Le centenaire de Guillevic

par Voris : compte fermé
jeudi 12 juillet 2007

2007 est l’année du centenaire du poète Guillevic et le dixième anniversaire de sa mort. Connu dans le monde entier (il fut traduit en quarante langues), Guillevic fut surnommé le « menhir vivant ». Son centenaire est inscrit aux Célébrations nationales du ministère de la Culture. C’est l’occasion de le redécouvrir et, avec lui, deux autres poètes bretons dont Armand Robin, « considéré comme le premier poète du web... à une époque où celui-ci n’existait pas encore », et le dénonciateur de la « fausse parole » des médias qui mourut dans de bien étranges conditions.

Si Guillevic fut traduit en quarante langues, Armand Robin en comprenait une vingtaine.

Eugène Guillevic est né à Carnac (56) en 1907.

Le "menhir vivant" nous a quittés le 19 mars 1997. Cette année 2007 est une commémoration prévue par les "Célébrations nationales" du ministère de la Culture. Poète prolifique et mondialement connu, Guillevic était pourtant un poète simple et humble. Il rejette toute tentation de lyrisme, préférant interroger les choses, jusqu’à vouloir s’identifier à elle, à la pierre en particulier. Il est vrai qu’il est habité par Carnac autant qu’il habite Carnac. Il a pris, comme Francis Ponge, "Le Parti des choses". C’est d’ailleurs l’année de publication de ce recueil de Ponge, 1942, qu’il entre en poésie, timidement et sous un pseudonyme (Serpières, presque "serpilière" !) et avec son premier recueil tardif (il a 35 ans  !) : Terraqué. Modeste, discret, il signait toutes ses oeuvres de son identité incomplète, Guillevic en escamotant son prénom. Simplicité la plus parfaite du style, économie des adjectifs et pas de métaphores. Humilité toujours : "Les mots, les mots ne se laissent pas faire comme des catafalques. Et toute langue est étrangère". Pourtant, Guillevic maîtrisait parfaitement l’allemand et l’alsacien. Il traduisit l’intraduisible Hölderlin, comme il avait adapté Goethe, Georg Trakl, Bertolt Brecht, c’est dire ! En dépit de ce style épuré qui cherchait peu à se faire remarquer, le succès prit le poète et ne le quitta plus. Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1976, Grand Prix national de poésie en 1984, Traduction de son oeuvre en quarante langues et dans une soixantaine de pays, présence dans toutes les anthologies de poésie et dans les livres d’école.

"Il avait quelque chose de Robert Hue dans le visage, qu’accentuait encore le collier de barbe", dit Fabrice Gaignault dans la revue Lire de juillet. Guillevic a été communiste ! Sympathisant communiste d’abord, au moment de la guerre d’Espagne, puis adhérent au parti en 1942. C’est à cette époque qu’il se lie à Paul Éluard et participe aux publications de la presse clandestine (Pierre Seghers, Jean Lescure). Critique à l’égard du parti, il lui demeure, malgré tout fidèle jusqu’en 1980.

Carnac célèbre l’enfant du pays en cette année 2007, année de son centenaire et du dixième anniversaire de sa disparition : site officiel ici.

C’est l’occasion de parler de deux autres poètes, peut-être moins connus, mais fascinants : Victor Segalen, pisteur de Gauguin et de Rimbaud, quêteur des civilisations exotiques, et le surprenant Armand Robin, journaliste rebelle, traducteur polyglotte et féru jusqu’à l’addiction des nouvelles technologies de son époque.

Victor Segalen, pisteur de Gauguin et de Rimbaud :

Il est né à Brest (29) en 1878. Un jour de mai, l’année1919, alors qu’il était de retour de la guerre pour cause de grave maladie, le poète Victor Segalen se reposait dans la forêt de Huelgoat, encore hantée des légendes du roi Arthur et de l’enchanteur Merlin. Les aubergistes ne le voient pas rentrer. Trois jours plus tard, il est découvert au pied d’un arbre, semblant assoupi, avec Hamlet à la main !

