La Tauromachie, au risque de l’analyse

par jack mandon
samedi 9 février 2013

La corrida est-elle une barbarie, un rite, un jeu, un sport, un spectacle, un art ?

Des hommes de qualités, intellectuelles et morales, entrent avec conviction dans l'univers tauromachique... ils m'invitent à considérer que l'être humain est complexe dans la multitude de ses facettes contradictoires.

« Le jour où les humains comprendront qu’une pensée sans langage existe chez les animaux, nous mourons de honte de les avoir enfermés dans des zoos et de les avoir humiliés ou massacrés... »

La mort, à laquelle nous sommes confrontés nous incline à élaborer du sens, à créer des mythes, à développer des rites, à élargir notre imaginaire et déployer nos potentialités.

La tauromachie dans sa forme sacrée flirte avec le religieux et partage avec lui les mêmes valeurs irrationnelles. On adhère ou non, point final, la rhétorique philosophique c'est un vain remplissage, une justification inutile, une mystification.

La culture nous dit Freud, c’est le dépassement de nos pulsions destructrices, leur mise à distance, l’aspiration vers un monde ou la violence n’est plus une fatalité mais est sublimée.

« Qu’importe. Les penseurs taurins à l’origine de la décision ministérielle qui autorise la tauromachie (André Viard, Simon Casas, Francis Wolff), sont à mille lieux de ces subtilités. Pour eux la corrida est un humanisme. Pas moins. Pourquoi ? Parce qu’elle symbolise la victoire de l’esprit sur la matière, de l’humain sur l’animal, de la culture sur la nature. Conception prédatrice et archaïque de la relation à la nature, où encore une fois, l’animal est l’objet désigné, immuable et complice de nos fantasmagories. La corrida est un Moyen-âge. Comme si les Lumières n’avaient apporté un éclairage nouveau sur nos obligations morales. Je souffre de la souffrance de l’autre. Avec Rousseau, Kant, Schopenhauer, la pitié et la compassion ne sont pas des marques de faiblesse, non, elles confèrent à l’homme sa singularité mais aussi ses devoirs. N’est-ce pas dans la compassion que l’homme puise ses ressources pour légiférer, pour inscrire des obligations dans le droit positif ?

Le discours magique et mystificateur obéit au besoin du déguisement de la réalité.

Dans la mise en scène dramatique, la violence et la pulsion de mort y sont occultées, métamorphosées, mieux sacralisées. »

Si l'on essayait de lever le voile du spectacle sur les causes qui alimentent cette mise en scène macabre ?

L'intensité dramatique culturelle trouve son sens dans l'esthétisme de l'art, l'éloquence littéraire du romancier, le raisonnement du philosophe.

Mais la névrose occupe tous les espaces et toutes les couches sociales. Derrière l'artifice culturel le plus élaboré, l'âme humaine est souverainement animale.

Avec un peu d'humour, si l'on balançait les habits de lumière par-dessus les murs antiques

de l'arène, découvrant la nudité du torero coiffée d'un chapeau ridicule aux oreilles de Mickey... pour se détendre un peu.

Si l'on pratiquait une analyse dans l'esprit de la comédie ?

Par la même occasion, l'on pourrait dénuder le public, corps et âme. Alors le taureau apparaîtrait naturellement dans son plus bel habit d’aurochs magdalénien.

L'agonie de ce puissant animal à la beauté sauvage inégalable entrerait dans l'oubli.

L'artifice culturel bien humain envolé, le protagoniste vertical, le torero sans éclat se révélerait moins érectile et plus amusant. Car enfin quelle tristesse devant ce spectacle talibanesque ou l'on coupe les oreilles et la queue...(alouette) en signe de victoire, quand ceux là, attardés du bulbe sectionnent des pieds et des mains, dans un esprit de justice archaïque...consternant !

Nous revenons au torero plus modeste, c'est un naturiste qui fait l'humilité en feignant de dissimuler un sexe désormais négligeable. Mais le taureau perdrait peut être sa dignité en s'esclaffant bruyamment découvrant l'envers du décor dérisoire de la comédie humaine.

Mais alors le public ne pourrait plus jouir secrètement dans sa perversion coupable. Privé du spectacle de sang et d'agonie il serait d'abord désemparé et entrerait en résilience. Il faudrait revoir en profondeur la chronique taurine. A la culture sacrificielle substituer la l'esthétisme animé. Nous découvririons enfin la tragi-comédie, plus heureuse.

