Laura Dern (en Masterclass), fan de Simone Signoret !
par Vincent Delaury
jeudi 23 février 2023
Retour sur la Masterclass Laura Dern (©photos V. De.) proposée par la Cinémathèque française à Paris, lundi 20 février dernier, au sein d’une journée toute cinéphile qui lui était « amoureusement » consacrée, cette actrice américaine contemporaine a plus de soixante films à son actif à ce jour, d'Un monde parfait (1993) de Clint Eastwood à The Master (2012) de Paul Thomas Anderson via Jurassic Park (1993) de Spielberg et autres Inland Empire (2006) de Lynch, sans oublier ses apparitions plus récentes remarquées dans des séries télé telles Enlightened (HBO, 2011) et Big Little Lies (HBO, 2017).
- Laura Dern, en Masterclass, à la Cinémathèque française, Paris, le 20 février 2023 (©photo V. De.)
- Laura Dern, aux côtés de Sam Neill, dans « Jurassic Park » (1993, Spielberg)
Cette Masterclass, d’une durée de 60 minutes, s’accompagnait des projections, salle Henri Langlois (archi-comble, star hollywoodienne oblige !), d’anciens films importants dans son parcours et sa formation d’actrice (Blue Velvet, 1986, Sailor & Lula, 1990, tous deux signés de l’artiste protéiforme David Lynch, cinéaste mais également peintre et musicien) et d’un tout nouveau, en avant-première, The Son (2023, présenté à la Mostra de Venise en 2022, il sera dans les salles en France à partir du 1er mars prochain, il forme une trilogie avec The Father et en attendant The Mother), par l’écrivain et cinéaste Florian Zeller dont la cote ne cesse de monter depuis quelque temps aux États-Unis (il a remporté en 2021 avec The Father, son premier long métrage en tant que réalisateur, adapté à l’instar de The Son de l’une de ses pièces de théâtre, deux Oscars à Hollywood, dont celui du meilleur scénario adapté).
Laura Dern joue dans ce drame familial, sorti tout simplement sous le titre Le Fils au Québec, une mère sous tension (Kate), car inquiète pour l’avenir de son fils renfermé depuis quelque temps, sans amis et se tenant à distance du système scolaire, aux côtés de l’Australien Hugh Jackman (nominé pour son rôle de père, nommé Peter, en tant que Meilleur acteur, aux Golden Globes 2023), de Vanessa Kirby ainsi que de Zen McGrath, campant ici avec beaucoup de sensibilité l’ado tourmenté (autiste Asperger ? Il a beaucoup de mal à affronter les changements dans son existence), sans oublier Sir Anthony Hopkins, qui jouait déjà dans The Father (2020), long métrage qui lui avait valu son second Oscar du Meilleur acteur après celui obtenu en 1992 pour Le Silence des agneaux (1991).
Après un détour par les films choisis projetés, des deux Lynch au Zeller, je reviendrai, en reprenant certains de ses propos (dont son focus sur notre Simone Signoret nationale, cocorico !), sur la Masterclass de l’attachante, et classieuse, Laura Dern. À mon avis, au vu de sa blondeur… en apparence angélique, un Hitchcock aurait bien aimé la faire tourner !
