« La Mer » Edward Bond & Alain Françon de pair en Comédie-Française
par Theothea.com
lundi 14 mars 2016
Pourrait-on percevoir la Mer de Bond comme cet espace impressionniste indifférencié où, de la confusion générale, naîtrait une lueur d’espoir si toutefois il était possible de s’en échapper ?
- LA MER
- Edward Bond & Alain Françon photo 1 © Theothea.com
En salle Richelieu, cela commence avec un coup de tonnerre magistral immédiatement suivi d’une tempête assourdissante qui semblerait, d’emblée, ne jamais vouloir en finir avec la tourmente.
Au-delà de ces instants de panique où des cris de détresse fusent de tous côtés, un noyé restera étendu sur la plage en scellant le destin de la petite communauté locale vouée définitivement à l’incompréhension d’elle-même.
Ce n’est certes pas l’enquête de police initiée administrativement qui sera en mesure d’apporter une explication rationnelle à l’incohérence comportementale que l’ensemble de ses membres cultivait avec méthode jusqu’à ce qu’apparaissent, ainsi, au grand jour, les failles de son système relationnel problématique.
D’ailleurs s’il fallait en dépeindre la tonalité dominante, Louise (Cécile Brune) & Hatch (Hervé Pierre) se suffiraient à eux seuls pour figurer les attitudes d’incompatibilité caractérielle déteignant à volonté sur l’opinion communautaire à l’image aussi versatile que les ressacs de cette tornade.
Elle, en maîtresse femme fait preuve d’un dirigisme exacerbé fascinant toute la population quasi médusée ; lui, roublard dans l’âme, se plaît à décomposer, en toile de fond, le tissu social à coup d’idéologie pernicieuse et dévastatrice.
Ballottés par la mesquinerie ambiante guère moins contagieuse que tous les esprits délirant tour à tour à qui mieux mieux, Rose (Adeline d’Hermy) & Willy (Jérémy Lopez) eux auront, peut-être, au terme de ce chemin de croix collectif inénarrable, aussi tragique que désopilant, la possibilité ultime de s’éjecter du marasme métaphysique… si toutefois ils parvenaient à attraper le bus juste avant midi, le lendemain !…
La scénographie balnéaire de Jacques Gabel est tout simplement magnifique par son évocation marine tout en nuances d’un état d’âme indéfinissable mais d’un vague prédominant !
Alain Françon, fidèle à son auteur contemporain de référence, ne cherche surtout pas à donner quelques clefs fort improbables de l’écriture du jeune dramaturge Edward Bond, remontant en l’occurrence à 1970.
Sa mise en scène suggère le chaos à entendre plutôt que de le donner à écouter. A cet égard, néanmoins, ne serait-il pas temps pour la Comédie-Française d’accepter enfin de sonoriser les comédiens lorsque ceux-ci ne sont pas en situation de porter leur voix ?
Même si donc, à certains moments, le spectateur devine ou déduit davantage qu’il ne perçoit le langage de Bond nouvellement traduit sous la maestria de Jérôme Hankins jonglant avec les différents accents anglais significatifs de leurs niveaux psychosociaux afin de parvenir à les « agencer » dans la langue de Molière, le rire de la salle est foncièrement communicatif… au point de pouvoir en être effectivement ressenti comme bel et bien « impressionniste ».
Et puis enfin, et non des moindres, culmine l’interprétation percutante de la troupe du Français en phase synergique avec Françon et dont notamment la prestation cantique de Jessica (Elsa Lepoivre) va s’avérer forcément emblématique du maelstrom général avant que d’être perçue comme irrémédiablement hilarante.
photo 1 © Theothea.com
photos 2 & 3 © Christophe Raynaud de Lage
LA MER - ***. Theothea.com - de Edward Bond - mise en scène Alain Françon - avec Cécile Brune, Éric Génovèse, Coraly Zahonero, Céline Samie, Laurent Stocker, Elsa Lepoivre, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Pierre Louis-Calixte, Stéphane Varupenne, Adeline d’Hermy, Jérémy Lopez, Jennifer Decker et les élèves-comédiens Pénélope Avril, Vanessa Bile-Audouard, Hugues Duchêne, Laurent Robert - Comédie Française Salle Richelieu