La vie de Galilée (le ciel est en nous)

par Orélien Péréol
samedi 30 mai 2015

La vie de Galilée de Bertold Brecht mise en scène de Jean-François Sivadier traduction Eloi Recoing, avec Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Eric Guérin, Eric Louis, Christophe Ratandra, Lucie Valon, Christian Tirole, Nadia Vonderheyden au Théâtre Montfort jusqu’au 21 juin 2015

Cette Vie de Galilée fait flèche de tout bois, brûle les planches avec jubilation. L’essentiel du décor est dans le sol, amovible.

Alors que si souvent, le sol de la scène n’a pas de signification théâtrale, dans une convention qui va de soi, n’a pas besoin d’explications, Jean-François Sivadier et Christian Tirole inversent la proposition et ne construisent de décor que du sol, à partir du sol. Les comédiens jouent sur un plan incliné de caillebotis, « d’Ikea » nous dit Galilée au passage, qui ne représente aucun lieu, rien d’autre que lui-même et se transforme plusieurs fois. Il en sort toute sorte de choses, des pans de murs, des cachettes contenant des objets fondamentaux (la lunette astronomique), des expériences inédites à l’époque et que nous connaissons suffisamment bien aujourd’hui (qu’est-ce qui flotte ? Pourquoi ce qui flotte flotte-t-il ? Question de forme des objets ou question de masse volumique ?). L’espace se déploie de diverses façons, des pans s’écartent (ils sont montés sur roulettes), des mini-scènes se créent ailleurs sur les côtés… La transformation, l’invention de l’espace scénique y est permanent.

JF Sivadier s’est donné une grande liberté par rapport au texte, il s’est permis des anachronismes, des allusions à l’actualité, un moment d’improvisation qui est la pièce et qui n’est pas la pièce… (Le doute ? Qui doute ? La science, c’est le doute ?) Le spectacle débute par un mime de Nicolas Bouchaud, très drôle et qui est une grande devinette à laquelle le public est convié directement.

Il s’est donné la même grande liberté quant aux personnages, quant aux costumes, décalés, intemporels le plus souvent mais pas tout le temps… Et avec toute cette distance, tout cet humour, les forts éléments philosophiques de la pièce de Brecht sont tout-à-fait portés au public : croire ou aller voir (faire des constats) ; le centre du monde et l’orgueil des hommes ; le renversement « révolutionnaire » ; la « percolation » des représentations scientifiques qui sous-tient la société et la motivation de chacun à vivre sa vie dans les règles communes de la socialité (le vivre-ensemble) ; le temps, l’argent de la recherche ; l’opportunisme (rester en vie, pour soi bien sûr, ne pas souffrir et aussi garder toute chance de réaliser son but : se faire entendre, se faire créditer) ou être soi, dire ce qu’on a à dire quoiqu’il en coûte (l’exil, l’élimination sociale, la réduction au silence, la mort)…

La phrase de Galilée « penser est l'un des plus grands divertissements de l'espèce humaine ». Le plaisir de penser contamine le spectacle, dans une idée de gai savoir et de gaie recherche pas si fréquente. Les pouvoirs publics, à l’époque l'Église et sa Sainte Inquisition, sont surtout pour le silence, la question n’est pas tant de contredire Galilée que de rester secret sur la nature et le fonctionnement des étoiles qu’on voit dans le ciel. La recherche scientifique de nos jours se heurte à d’autres pouvoirs répressifs : les multinationales industrielles, qui ont plus de pouvoir que les Etats (plus de capital, plus d’argent, plus d’actions bénéfiques pour tout un chacun et dont les bienfaits sont plus visibles), secondées parfois par des élus, contraints ou volontaires. Les climatosceptiques, par exemple, sont plutôt crus. Mais faut-il tout dire ? Et le vrai est-il toujours cru ? Ne préfèrent-on pas les mensonges qui rassurent aux vérités qui dérangent ? Science et théâtre font appel à la raison et à l'imagination, se basent sur l'expérience et la création, l’imaginaire créatif, visent à comprendre et à agir, à changer le monde. Programme immense devant lequel il vaut mieux rester modeste, même quand on occupe une place de choix.

Brecht, paraît-il, n’aimait pas trop cette pièce. Il craignait que le spectateur ne s’identifie trop facilement à Galilée. C’est pourtant une des forces de sa pièce, que tout passe par Galilée, tout et de nombreuses contradictions.

Nicolas Bouchaud porte ce personnage dans toutes ses facettes et facéties avec une aisance impressionnante, entouré du chœur changeant parfaitement habité par les comédiens, le tout dans une fantaisie sérieuse et parfois délirante concoctée par JF Sivadier, et ce n’est pas là sa moindre qualité.


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