« La vie des autres »
par carolineTaisne
mardi 3 avril 2007
Film allemand réalisé par Florian Henckel von Donnersmarck
Avec Thomas Thieme, Martina Gedeck, Ulrich Mühe
La vie des autres
Berlin Est, 1986 : Honecker est chancelier, la Stasi est aux commandes. Le régime communiste contrôle la population ; les artistes et les écrivains sont dans la lorgnette. Une violence morale hante les esprits de façon sourde et latente. L’écrivain Georges Dreyman, reconnu et respecté, vit avec Christa-Maria Sieland, belle comédienne de renom qui joue dans ses pièces de théâtre. La Stasi décide un beau jour de surveiller de près ce couple d’intellectuels considéré comme potentiellement subversif.
Ce film réalisé par Florian Henckel von Donnersmarck offre trois niveaux de lecture : tout d’abord, un niveau historique avec la description précise et technique du régime communiste en RDA avant la chute du Mur. Les arcanes ministerielles du pouvoir sont passées au rayon X, l’arbitraire est dénoncé froidement et sans concession. La lumière glacée et métallique avec laquelle sont filmés les hommes de la Stasi donne d’ailleurs une acuité très forte à ce tableau historique d’un appareil d’Etat assis sur la violence. Ensuite un focus sur l’individu et sa réalité quotidienne sous le joug d’un tel arbitraire ; un couple apparemment inoffensif dont l’amour fort et passionné est menacé par une surveillance permanente dont ils n’ont pas connaissance ; leur appartement est sur écoute et leur intimité n’a aucun secret pour le Parti.
Le troisième niveau de lecture est le plus intéressant, à savoir le fil par lequel ces deux univers sont reliés l’un à l’autre : l’agent « Wiesler », un officier d’Etat qui trahit. Florian Henckel von Donnersmarck décrit magnifiquement la métamorphose psychologique d’un tortionnaire inflexible qui en vient, malgré lui et contre toute attente, à protéger deux personnes que le Parti lui commandait de réprimer. Un homme embrigadé qui par devoir a sacrifié toute sa vie au communisme, dont l’intimité est totalement vide et dont l’identité propre a été effacée par une machine d’Etat destructrice. Ce même homme, en surveillant le couple d’artistes, fait la rencontre de sa vie. C’est un film psychologiquement extrêmement fort sur la découverte de l’amour par effraction. Wiesler vit une sorte de réveil initiatique, une révélation personnelle. Il apprend à connaître l’écrivain Dreyman et se met à l’estimer ; il se laisse aussi toucher par la fragilité de Christa, cette femme torturée, abîmée par l’odieux chantage sexuel dont sa vie d’artiste dépend. On sent physiquement sur elle les blessures psychologiques et les souffrances humaines qui découlent de ce système politique castrateur. Wiesler est bouleversé lors de l’accident de la comédienne et à ce moment précis, on sait qu’il était tombé amoureux d’elle. Par-dessus tout, ce réalisateur inspiré nous donne à voir comment un agent communiste de RDA est redevenu vivant.
C’est un sujet original que d’aborder le thème du voyeurisme et de ses ramifications psychologiques, sur fond de fresque historique ; car la renaissance de Wiesler passe par le fantasme et aussi par la découverte de l’art. Il retrouve une identité et une raison de vivre en même temps que sa psychologie s’anime au fil du film et ce personnage a une intensité hors du commun. Très subtil par exemple ce moment où il bascule en douceur dans le mensonge d’Etat et la trahison, sur fond de « symphonie de l’homme bon », ce moment où intellectuellement il passe à l’Ouest sans le savoir...
La réalisation de ce film est d’une subtilité et d’une finesse exceptionnelles, le travail sur la lumière est remarquable, avec des contrastes intéressants entre les lumières froides qui éclairent le côté du pouvoir et les couleurs chatoyantes et chaleureuses côté appartement du couple, comme pour mieux opposer le bonheur au vide. Un scénario créatif, un jeu d’acteurs remarquable, une chute magnifique.
Quelle maturité dans cette description d’une psychologie en mouvement... Un film ambitieux et magistral.
Caroline Taisne