BLUE VELVET
Tout d’abord Blue Velvet (1986), Laura Dern, toute jeune – la vingtaine - dans ce thriller vénéneux de David Lynch (Grand Prix du Festival d’Avoriaz en 1987)), avec sa fameuse oreille humaine coupée retrouvée dans des hautes herbes et semant le trouble dans une petite ville américaine tranquille en Caroline du Nord, est Sandy, la petite amie blonde ingénue, toute de rose bonbon, qui croit encore à un monde nouveau préservé de la sauvagerie par l’arrivée salvatrice de jolis rouges-gorges, d’un certain Jeffrey Beaumont, incarné par l’acteur fétiche, une sorte d’alter ego du réalisateur américain (son Antoine Doinel/Jean-Pierre Léaud à lui), de Lynch : Kyle McLachlan. Ce détective amateur découvre, en épiant la chanteuse angoissée Dorothy Vallens, interprétée par la troublante Isabella Rossellini, que cette charmante bourgade de Lumberton abrite en fait des individus louches, aux mœurs douteuses, notamment en matière de déviance sexuelle. Créateur surréaliste à l’univers absurde et incongru, Lynch, au grand dam de maints critiques, n’aime pas trop théoriser et encore moins donner une interprétation à ses films-trips sensoriels, à vivre au fond comme des films de fiction signés par un peintre (sa formation de départ) lorgnant ouvertement vers l’expérimental et le grotesque, pour autant, par bribes, il a donné, en interview, quelques indices, tels ceux-ci : « [pour le début de Blue Velvet, qui porte le nom d’une vieille chanson éponyme (tube sirupeux de 1963 par Burt Bacharach, Velours bleu] Il fallait que ce soit une oreille parce que c’est une ouverture et elle mène à quelque chose d’immense… » puis « Le cinéma, c’est du voyeurisme, finalement. On est à l’abri, dans la salle, et regarder est une chose puissante. »
- « Blue Velvet » (1986, David Lynch)
Que dire de ce film culte, plus de trente-sept ans après sa sortie en salle ? Si ce n’est qu’il n’a en rien perdu de sa puissance hypnotique. Lancé comme un rêve, Blue Velvet est un cauchemar de velours qui, en égrenant fragments de film (moult images et sons récurrents), imagination au pouvoir, phrases énigmatiques (« Je suppose, dixit la candide Sandy, que le Mal disparaîtra quand les rouges-gorges reviendront ») ainsi que désirs inconscients, nous fait découvrir l’envers du décor américain. L’univers pervers, décadent et cruel à la Francis Bacon, mâtiné de Van Gogh, dans lequel plonge, à la fois fasciné et effrayé, Jeffrey, jeune homme innocent, n’est finalement que la face cachée de cette petite ville de province, banale et tranquille, aux faux-airs de Hopper et de Norman Rockwell. Avec le recul, Blue Velvet apparaît vraiment comme un teaser, ou sa rampe de lancement, pour Twin Peaks (1990, 2 saisons, 48 épisodes), la série cultissime de Lynch dont la trame s’apparente à un puzzle pour mieux brouiller les pistes, autour du mystère de la mort de Laura Palmer, naviguant continument en eaux troubles accompagnées par les nappes flottantes vertigineuses du compositeur attitré du cinéaste américain Angelo Badalamenti (1937-2022 ; à noter que ce musicien, hélas décédé dernièrement, apparaît à l’écran dans Blue Velvet, c’est le pianiste éclairé de bleu dans les scènes de night-club, juste derrière Rossellini).
- Laura Dern, en portrait médaillon, dans « Blue Velvet »
Quant à Laura Dern, qui fut révélée en 1986 par Blue Velvet, elle se fait ici, avec ce personnage secondaire qu’est Sandy, heureux contrepoint à la mystérieuse brune Dorothy, chanteuse aux lèvres rouge sang immergée malgré elle dans un univers sadomaso au sein duquel elle est la victime d’un monstrueux gangster (grandiose Dennis Hopper) : elle joue parfaitement cette jeune blonde vaporeuse et évanescente, telle une icône retrouvée de l’Amérique rêvée des années 50 (d’ailleurs, sa première apparition à l’image se fait par le biais d’une photo rétro dans un cadre médaillon), désespérément amourachée d’un Jeffrey tiraillé, lui, entre sa quête d’innocence – qu’il ressent en elle, aux allures d’oie blanche et proprette - et sa curiosité, maladive ?, le poussant à s’engouffrer malgré tout, et à ses risques et périls, dans les vertiges et délices de l’inquiétante étrangeté. Concernant Blue Velvet, Paul Schrader, réalisateur et scénariste, notamment pour Scorsese, déclarera, à raison, peu après sa sortie : « Dès que j’ai vu le premier plan de l’oreille, j’ai su que ça allait être un film fabuleux. Blue Velvet est extraordinaire, parce qu’il fonctionne à des niveaux qui sont à peu près la frontière entre l’inconscient et le subconscient. Et on ne peut jamais savoir vraiment si une image donnée représente l’un ou l’autre. » Bref, Blue Velvet est bel et bien un film-rêve - Lynch a souvent précisé que les idées de ses films provenaient de ses rêves ou de la méditation transcendantale dont il est adepte depuis les années 70 - des plus envoûtants.
