La sortie au cinéma

par C’est Nabum
samedi 5 novembre 2016

Un lieu d’exception.

Ce n’est pas une sortie ordinaire ni même une séance banale comme nous pouvons en faire ailleurs. Nous sommes réunis dans les Landes deux fois par an à l’arrière-saison. Les plages sont désertes, les rues commerçantes enfin devenues fréquentables ; les gens du pays prennent alors le temps de discuter avec des touristes qui ne sont plus envahisseurs innombrables.

Ce coin entre forêt et océan a retrouvé sa quiétude habituelle, laissé partir les hordes sauvages pour se lover dans le creux de ses dunes. On s’y promène sur des étendues vierges, des espaces balayés par les vagues et les embruns. La nature a repris ses droits ; les corps huilés ont disparu des plages. Le temps est à la béatitude.

C’est dans ce contexte que la sortie au cinéma de Contis s’impose. Bien sûr, il faut prendre la voiture, il n’est pas tout près mais pour rien au monde nous ne nous priverions de cette plongée étrange dans une salle obscure aux doux parfums du ciné Paradisio. On se gare devant l’établissement assez longtemps à l’avance pour entrer pleinement dans l’esprit des lieux. La petite cité balnéaire est, à elle seule, un décor de série B.

Des personnages de carton-pâte nous accueillent, tout sourire ; ils nous mettent de plain-pied dans un monde virtuel qui reprendra vie quand l’écran scintillera. Pour l’heure, il convient de monter jusqu’à la plage, vide et balayée par le vent du large. On se pose, on regarde, on se met à rêver, à se faire ici son propre cinéma. Les vagues proposent un spectacle toujours différent, souvent émouvant, étonnamment puissant.

Assis sur un banc dans un espace aménagé sur le haut de la dune, on s’émerveille. On discute de tout et surtout de rien. L’esprit divague, la tête se lave des scories de la ville. On flotte au-dessus de l’écume, on plane avec les goélands. C’est un moment en suspension, une parenthèse bénéfique. Un vieil homme regarde, lui aussi, une béquille posée à ses côtés, un vieux labrador allongé à ses pieds.

Je vais vers lui, entame la conversation. J’aime les dialogues dans les films et ma séance personnelle a déjà débuté. Il m’évoque sa jeunesse, le rugby d’antan quand il était talonneur en un temps où les coups tordus étaient plus nombreux que les coups d’éclat. Il me raconte les grands joueurs de l’époque, sa reconversion à la pelote, son rôle d’éducateur qui mena une demoiselle à la médaille de bronze au Mexique.

Il évoque ses vieilles douleurs, sa chienne fidèle et elle aussi boiteuse, ses heures passées à regarder l’océan. Il me parle de la victoire de Dax sur le voisin biarrot, du plaisir qu’il a pris à cette revanche des humbles sur les gars de la côte. L’heure avance, la nuit tombe, un soleil flamboyant embrase l’horizon. Je le salue à regret.

Il faut emprunter la rue en pente, bordée de chalets en bois, de tavernes et de boutiques. Beaucoup sont fermés. Il y a là un décor de western qui prépare merveilleusement à l’entrée dans la salle obscure. Les plus gourmandes commandent une gaufre : vestige des pratiques touristiques ; je me contente d’un grog, manière de ne jamais faire comme les autres …

Cette fois, nous entrons dans l’antre aux étoiles. Des tentures un peu passées habillent des murs d’où surgissent des lampadaires en forme de carottes tabatières. Une batterie et un piano dorment sur le devant de la scène. Derrière eux, d’autres géants de carton ou de contreplaqué grimacent joyeusement.

Les fauteuils vous reçoivent, s’enfoncent, en vous accordant quelques grincements de ressorts usés. Les conversations bruissent de-ci, de-là ; les lumières bleutées des téléphones accrochent au monde réel les naufragés de la modernité. Il y a de la place pour étendre ses jambes : la salle est spacieuse ; elle n’a pas changé depuis des lustres, elle est le cinéma de notre enfance.

Ici est un cinéma qui résiste, qui propose des films d’Art et d’Essai sans concession au confort factice des machines à fric. On entre dans le monde du panavision, du son qui vous encercle, du confort ouaté et incertain des vieux canapés élimés. On se laisse engloutir par la salle quand elle se fait obscure, elle va nous avaler, nous transporter au-delà d’un écran qui se refuse au format timbre-poste. C’est un plaisir qu’il n’est pas question de manquer. Le film commence …

Cinématographiquement vôtre.


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