Pardessus les pierres antiques et les préjugés magdaléniens, la vie, avec un savant mélange de culture et de nature. Terminés les discours mystificateurs, qui parlent d'amour, de respect et de loyauté défiant toute raison...les faits crient l'inverse de ce que disent les mots. C'est bien là le paradoxe humain qui depuis la nuit des temps déifie la tragédie dans la religion, l'art et même hélas dans la philosophie...tauromachique et méprise la vie et la comédie de concert. Ces gens sont sinistres, ils ont la conscience d'un sacré ancestral.

Dans ce jeu de boucherie de première classe, l'éthique fondamentale est falsifiée. Se pressent quelques fois, dans le labyrinthe du minotaure, des hommes cultivés et pourtant ordinaires, des esthètes du chapeau mais souvent crucifiés du traversin.

Des hommes ordinaires dans leur faiblesse, reniant Sigmund Freud pour partager cette masturbation collective, pour s'encanailler, immergés dans ce spectacle affligeant de confusion culpabilisant entre Eros et Thanatos. L'attrait jouissif des interdits, de la transgression.

Thérapie collective ou se développe au cours de l'expérience le transfert ludique reporté selon l'humeur d'affection ou d'hostilité sur l'un des deux protagonistes, le costard à paillettes érectile et gesticulant, vertical, ou la robe de nuit tachée de sang dans son horizontalité rugissante.

Le crime collectif avec la bénédiction du législateur...ce n'est pas tous les jours Dimanche.

Cet immense corps à corps collectif où se mêlent la peur, le sang et la libido. Une partie gigantesque d'éclatement lumineux, de cris aigus et de râles profonds, de sensations odorantes animalières sous un soleil ibérique de circonstance à la Vélasquez, Goya ou Picasso, dans une pulsion d'amour et de mort confondues.

"Sans cruauté, pas de fête : voilà ce qu'enseigne la plus vieille et la plus longue histoire de l'homme..." (Frédéric Nietzsche, La naissance de la tragédie). La corrida n'est jamais que l'avatar policé et déguisé de ces pratiques.

Jadis, des prisonniers de guerre, condamnés, professionnels ou simples aventuriers, étaient entraînés par de véritables imprésarios qui les louaient très chers aux organisateurs. « Les gladiateurs. »

Le taureau est le digne successeur des esclaves antiques, nous sommes les héritiers légitimes de ces mondes engloutis.

Formes flamboyantes, chorégraphie guerrière et changeante se déploient dans un écrin circulaire animé. Figures héroïques et mouvementées incarnant un idéal nébuleux de croyances et de mythes ou la philosophie quelques fois se fourvoie.

« Les problèmes posés par les préjugés raciaux reflètent à l’échelle humaine un problème beaucoup plus vaste et dont la solution est encore plus urgente : celui des rapports de l’homme avec les autres espèces vivantes… Le respect que nous souhaitons obtenir de l’homme envers ses semblables n’est qu’un cas particulier du respect qu’il faudrait ressentir pour toutes les formes de vie ». Claude Levi-Strauss,

« Tout ce verbiage sur la dignité, la compassion, la culture ou la morale semble ridicule lorsqu’il sort de la bouche même de ceux qui tuent des créatures innocentes, pourchassent des renards que leurs chiens ont épuisés, ou même encouragent l’existence des combats de taureaux et des abattoirs. Toutes ces explications, selon lesquelles la nature est cruelle et donc nous sommes en droit d’être cruels, sont hypocrites. Rien ne prouve que l’homme soit plus important qu’un papillon ou qu’une vache. Je considère le fait d’être devenu végétarien comme la plus grande réussite de ma vie. Je ne prétends pas sauver beaucoup d’animaux de l’abattoir, mais mon refus de manger de la viande est une protestation contre la cruauté… Personnellement, je ne crois pas qu'il puisse y avoir de paix dans ce monde tant que les animaux seront traités comme ils le sont aujourd’hui ».
Isaac Bashevis Singer

Francis Wolff est l'invité de Raphaël Enthoven dans "Philosophie"

Les mythes tauromachiques, Réflexion critique sur l'univers de la corrida. Marc Fabre

Cabu (juste éventualité)


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