SAILOR & LULA
Ensuite arrivait la bombe filmique rutilante, mon Lynch préféré !, toujours dans la salle Henri Langlois, Sailor et Lula, titre original : Wild at Heart (sauvage au cœur), Palme d’Or controversée à Cannes en 1990, décernée sous les applaudissements et les huées (le film est très cru en matière de violence et de sexe), avec dans les rôles-titres Nicolas Cage et Laura Dern. Ce road movie halluciné, aux allures fauves, comme fasciné par la pyrotechnie (on ne cesse de voir à l’écran des feux et des allumettes qu’on gratte) et que Lynch qualifia lui-même d’« histoire d’amour en enfer », s’avère toujours aussi électrisant trente-trois ans après sa sortie, son énergie est contagieuse, voire même visionnaire : son style rock et pop a été depuis longtemps imité, nul doute que Tarantino, notamment dans l’alternance percutante entre plans larges et très gros plans, l’a bien observé, son ultra-violence à ciel ouvert, au sein de la bourgade texane Big Tuna, arborant fièrement le panneau d’accueil charmant sous forme de poisson d’avril « Fuck You », semble annoncer le climat de violence à l’œuvre dans Los Angeles lors notamment des émeutes de 1992 et même après ; en outre, à la toute fin des années 1980, le monde va mal, aujourd’hui ce n’est pas mieux !, les États-Unis se préparant pour une « Tempête du désert » en Irak, c’est dans ce contexte que Lynch, en adaptant librement le conte Sailor & Lula de Barry Gifford, un écrivain américain de romans noirs, paru en français aux éditions Rivages en 1991, fixe sa trame explosive. Dans ce monde décrit comme « sauvage au cœur et en plus bizarre », il semblerait qu’un climat anxiogène, tant psychique que météorologique, ait des répercussions directes sur le mental des gens - à noter qu’on y entend déjà parler via Lula (incandescente Laura Dern), et c’est d’ailleurs assez troublant, du trou pour le moins suspect dans la couche d’ozone.
- « Sailor & Lula », Palme d’Or 1990
Ne pas oublier que, derrière son savant mélange des genres, entre comédie musicale (Elvis Presley y est roi), road-movie, film fantastique (la scène de l’accident est du Cronenberg, celui du troublant Crash (1996), avant l’heure) et thriller, Sailor et Lula est une formidable histoire d’amour ! Impossible romance, rendue possible sur le tard, entre Sailor (exaltant Nicolas Cage, follement attachant malgré son côté cinglé), un bad boy au cœur tendre fan du King pour qui sa veste en peau de serpent est résolument « le symbole de son individualité et de sa liberté personnelle », rien que ça !, et sa fiancée Lula, grande tige blonde outrageusement sexy (l’héroïne lynchienne dans toute sa splendeur, ô combien incendiaire), tous deux lors de leur cavale rocambolesque, de la Caroline du Nord au Texas, étant traqués par des tueurs. Alors que ces deux tourtereaux, restés grands et sales gosses, partent à la recherche de la Cité d’Emeraude, ils sont pourchassés par la vilaine sorcière Marietta (Diane Ladd, mère de Lula, refusant leur liaison), qui a lancé ni plus ni moins à leurs trousses ses deux amants criminels, se faisant bientôt concurrence. Au cours de leur périple aventureux, dans une sorte de Roméo et Juliette trash saupoudré de Magicien d’Oz (ouvertement cité dans le film, Lynch en profitant une nouvelle fois pour écorner le rêve américain narré sous forme de conte de fées en y distillant de la noirceur, à savoir son « côté obscur »), nos deux amoureux rock’n’roll rencontrent tour à tour Perdita Durango (Isabella Rossellini, méconnaissable), Bobby Peru (campé par un Willem Dafoe stupéfiant, entre attraction et répulsion : la scène où sa tête explose stupidement lors du casse avec sa propre arme, façon cartoon, est irrésistiblement drôle – du Lynch décalé pur jus !), ainsi qu’une certaine Juana au pied bot (étonnante Grace Zabriskie).