Avant, il mena une vie riche et passionnante sur les traces de Gauguin, Rimbaud, puis en Chine où sa découverte en 1914 d’un site funéraire permettra soixante ans plus tard de mettre à jour la fameuse armée composée de 7 000 soldats et cavaliers de terre cuite. Segalen était aussi médecin de marine, ethnographe et archéologue français. En Polynésie française, il sauve, en les achetant, les derniers croquis de Gauguin, mort trois mois avant son arrivée. Il interroge également les traces de "l’homme aux semelles de vent" : à Djibouti, il rencontre les frères Rhigas qui ont connu Arthur Rimbaud, le négociant.

En Océanie, il est frappé par l’effroyable gâchis causé par la civilisation blanche chez des peuples qui avaient une culture très riche, adaptée à leurs besoins et à leurs mentalité. Il constate que l’apport des Européens se limite aux maladies, comme la tuberculose, la rougeole, et aux conceptions chrétiennes inadaptées à la société maorie. De retour en France, il se glisse dans la peau d’un maori récitant pour écrire les Immémoriaux (1907), sorte de poème en prose qui retrace la vie et les croyances dans les îles et dénonçant les ravages commis par les missionnaires protestants. En 1908, il part en Chine pour soigner les victimes de l’épidémie de peste de Mandchourie. En 1910, il décide de s’installer en Chine avec sa femme et son fils.

Mort en 1919, le poète aura son nom inscrit sur les murs du Panthéon en tant qu’"écrivain mort pour la France pendant la guerre de 1914-1918".

Site sur Victor Segalen.

Arman Robin, le dénonciateur de la fausse parole des médias :

Armand Robin, né en 1912 à Plouguernével près de Rostrenen (22), mort le 30 mars 1961 à Paris, était également traducteur, journaliste et homme de radio. Patrick Modiano trouva le personnage Armand Robin tellement étonnant qu’il l’intégra comme personnage dans son roman de La Petite Bijou.

Sa langue maternelle était le breton. Ce qui ne l’empêcha pas d’être brillant élève et de monter à Paris, en 1929, pour préparer l’entrée à l’École normale supérieure. S’il échoue à l’agrégation, il continuera ses études de lettres. Il apprendra notamment le russe. En 1933, il effectue un voyage en URSS, d’où il revient complètement désenchanté du communisme. Très doué pour les langues (il en comprendra plus d’une vingtaine !), il est embauché dès le début de la guerrre par le ministère de l’Information comme collaborateur technique au service des écoutes de radios en langues étrangères et rédige des "bulletins d’écoutes". Il reprend son bulletin d’écoutes à titre personnel en mai 1944 notamment pour la presse issue de la Résistance, Combat et L’Humanité. Il passera, jusqu’à la fin de sa vie, des heures jour et nuit à ses écoutes et publie en 1953 La Fausse Parole, point d’aboutissement de sa réflexion sur ses écoutes de radios et sur la propagande. Dans le même temps, il continue ses travaux de traductions, qui aboutiront à Poésie non traduite, et anime au début des années 1950 une série d’émissions de radio bilingues sur les poètes du monde entier.

Sa fin est tragique : à la suite d’une série de fâcheux événements, il est embarqué par la police, et meurt, dans des conditions mal élucidées, à l’infirmerie spéciale du dépôt de la préfecture de police. Une partie de ses écrits aurait disparu dans l’affaire. Ses poèmes survivants donneront lieu à diverses éditions.

Ma vie sans moi (1940) poésie
Le Temps qu’il fait (1942) roman

Un site sur Armand Robin.

« L’armoire était de chêne
Et n’était pas ouverte.

Peut-être il en serait tombé des morts,
Peut-être il en serait tombé du pain.

Beaucoup de morts.
Beaucoup de pain. »

Guillevic. Terraqué


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