La pornographie n’a rien à voir avec le sexe
par Irr
lundi 31 août 2009
Il ne s’agit pas de condamner la pornographie. Sa consommation existe, elle est massive et majoritairement masculine. Elle veut forcément dire quelque chose.
La question de l’exploitation des femmes et des enfants dans l’industrie citée, même si elle nous préoccupe grandement, n’est pas l’objet de cet article.
La pornographie des années 70 rivalise avec le cinéma "classique" en inventivité scénaristique. L’accent est autant mis sur le contexte psychologique et émotionnel que sur la capture sur la pellicule de l’acte sexuel en lui-même. On tente de susciter l’excitation par la reproduction de situations mentales vraisemblables et plausibles, même si quelque peu fantasmatiques et/ou transgressives. En revanche, de nos jours, l’absence totale de scénario est revendiquée, et la "créativité" se déplace vers les angles de vue et la technicité de l’acte : les images produites n’appartiennent plus au champ des images sensibles de l’acte sexuel réel. Il y a "abstraction". L’aspect fantasmatique, quant à lui, se réduit à la "catégorie" à laquelle appartient un film donné dans la grande classification des fétichismes.
ÉTAT DES LIEUX STATISTIQUE DE L’AUDIENCE DU PORNO SUR INTERNET. Pour commencer, je voudrais vous présenter cette vidéo réalisée par Good magazine. Elle résume avec malice des chiffres permettant de mesurer l’importance du phénomène pornographique aujourd’hui.
On comprend que la pornographie n’est en rien un phénomène marginal. Le web en a grandement facilité l’accès et elle est massivement présente dans la vie de nos contemporains. Dès lors, elle ne peut plus être comprise et analysée que comme telle : elle a quelque chose à nous dire sur nos sociétés et par-delà, sur chacun de nous.
UNE PORNOGRAPHIE DE PLUS EN PLUS ABSTRAITE ET "AUGMENTÉE". On entend ici par "abstrait" un travail des représentations visuelles s’éloignant de plus en plus de la réalité sensible de l’acte sexuel. Il existe un ouvrage intéressant consacré à cet aspect "médiologique" de la pornographie, il s’agit de La pornographie et ses images du sociologue Patrick Baudry, paru en 2001. On peut y lire que "le film pornographique offre des "angles de vue" particuliers puisqu’on peut voir ce qui dans la sexualité quotidienne est invisible (à moins que le couple ne s’équipe de miroirs et de rétroviseurs)". En ce sens, la pornographie participe désormais de ce que l’on appelle communément "réalité augmentée". L’acte sexuel a une réalité sensible contrainte par la réalité des corps. Dans la pornographie, ces limites sont apparemment repoussées par les techniques cinématographiques (multiples caméras, "effets spéciaux", doublures, montage). En ce sens, ce n’est plus l’acte sexuel que l’on voit sur l’écran, c’est autre chose, quelque chose qui n’est plus humain et appartient au virtuel.
On pourrait être tenté de confondre cette virtualité avec l’imagination fantasmatique ou le rêve. Mais l’"augmentation" de l’acte sexuel opérée par la pornographie relève principalement de la technique visuelle (et dans une moindre mesure des capacités "sportives" des acteurs). Il n’y a plus de recherche scénaristique ou de mise en situation émouvante : la composante littéraire -ou érotique- semble éliminée. Et pourtant, cette dimension, irréductible, persiste à mes yeux à un autre niveau, extérieur au film : la "catégorie" à laquelle appartient le film, c’est-à-dire le type de fétichisme qu’il met en exergue.
LES CATALOGUES PORNOGRAPHIQUES ET LA DISTRIBUTION DES FÉTICHES. En psychanalyse, le fétichisme est une attention particulière portée sur un accessoire ou sur une caractéristique du corps de l’autre. La présence de l’accessoire ou de la "caractéristique du corps" est nécessaire au fétichiste pour atteindre la jouissance. Le fétiche peut être un vêtement, un rouge à lèvres, une perruque ou bien une culotte de cheval, une couleur de cheveux ou de peau, la différence d’âge, etc. Il me semble tout à fait remarquable que les systèmes classificatoires de films pornographiques constituent des exemples sauvages de sociologies des fétiches. Ainsi, on constate dans les sex-shops ou sur les sites spécialisés que rien n’est laissé au hasard en la matière : les listes sont plus ou moins finies et semblables. On retrouve à coup sûr les "grands classiques" (nul besoin de rappeler que la clientèle masculine est prédominante) : femmes mûres, rapports "inter-ethniques", femmes fortes, femmes enceintes, jeunes femmes, femmes rousses, femmes callipyges, etc, etc. Fait étonnant, à ce jour je n’ai jamais rencontré de fétiches portant sur la "laideur".