- Laura Dern et Nicolas Cage dans « Sailor & Lula » (David Lynch)
« Sailor & Lula, dixit Lynch, est une histoire d’amour qui passe par une étrange autoroute dans le monde moderne et tordu. » Laura Dern, avec ce film, passait de l’innocente un brin nunuche dans Blue Velvet, la timide Sandy, à un personnage de blonde exaltée, mais encore dans l’enfance (avec une grossesse inattendue difficile à assumer), faisant fissa monter la température, affirmant ses désirs et sa sexualité de feu, très librement, il faut l’entendre dire cash à Sailor, avec sa bouche rouge vermillon tordue par le désir : « Bébé, tu ferais bien de me ramener à l'hôtel, tu m'as chauffée pire que l'asphalte en Géorgie ! » Maître de l’entre-deux, faisant constamment et malicieusement osciller son récit entre deux mondes, du bien au mal, du connu à l’inconnu, du visible à l’invisible, ainsi que de la lumière à l’obscurité, David Lynch signe en quelque sorte, avec le pétaradant Sailor et Lula, sa Nuit du chasseur à lui, la sacro-sainte American Way of life, tant vantée dans la culture américaine des fifties, y étant pas mal court-circuitée ici par le vice, la violence et la corruption de la « vraie vie ». Avec tout de même un espoir : l’amour fou, conduisant au pays d’Oz revigorant magique, éclate au beau milieu du film au cours d’une séquence magistrale, à haute intensité dramaturgique. Alors que l’autoradio, malgré les fréquences changées, déverse son flot habituel de mauvaises nouvelles (de meurtres en famille à un accusé ayant des rapports sexuels avec un cadavre via des crocodiles dévorant des morts flottants sur le Gange, etc.), Lula, affolée, arrête la bagnole, s’écrie « C’est La Nuit des morts-vivants ! », demandant alors illico à Sailor d’arrêter « cette merde » pour mettre de la musique à fond les ballons. Son petit ami s’exécute et trouve… POWERMAD ! Nos deux jeunes amoureux se lancent alors dans une danse baroque et frénétique, fusionnant speed metal et kung-fu, la caméra s’élève pour capter un magnifique coucher de soleil, aux teintes mordorées sensuelles, l’envolée lyrique d’Angelo Badalamenti prenant alors le relais du trash metal, avant de finir poétiquement sur le baiser fougueux des deux amants, alors seuls au monde et semblant hors du temps, comme au cinéma. Sailor et Lula sont hyper beaux et vivants à l’écran : on les envie, on est avec eux. Scène culte, très émouvante, avec un amour bigger than life élevant instantanément Sailor & Lula au rang de film culte inoubliable.
- Laura Dern/Lula
THE SON
- « The Son » (2023, Florian Zeller)
Âgé tout juste de 17 ans, Nicholas, fuyant le cadre scolaire (de nombreuses absences non justifiées), système porté sur la performance beaucoup trop cadenassé par rapport à ses rêveries urbaines toutes rimbaldiennes, ne va pas bien : cet ado en souffrance, taciturne et opaque, que d’aucuns trouvent bizarre voire inquiétant, est en pleine dérive, il n’est plus du tout cet enfant lumineux, éternellement souriant, avec sa blondeur ensoleillée, qui faisait la joie de ses parents. Complètement dépassée par la situation, sa mère Kate (Laura Dern) accepte qu’il aille vivre un temps chez son père, Peter (Hugh Jackman), remarié depuis peu et papa d’un nouveau-né, homme installé, portant beau, en proie malgré un job des plus rémunérateurs à certains démons issus du passé, se cristallisant notamment sur la figure hiératique d’un paternel fier et autoritaire (Anthony Hopkins), sans failles apparentes, obsédé par son métier et sa réussite sociale. Pour autant, malgré certaines résistances psychologiques (il a été élevé à la dure et veut reproduire ce modèle), Peter tente de dépasser son incompréhension, couplée à la colère et au sentiment d’impuissance, dans l’espoir de retrouver son fils.
- L’acteur Hugh Jackman en conversation avec Costa-Gavras, président de la Cinémathèque française (©photo V. De., février 2023)
Franchement, passant après deux Lynch de haute volée, ce n’était vraiment pas facile de succéder au fascinant Lynchland, pour autant, Florian Zeller, venu modestement présenter son film sur la dépression adolescente, aux confins de la tragédie, avec in situ ses acteurs Laura Dern et Hugh Jackman, tout en étant, semble-t-il, assez impressionné par le lieu (le prestige de la Cinémathèque), s’en est plutôt bien tiré, faisant certainement confiance à la qualité de jeu indéniable des acteurs de son film pour le tirer vers le haut ; dernièrement dans l’émission Beau Geste animée par Pierre Lescure, diffusée le 19 février 2023 sur France 2, il déclarait : « J’aime admirer, certains pensent que ça rabaisse, pas moi. Laura Dern, c’est la muse de David Lynch, je l’adore, elle est la somme de tous ses films, c’est ça qui est fort quand on rencontre un acteur, ou actrice. Elle est très proche de Lynch, metteur en scène que j’admire, notamment pour ses constructions labyrinthiques dans lesquelles il laisse des béances à compléter par le spectateur qui, pour rejoindre les fils d’une narration souvent non linéaire, comme dans Mulholland Drive, fait appel à son vécu, à sa mémoire, à sa propre expérience. » Bien dit.
