Langue, culture et étude des langues

par Hermes
vendredi 15 septembre 2006

Langue et culture, mots qui vivent l’un avec l’autre, l’un dans l’autre, mais l’article qui en parlerait le mieux, pour moi, est cet article de Claude Piron (qui, je l’espère, me pardonnera d’en faire un plagiat) :

"Le terme « culture » exprime une notion complexe, recouvrant des éléments qui appartiennent au domaine des connaissances, à celui de la sensibilité, esthétique ou affective, et à celui de la mentalité. Il peut s’appliquer à une personne ou à une vaste collectivité. On dit d’un être humain qu’il est cultivé lorsqu’il a atteint un niveau suffisamment élevé dans les trois domaines. Si ce n’est pas le cas, on parlera d’érudit, d’expert, d’esthète, d’esprit ouvert, mais non de personne cultivée.

Ces trois domaines se retrouvent également lorsque le terme « culture » est appliqué à une collectivité, qu’elle soit ethnique, nationale ou de quelque autre catégorie. Une culture, dans ce sens, représente un ensemble de connaissances et de conceptions, un certain type d’art et de sensibilité, une manière particulière d’aborder le réel ou de percevoir le monde, tous ces éléments conférant à un groupe humain une certaine spécificité.

[...] Il peut y avoir culture ou civilisation à des niveaux très différents. Si l’on parle si facilement de « civilisation occidentale » ou de « culture africaine », c’est bien parce que l’on pressent que ces concepts transcendent celui de la langue et peuvent s’appliquer à des collectivités bien plus vastes qu’un groupe linguistique.

L’inverse est également vrai. Il est parfaitement légitime de considérer les civilisations britannique et américaine comme deux entités distinctes, même si elles s’expriment l’une et l’autre dans une langue pratiquement identique.

On remarquera qu’il n’y a pas davantage coïncidence entre langue et peuple. Les peuples irlandais et américain ne se confondent ni entre eux, ni avec le peuple anglais, et un Suisse romand a beau partager la langue de Molière avec ses voisins français, il ne se sent pas - il n’est pas - membre du peuple français. L’appartenance à un même peuple implique une participation à une histoire, à des traditions, à un sentiment d’identité en grande partie indépendants de la communauté de langue.

Notons enfin qu’on ne peut participer à une culture sans connaître la ou les langues auxquelles elle est traditionnellement attachée. Bien des Chinois de Hong-Kong ou de Singapour sont de culture chinoise mais de langue anglaise, et ce qui distingue de ses compatriotes un juif athée qui ne sait ni le yiddish, ni l’hébreu, ni aucune des autres langues parlées dans la diaspora juive (latino, tata, araméen...), c’est qu’il partage avec elle un ensemble de connaissances et d’habitudes intellectuelles, un certain type de sensibilité, une façon particulière de ressentir le monde : on peut être nourri de culture juive sans que la langue ou le pays y soit pour quoi que ce soit. Culture, pays, peuple et langue sont des réalités qui ne coïncident pas nécessairement.

[...] Deux objectifs possibles à l’étude d’une langue : accès à une culture et communication. Mais sa réponse, axée sur l’idéal, fait trop facilement fi de la réalité.

Si le but de l’enseignement des langues est, pour l’Éducation nationale, l’accès à une culture, ce ne l’est ni pour les parents, ni pour les élèves. Ce que ceux-ci réclament, c’est un moyen de communiquer avec l’étranger, de s’élever dans l’échelle sociale ou d’améliorer leurs chances professionnelles.

Certes, il est beau de tendre vers des objectifs élevés, mais, sous peine de donner dans l’utopie, il faut se poser la question de savoir s’il est réellement possible de les atteindre.

Interrogez donc les jeunes qui ont fait au lycée six années d’anglais, d’allemand ou d’espagnol. Vous verrez que seul un infime pourcentage est à même de s’exprimer dans la langue étudiée. « Nous avons constaté qu’au niveau du baccalauréat, un enfant sur cent seulement parvient à s’exprimer correctement dans une langue étrangère. Quant à une deuxième langue, le résultat final aux plans de la culture et de l’élocution dépasse rarement le niveau du balbutiement », constate un pédagogue. Un niveau aussi élémentaire est-il comparable avec un accès authentique à la culture ?

En outre, le lycéen moyen n’est pas particulièrement cultivé à l’égard de la civilisation à laquelle se rattache la langue choisie. Il suffit pour s’en rendre compte d’inviter quelques élèves d’anglais, pris au hasard, à parler de Shakespeare, de Tennyson ou de Graham Greene. Ils n’en savent pas plus que bien des personnes qui n’ont pas appris la langue, mais qui se sont intéressées à la littérature anglaise en recourant à des traductions.

Bref, si l’on quitte les hautes sphères de l’utopie pour redescendre sur terre, on s’aperçoit que l’Éducation nationale n’est pas en mesure d’ouvrir, par l’enseignement scolaire des langues, l’accès à la capacité de communiquer convenablement, ni cet accès à la culture qu’a invoqué Monsieur le Ministre dans sa réponse précipitée.

Quelle est la personne réellement cultivée ? Celle qui sait ou celle qui croit savoir ? Celle qui apprécie par elle-même ou celle qui répète ce que tout le monde dit ? Celle qui s’abstient de juger tant qu’elle n’a pas étudié la question ou celle qui tranche avant d’ouvrir le dossier ?

La vraie culture est, heureusement, dument représentée au sein de la population. Mais elle est, par définition, modeste et se fait facilement vaincre, lors de la décision, par une rivale particulièrement puissante de nos jours : la pseudoculture.

Celle-ci se caractérise par une aptitude à parler avec un ton d’autorité de sujets dont on ignore tout, mais sur lesquels on possède quelques idées glanées au hasard des magazines et des conversations de salon. Elle recherche moins la vérité que l’approbation générale, et prend la modestie pour de l’insignifiance. Elle donne facilement dans la condescendance. Simplificatrice, elle prétend régler en un tournemain des questions très complexes, sans même se douter qu’il pourrait y avoir des faits à vérifier."

Voici la référence à ce texte http://claudepiron.free.fr/articlesenfrancais/culture.htmhtm et j’espère toujours que son auteur me pardonnera.

Allez, débattez, lisez et référencez.


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