Cette étonnante régularité me pousse à émettre une hypothèse relativement audacieuse : il existe une corrélation entre aires socio-géo-culturelles et fétiches prédominants. Malheureusement, la collecte de données est relativement difficile, les producteurs et distributeurs du genre voyant d’un œil méfiant l’intervention d’un sociologue dans leur "business". Il me semble néanmoins avoir lu (et je m’excuse d’avoir perdu la trace de ce document) que, par exemple, les films "inter-ethniques" mettant en scène un homme noir et une femme blanche étaient très prisés des consommateurs du sud des États-Unis. Le fait, s’il s’avère exact, se passe de commentaires. Dans le même ordre d’idées, je pense avoir remarqué une mise en avant notable de la catégorie "femmes arabes" sur les plate-formes de diffusion françaises. Je répète que tout ceci ne relève que de mon intuition.
Néanmoins, de par ma formation sociologique, je suis porté à croire qu’une telle "régularité" est éminemment possible et qu’elle constituerait un objet tout à fait légitime pour un travail alliant sociologie et psychanalyse. La mise en scène de "minorités" dans des films "augmentant" la sexualité m’apparaît comme une expression brutale de la domination masculine ambiante. Une telle perspective établirait la pornographie comme "un prolongement du politique par d’autres moyens".
N’hésitez pas à me contacter pour débattre de ce sujet ou me transmettre des informations.
On pourrait être tenté de confondre cette virtualité avec l’imagination fantasmatique ou le rêve. Mais l’"augmentation" de l’acte sexuel opérée par la pornographie relève principalement de la technique visuelle (et dans une moindre mesure des capacités "sportives" des acteurs). Il n’y a plus de recherche scénaristique ou de mise en situation émouvante : la composante littéraire -ou érotique- semble éliminée. Et pourtant, cette dimension, irréductible, persiste à mes yeux à un autre niveau, extérieur au film : la "catégorie" à laquelle appartient le film, c’est-à-dire le type de fétichisme qu’il met en exergue.
LES CATALOGUES PORNOGRAPHIQUES ET LA DISTRIBUTION DES FÉTICHES. En psychanalyse, le fétichisme est une attention particulière portée sur un accessoire ou sur une caractéristique du corps de l’autre. La présence de l’accessoire ou de la "caractéristique du corps" est nécessaire au fétichiste pour atteindre la jouissance. Le fétiche peut être un vêtement, un rouge à lèvres, une perruque ou bien une culotte de cheval, une couleur de cheveux ou de peau, la différence d’âge, etc. Il me semble tout à fait remarquable que les systèmes classificatoires de films pornographiques constituent des exemples sauvages de sociologies des fétiches. Ainsi, on constate dans les sex-shops ou sur les sites spécialisés que rien n’est laissé au hasard en la matière : les listes sont plus ou moins finies et semblables. On retrouve à coup sûr les "grands classiques" (nul besoin de rappeler que la clientèle masculine est prédominante) : femmes mûres, rapports "inter-ethniques", femmes fortes, femmes enceintes, jeunes femmes, femmes rousses, femmes callipyges, etc, etc. Fait étonnant, à ce jour je n’ai jamais rencontré de fétiches portant sur la "laideur".
Cette étonnante régularité me pousse à émettre une hypothèse relativement audacieuse : il existe une corrélation entre aires socio-géo-culturelles et fétiches prédominants. Malheureusement, la collecte de données est relativement difficile, les producteurs et distributeurs du genre voyant d’un œil méfiant l’intervention d’un sociologue dans leur "business". Il me semble néanmoins avoir lu (et je m’excuse d’avoir perdu la trace de ce document) que, par exemple, les films "inter-ethniques" mettant en scène un homme noir et une femme blanche étaient très prisés des consommateurs du sud des États-Unis. Le fait, s’il s’avère exact, se passe de commentaires. Dans le même ordre d’idées, je pense avoir remarqué une mise en avant notable de la catégorie "femmes arabes" sur les plate-formes de diffusion françaises. Je répète que tout ceci ne relève que de mon intuition.
Néanmoins, de par ma formation sociologique, je suis porté à croire qu’une telle "régularité" est éminemment possible et qu’elle constituerait un objet tout à fait légitime pour un travail alliant sociologie et psychanalyse. La mise en scène de "minorités" dans des films "augmentant" la sexualité m’apparaît comme une expression brutale de la domination masculine ambiante. Une telle perspective établirait la pornographie comme "un prolongement du politique par d’autres moyens".
N’hésitez pas à me contacter pour débattre de ce sujet ou me transmettre des informations.