- L’équipe de « The Son » (Laura Dern, Hugh Jackman, Florian Zeller) à l’avant-première du film, Cinémathèque
The Son, sans être il est vrai profondément novateur (son classicisme étouffe un peu), a selon moi deux atouts d’importance. D’une part, New York est magnifiquement filmé, ville que je n’avais pas vu aussi bien captée, notamment en ce qui concerne ses intérieurs « isolants », depuis au moins Panic Room (2002) de David Fincher, et s’y trouve un soin tout particulier apporté aux détails, avec également une certaine délicatesse dans le traitement des rapports humains (on pense à Bergman et même le compositeur ampoulé Hans Zimmer se fait sobre !), évoluant ici entre amour et désamour, voire haine, dans le monde (gris) des adultes avec la redoutée, mais inévitable, rupture au bout, puis des enfants (bébé, qui grandira, et un ado chamboulé, c’est lui The Son du film, mais pas seulement…) de divorcés qui doivent, afin d’éviter de passer par la case suicide, maintenir coûte que coûte la tête hors de l’eau face à cette terrible épreuve de la séparation, aux dommages collatéraux bien connus. Thème certes éculé mais, comme le disait notre cher Hitchcock, il vaut mieux partir d’un cliché que d’y arriver. La maîtrise de Zeller, notamment son attention portée à des détails du réel sans que cela ne soit pour autant jamais sur-ligné (un portrait de Rimbaud dans une chambre d’ado, des polaroids accrochés, la main protectrice d’un père tenant la tête de son nourrisson, un paradis perdu en Corse, une machine à laver au tambour tournant en continu, la froideur métallique d’une porte blindée…), est assez impressionnante. Et d’autre part, ce film d’acteurs par excellence qu’est The Son contient, d’après moi, une séquence d’anthologie prenant la forme d’un entretien pesant entre un père et un fils en souffrance, via Hugh Jackman et Anthony Hopkins (qui n’apparaît qu’à ce moment-là du long métrage), scène pivot dans laquelle à lui tout seul, Hopkins, pas loin du hold-up (autrement dit de sa capacité à « voler le show »), vampirise le film tant sa prestation est intense, à la Brando (cf. ses apparitions ultimes attractives), avec l'impression que même ses rides, via son « visage-cicatrice » portant tous les films mémorables d'une filmographie éclectique (du corsetage guindé des Vestiges du jour au cruel Hannibal Lecter), jouent !
MASTERCLASS LAURA DERN
Enfin, au sein de cette journée, toute spéciale, avec Laura Dern à la Cinémathèque française à Paris, métro Bercy, arrivait, telle une cerise sur le gâteau, la Masterclass tant attendue de Laura Dern, calée entre les deux puissants Lynch, Blue Velvet et Sailor & Lula (son rôle de la maturité au sujet duquel elle disait : « Je n'ai pas étudié pendant quatre ans, j'ai juste suivi les cours de David Lynch ! ») et, en avant-première donc, ce The Son (2023), porté par notre Frenchy Florian Zeller, né en 1979 à Paris, qui monte en puissance ces derniers temps dans le monde anglo-saxon, The Guardian le considérant carrément comme « l’auteur de théâtre le plus passionnant de notre époque. »
- Laura Dern à la Cinémathèque française, Paris (©photo V. De., février 2023)
Première impression, voir Laura Dern en chair et en os, c'est comme plonger dans un David Lynch, même si certains, parait-il – et après tout, à chacun ses références et madeleines de Proust ! -, ont tenté d'effectuer, comme en souvenir de la blonde paléo-botaniste canon du blockbuster US Jurassic Park, jeune femme sémillante (Ellie Sattler) attirant tant Sam Neill que Jeff Goldblum, quelques bruits de dinosaure afin d'attirer, en vain !, son attention. Immersion pour ma part, en la voyant en live comme on dit, dans le Lynchland, en partance pour un ailleurs, entre Jérôme Bosch, l'Amérique fantasmée des fifties et Le Magicien d'Oz. Ce n'est pas pour rien qu'il existe désormais l'adjectif « lynchien » pour définir une atmosphère qui dépasse l'entendement.
