense, habité, crépusculaire, unique. Et pour enfoncer davantage le clou (qui sait, il y a peut-être des directeurs de casting qui lisent les pages Culture et Loisirs d’Agoravox !), parmi plein de bons films dans sa filmo (Monsieur Klein, Un mauvais fils, Le Choix des armes, Hôtel des Amériques, Mortelle randonnée, Désordre, Imposture... ), évoquons aussi, selon moi, son plus grand rôle dans le dérangeant 36 fillette (1988) de Catherine Breillat, avec d’ailleurs un autre acteur bord-cadre, à savoir Jean-Pierre Léaud. Dans ce « 36, Quai de la libido en berne », Chicot, pas sur un mode chic, joue Maurice, un quadra allumé par une jeune fille toute boulotte désirant une première expérience sexuelle pour se sentir femme et non plus simple "ado boutonneuse". Bref c’est une adolescente en vacances, comme tant d’autres, ne sachant comment concrétiser ses premiers émois sexuels, mais du fantasme (des deux) à la réalité, il y a une marge et Breillat travaillait justement et avec quelle subtilité dans cette béance, dans ce grand écart, entre joie (de l’attente) et frustration (du résultat - choc entre l’image mentale et le réel, sa crudité), et Etienne Chicot, acteur tout simplement génial, jouait cet homme un peu perdu, dans l’attente d’un je-ne-sais-quoi à la Michel Houellebecq, avec un flegme rarissime et une sensibilité exquise esquisse, dirait un Gainsbarre. Bref, Chicot, je le kiffe, grave, j’aimerais le voir plus souvent à l’écran, pas vous chez Agoravox !?

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