Lavinia Fontana : un somptueux portrait de famille
par Fergus
jeudi 24 janvier 2019
Si le « Portrait de Blanca degli Utili Maselli avec six de ses enfants » par Lavinia Fontana n’est pas aussi surprenant que « La partie d’échecs » peint un demi-siècle plus tôt par son aînée, la pionnière Sofonisba Anguissola (cf. article de décembre 2015), il n’en est pas moins remarquable, tant par la qualité de sa réalisation que par les détails qu’il recèle…
On savait que la Bolognaise Lavinia Fontana (1552-1614), fille du peintre maniériste Prospero Fontana, avait été une artiste de grand talent. À un point tel qu’elle avait réussi à éclipser son mari, le peintre Gian Paolo Zappi, devenu son assistant, tant à l’atelier de peinture que dans le logis familial où, comme… auxiliaire paternel, il était chargé de l’éducation des nombreux enfants du couple. Une situation peu banale pour l’époque.
Ce que l’on savait moins, c’est à quel point cette femme peintre de la Renaissance italienne avait été capable de rendre avec autant de précision les détails d’un visage, d’un habit ou d’une parure. Certes, nombre de ses chef-d’œuvre ont illustré cette capacité, à l’image de la « Visite de la reine de Saba au roi Salomon », fierté de la National Gallery de Dublin, ou du magnifique portrait de Gabrielle d’Estrées, mais le tableau qui représente Blanca degli Utili et ses enfants rend ce constat encore plus spectaculaire.
On ne sait pas grand-chose de cette femme de noble condition qui pose entourée de six de ses enfants, si ce n’est ce qui figurait sur l’épitaphe de sa tombe* dans l’église San Lorenzo in Damaso de Rome. On y apprend que cette dame, native de Florence, avait épousé le chevalier Pierino Maselli dont elle eut… 19 enfants avant de décéder en septembre 1605, seulement âgée de 37 ans au terme d’une vie de grossesses répétées.
Cette noble Florentine n’en a pas moins belle allure sur le tableau que Lavinia Fontana a réalisé quelques mois seulement avant que son modèle ne décède pour une raison inconnue, mais possiblement épuisée par ses multiples grossesses. Sur cette toile de taille moyenne (99 x 133,5), Blanca pose en compagnie de six de ses enfants : cinq garçons et une fille. Ce qui frappe au premier regard, c’est la grande unité chromatique de ce tableau et le sérieux des personnages. Un sérieux toutefois tempéré par les postures des trois garçons de droite qui suggère des tentations de dissipation. Rien de tel à gauche de la toile où, comme leur mère, les deux garçons et la petite fille fixent le spectateur sans broncher contrairement à deux des garçons de droite.
En observant avec attention ce tableau, l’on se rend compte que les cinq garçons sont tous habillés de façon identique d’un habit – probablement du brocart – de belle facture. La mère et la fille sont, quant à elles, vêtues de brocarts d’une plus grande richesse en termes d’ornementation, et leurs habits sont réhaussés par des bijoux de qualité : colliers de perles, boucles d’oreille en or, bracelets et bagues. Ce détail, concernant la petite fille, n’est peut-être pas anodin : ajouté au fait que seule des six enfants, cette fillette a son prénom – Verginia – peint au-dessus de sa tête, son habit richement paré a conduit certains spécialistes à penser que ce tableau a pu être peint en son honneur. Une hypothèse cependant peu crédible : si tel avait été le cas, la fillette aurait probablement été peinte seule ou avec sa mère sans la présence des garçons.
Une chose est certaine : le tableau de Lavinia Fontana est un précieux témoignage de la mode nobiliaire du temps en ce 17e siècle naissant. Outre le tissu des habits, les omniprésentes dentelles des poignets et surtout des fraises à godrons sont particulièrement impressionnantes par leur finesse d’exécution. Tout aussi remarquable est la manière dont l’artiste a rendu les chevelures rousses de Blanca et des enfants de gauche.
L’observation détaillée de la toile nous montre en outre qu’à l’exception de l’un des garçons dont on ne voit pas les mains, les quatre autres frères sont tous porteurs d’un accessoire. L’un, en haut à droite, est doté d’une médaille accrochée à une chaînette ; « une médaille de chevalier », nous indique Maria Teresa Cantaro dans son expertise pour Sotheby’s en 2012**, ce qui suggère qu’il devrait hériter du titre de son père. Un peu plus bas, un autre garçon est, quant à lui, muni d’un encrier et d’une plume ; serait-il destiné à une fonction de notaire ? Côté gauche, le frère aux magnifiques cheveux bouclés est, quant à lui, doté d’un oiseau maintenu par un cordon ; l’expert Vlad Maslov y voit un chardonneret – symbole de la Passion du Christ –, ce qui le conduit à penser que cet enfant est destiné à une carrière religieuse. Enfin, faute d’avoir encore pu déterminer l’orientation du petit garçon roux de gauche, c’est une simple coupelle de fruits, probablement confits dans la tradition romaine, qui lui a été confiée.
Restent Blanca et sa fille. La mère tient sur son avant-bras gauche un petit chien, gage symbolique dans l’art pictural de la Renaissance de sa fidélité au chevalier Maselli. Quant à Verginia, dont Blanca a passé le bras sur l’épaule en signe de protection, elle tient de la main droite l’index de sa mère dans un geste encore empreint de petite enfance, et de la main gauche l’une des pattes du petit chien ; faut-il y voir un attachement à l’animal ou, là aussi, un symbole de la fidélité que la future femme qu’elle sera devra à son futur époux ? nul ne le sait !
Lavinia Fontana, admiratrice et héritière picturale de Sofonisba Anguissola, a ouvert la voie à Fede Galizia et Artemisia Gentieschi. Dans le sillage quasi-militant de cette dernière, ces femmes peintres de grand talent commencent à connaître une notoriété dont le machisme dominant dans le milieu des Arts les a jusque-là tenues très éloignées. Ce n’est que justice, comme le montre de manière éclatante le « Portrait de Blanca degli Utili Maselli avec six de ses enfants ».
* V. Forcella, Iscrizioni delle chiese e d'altri edifici di Roma, Rome 1884 : "D.O.M./ EQUES PIERINUS MASELLUS AC/ BLANCA EIUS UXOR DE UTILIBUS/ FLORENTINI HUNC/ SEPULTURAE/ LOCUM SIBI POSTERISQUE SUIS/ PIE AC CONCORDE ELEGERUNT/ UBI PRAEDICTA BLANCA POST XIX/ PARTUM MAGNO CUM HONORE FUIT/ SEPULTA SEPTEMBRIS M.D.C.V./ VIXIT ANNOS XXXVII."
** Ce tableau de Lavinia Fontana a été vendu à New York par Sotheby’s le 26 janvier 2012 à un collectionneur privé pour une somme de 602 500 euros.
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