Alors, on me dit dans l'oreillette qu'on l'a vue, cette jolie et élégante Laura Dern, chez d'autres réalisateurs que Lynch, qui comptent tout autant ou en tout cas peuvent prétendre rivaliser avec lui, tels Adrian Lyne, lui offrant en 1990 avec Ça plane pour moi son 1er rôle au cinéma, Robert Altman, Spielberg, Eastwood, Paul Thomas Anderson, Kelly Reichardt, Noah Baumbach, Jean-Marc Vallée et maintenant Zeller. Certes, mais celui qui, selon moi, en a tiré la substantifique moelle, en lui donnant naissance via un personnage de fiction de Beauté Blonde alternant le nunuche froufroutant et la folie intérieure sous-jacente, c'est Mister Lynch, de toute évidence ! Et ce par quatre fois jusqu’à présent : Blue Velvet, Sailor & Lula, Inland Empire (2006), le dernier film de fiction en date calibré pour le cinéma de la part de Lynch, car en 2017, avec Twin Peaks, pour une saison 3 de 18 épisodes, il est revenu à l’image en mouvement mais par le truchement cathodique, pour le plus grand bonheur de ses fans, on y retrouvait bien sûr son actrice fétiche Laura Dern, distribuée notamment dans un rôle central non dévoilé.
En ce qui concerne Inland Empire (2006), qui racontait l’histoire alambiquée d’une actrice hollywoodienne, Nikki Grace (Laura Dern) comme perdue dans son rôle, oscillant en permanence entre rêve et réalité (Lynch, peu bavard, précisera juste aux journalistes de Variety : « C’est à propos d’une femme en détresse, c’est un mystère et c’est tout ce que j’ai à dire sur ça. » C’est le film de cinéma le plus radical et le plus expérimental de ce cinéaste américain marginal jusqu'à présent, où il tient volontiers à distance, en se servant de petites caméras portables qu’on peut acheter facilement dans le commerce, l'industrie du cinéma ; depuis, comme on le sait, moins sous les sunlights de la médiatisation qu'apporte le miroir aux alouettes qu'est Hollywood, le cinéaste poète s'est tourné vers les arts plastiques, dont la gravure et la lithographie - il la pratique notamment à Paris, dans l’imprimerie Idem du 6ème arrondissement - et a à peine tourné, hormis un petit retour, comme indiqué précédemment, par la série télé en 2017 avec Twin Peaks où Laura Dern joue notamment Diane Evans. Message tout personnel pour David Lynch - Ne vous faites pas aussi rare au cinéma, c'est tout de même là où vous excellez !
- Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque, et Bernard Benoliel, interrogeant Laura Dern, accompagnée d’une traductrice
Écouter Laura Dern pendant une heure, c’était vraiment passionnant, elle est enjouée, passionnée. C’était une vraie leçon de cinéma, plus précisément d’acting. Elle a beaucoup parlé de son mentor David Lynch, en termes élogieux : « C’est un visionnaire, dans sa façon qu'il est parvenu à voir toutes les femmes en moi, à saisir mon humanité dans ses nombreux changements, de l’ingénue à la folle en passant par la pin-up bougeant comme un chewing-gum (Lula), j’ai bien plus appris de lui sur moi que je ne lui ai appris la moindre chose, c’est vraiment un maître, avec un regard et une profondeur, c’est quelqu’un d’assez métaphysique, avec une forte vie spirituelle, il voit en nous des choses et parvient à les fait sortir, comme par magie. Anecdote amusante, pour Sailor et Lula, il a vu tout de suite que Nick Cage et moi nous étions en phase, dans la réalité une partie de de nous était très proche de ses jeunes personnages, les scènes de sexe ont été drôles et intenses à tourner, c’était joyeux sur le plateau. On allait parfaitement ensemble. David a eu du flair, il nous avait invités à dîner dès le début, on ne s’était jamais rencontrés avant, Nick et moi, mais, 15 minutes après, il y a eu un incendie tout près du restaurant, sur Beverley Boulevard à la Cinémathèque, avec un bâtiment qui a pris feu et s'est effondré, c’était étrange, ce feu, dès notre première rencontre, et Lynch, qui a beaucoup d’humour, a dit que c’était notre alchimie à tous deux qui avait provoqué ça ! Et cette passion devait irriguer tout le film. Je vois cette histoire comme un personnage, nous interprétions un seul et même organisme : Sailor et Lula. Mais attention, il ne faut pas trop lui poser de questions. Sur Inland Empire, à un moment donné, il m’a mis un tournevis entre les mains. Intriguée, je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit aussitôt – Stop ! Arrête de poser autant de questions ! » [Rires]
Quant à ses sources d'inspiration, des plus variées, Laura Dern, émue, a tout d’abord remercié Bernard Benoliel de citer une certaine Sandra Seacat, la professeure de théâtre de ses débuts : « Je vous remercie d’évoquer cette grande dame, elle est décédée récemment [le 17 janvier 2023], c’était une sorte de Lee Strasberg [directeur artistique et enseignant de l’Actors Studio] au féminin, elle m’a enseigné bien des choses, ainsi qu’à Mickey Rourke. Cette actrice de théâtre coachait aussi Isabella Rossellini sur Blue Velvet. Sa méthode ? Elle m'a transmis le don de l'art comme guérison, la croyance dans nos faiblesses comme remèdes, ça a vraiment été ma maestra. Imprégnée par l’analyse des rêves jungiens, Seacat voyait l’acteur comme un conteur créant du lien avec les vivants. C’était une coach hors pair, une accompagnatrice, j’ai trouvé ma voie grâce à elle. J’aime jouer, mon amour du jeu vient d’elle, le cinéma est un cadeau. »
- Simone Signoret (1921-1985), actrice phare pour Laura Dern
Puis, toujours Laura Dern - « Mais sinon, ici, en France, vous avez une grande actrice, c’est Simone Signoret ! Je la respecte infiniment, elle était profondément humaine. Je suis toujours à l'écoute d'artistes qui offrent quelque chose de pur dans leur radicalité. J’admire également Bette Davis et Meryl Streep, sans oublier le génial Peter Sellers, Shelley Winters (Lolita), Anne Baxter (Eve) ainsi que Charles Laughton, acteur et réalisateur britannique. »
Petit détail révélateur, lors de la rencontre, les intervieweurs (vraiment du solide : Frédéric Bonnaud, ex-plume Cinéma des Inrocks et directeur général de la Cinémathèque, et Bernard Benoliel, critique de cinéma et directeur de l'action culturelle et éducative au sein de cette institution parisienne au rayonnement international), ne l'interviewaient, en grande partie, que sur son expérience cinéma, avec David Lynch en pole position (il a fasciné, et fascine toujours, toute une génération de cinéphiles, ayant faire leurs classes disons dans les années 1980/1990 – diantre, j'aurais fait pareil ! Mais, lorsqu'on a donné la parole au public (ce qui est très bien, cela permettant de croiser les regards), eh bien tous les jeunes intervenants ne questionnaient, tout en la célébrant (les fans transis étaient nombreux, tant hommes que femmes, très présentes dans l'assistance), Laura Dern que sur ses séries TV récentes. Mince, visiblement, j'ai raté un épisode. J'ai besoin manifestement d'un reboot !
Ouf, je connais tout de même Laura Palmer et Twin Peaks (c'est, au fond, une série TV très cinéma, Lynch aux commandes et comme chef d'orchestre sibyllin faisant vite dévier le fil narratif linéaire vers ses obsessions bord-cadre toutes... lynchiennes, ce n'est pas pour rien que Laura Dern a par le passé précisé ceci : « La plus grande frustration pour un acteur, c'est de calculer ses effets en vue d'un résultat. Donner ce qui est attendu pour remplir les salles ? Travailler avec David Lynch, c'est refuser cette escroquerie ! » Merci Laura pour cette liberté de ton). Mais, personnellement, j’avoue n’avoir jamais entendu parler de séries telles Enlightened et Big Little Lies, où Laura Dern évolue tout de même, dans un cadre psychologique teinté d’humour noir, aux côtés d’autres stars au féminin du septième art telles Nicole Kidman, Reese Witherspoon et Meryl Streep ; cette série Big Little Lies (2017-2019) semble vraiment très en vue, car portant notamment la cause féministe (des violences conjugales y sont abordées), ce qui lui offre, à n'en pas douter, une large audience auprès du public féminin. De plus, interrogée par un spectateur pour sa participation mémorable à la série télévisée américaine Ellen en 1997, où elle campait le crush (objet de désir) d'Ellen DeGeneres, l'actrice s'est alors remémorée avec émotion le coming out historique de l'animatrice télé et humoriste : « Ce moment a complètement changé ma vie, ça a été incroyable pour moi de soutenir Ellen à cet instant précis de son existence, de regarder cette femme adulte dans les yeux, de sentir sa main trembler dans la mienne, la peur de la parcourir. J'en ai eu le coeur brisé et ne souhaite à personne de traverser cette épreuve. » Ainsi, Dern, en étant trans-générationnelle, ratisse large - tant mieux, suscitant l’attention tant des anciens que des plus jeunes. In fine, après tout, à chacun(e) sa Laura Dern, c'est ça un acteur/actrice : un écran de projection à fantasmes et à identifications multiples possibles. Moi, j'aime particulièrement Laura Dern parce que Lula & Sailor, c'est bien également dans ce sens-là.
Laura Dern, 57 ans au compteur (elle fêtait son anniversaire le 10 février dernier) et ex-compagne du chanteur américain bien connu Ben Harper avec qui elle a eu deux enfants, désormais ados (Ellery et Jaya, présents discrètement l’autre soir), a obtenu l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour Marriage Story de Noah Baumbach (2019).
Enfant de la balle née en 1967 à Los Angeles : père et mère acteurs, Bruce Dern et Diane Ladd, qui joue sa mère foldingue et sanguinaire dans Sailor & Lula !, la petite Laura, aux alentours de 6 ans, les a vus jouer dans Alice n'est plus ici (1974) de Martin Scorsese (sa maman/Flo) et Complot de famille (1976) d’Alfred Hitchcock (son papa/George Lumley). Il faut savoir que son paternel Bruce Dern (toujours vivant, 86 ans), en dehors de sa filmographie filant sur plusieurs décennies, et plutôt riche (il a remporté en 2013 à la 66ème édition du Festival de Cannes le prix d'interprétation masculine pour le rôle de Woody Grant dans Nebraska d'Alexander Payne), a un titre de gloire... insolite et étonnant, relevant tant du cinéma que du méta (hors écran, à savoir la mythologie et la sociologie gravitant autour du 7e art) : il est le seul acteur à avoir tué à l'image le vétéran et conservateur John Wayne, béret vert patriote pour l'éternité (qui véhiculait volontairement dans un Hollywood moralisateur, il l'est toujours, le « légendaire héros indestructible qui ne meurt jamais ») : c'était dans Les Cowboys (1972, The Cowboys de Mark Rydell, western diffusé en décembre 2020 sur France 3 avec une pléiade de gamins, une sorte de Goonies avant l’heure). Et de surcroît, le salaud !, il le flingue, en prime, sacré lascar, de dos.
- Bruce Dern, le papa de Laura, flingueur de John Wayne dans « Les Cowboys » (1972, Mark Rydell)
Son personnage de « Long Hair » Watts, précise Wikipédia, abat lâchement dans le dos le bon bougre Will Andersen (Wayne, un patron qui flanche 20 minutes avant la fin du film : la légende est salement mise au tapis, ce bon vieux « Duke » est tué – bye, bye John Wayne !) : « Comme je suis le seul acteur qui ait jamais tué John Wayne dans un film, les producteurs m'ont étiqueté comme un méchant. » Du coup, Bruce a eu en effet une carrière de méchant au cinéma, avec des titres de films pour le moins programmatiques et révélateurs, tels Le Flic ricanant, Les Huit Salopards (détour en 2015, sur fond d'Ennio Morricone (le western spaghetti, avec ses cowboys crapoteux mal rasés, a mis un caillou dans la santiag de l'Ouest américain de rêve façon Ford), par Tarantino, amoureux cinoque de cinéma de classe A et bis, voire Z), Le Monstre des marais, La mort sera si douce et autres Anges de la haine.
Tenez, je viens de faire, par deux fois (Oscar + Bruce Dern, méchant notoire), un retour vers le cinéma, c’est davantage mon dada, j’avoue, que la série téloche actuelle ayant le vent résolument en poupe, mais bon, comme je l’ai dit auparavant, chacun a SA Laura Dern de prédilection : que ce soit au cinéma ou à la télé, c’est vraiment une grande actrice. Qu’il ne faut surtout pas hésiter à aller voir prochainement dans l’émouvant The Son, car dans son rôle de mère toute en retenue, inquiète, voire désemparée, face à la maladie mentale chronique de son fils Nicholas, tentant de s’accrocher, telle une bouée, à son ex pour y voir plus clair et rester ainsi dans les parages réconfortants, et chaleureux, des souvenirs heureux, elle joue très justement, faisant preuve de beaucoup d'empathie, et surtout sans manifester le moindre surplomb à l'égard de son personnage maternel largué, qu'elle ne juge jamais alors qu'il croule sous les fragilités.