« Le Choc des Titans » : un Caprice des Dieux indigeste !

par Vincent Delaury
mercredi 14 avril 2010

Dans la Grèce mythologique, Persée, simple pêcheur mais fils de Zeus et d’une mortelle, est poussé à se venger des dieux qui ont tué sa famille. Echouant à Argos, il est appelé, bien malgré lui, à participer au combat opposant les dieux et les humains : entre ces deux mondes, le choc des titans commence ! Persée, accompagné de soldats et de son ange gardien Io, a pour mission de faire cesser la discorde afin de ramener la paix entre dieux et mortels.

Dans le genre cinéma gros bourrin, Le Choc des Titans signé par Louis Leterrier, et adapté du film de 1981 réalisé par Desmond Davis, accomplit sa mission haut la main : durant 1 heure 45, on en prend plein la tronche, ça grouille à l’écran de vedettes, de dieux, de surhommes et de monstres en veux-tu en voilà. Beaucoup de bruits, d’effets stroboscopiques et de références plus ou moins intégrées pour pas grand-chose à l’arrivée, si ce n’est une bouillie filmique fort oubliable (du 0 sur 5 pour moi). C’est du tout-venant filmique qui répond à la logique de surenchère visuelle voulue par les producteurs américains mainstream : faire des films kinétiques (j’emprunte cette formule à James Ellroy) avec des images qui défilent à fond la caisse afin de capter l’attention d’un public labellisé djeun’s, forcément biberonné à la console de jeu. Bref, on est davantage dans un jeu vidéo que dans un film de cinéma.

Mais ne jetons pas la pierre à Leterrier car, à ce jeu-là, il n’est pas plus mauvais qu’un tâcheron US actuel genre Michael Bay. On sent bien que pour ce réalisateur, sorti tout droit de l’écurie Besson (Danny the Dog, Le Transporteur 2) et du succès de son Incroyable Hulk – qui n’avait d’incroyable que son titre -, faire du cinéma est moins une affaire de dignité (Tarkovski parlait d’« être digne » de diriger un tournage) que de capacité : il s’agit de croire que la quantité l’emporte sur la qualité, alors on truffe son film de cascades, de combats, de muscles, de monstres et d’effets spéciaux tous azimuts. « Le Choc des Titans est une plongée dans la mythologie grecque, revisitée à la lumière de 2010. C’est un grand film d’aventures (…). Il est vu en grand parce que l’univers des mythes grecs est un univers à grande échelle, quasi illimité. Les monstres sont les plus grands que vous avez jamais vus à l’écran. Nous ne nous sommes pas contentés d’en fabriquer deux ou trois, nous en avons créé douze, tous différents.  » (Leterrier). Mais le film en aurait trois cents plutôt que douze qu’il n’irait pas plus loin. Tout est faux là-dedans. L’imagerie numérique illimitée a beau multiplier les guerriers en armures, les toges pourpres et les colonnes doriques, on sent bien que tout ça n’est qu’affaire de Photoshop et qu’on est à mille lieues des tournages épiques des grands Hawks, Mankiewicz et De Mille qui multipliaient des milliers de figurants en chair et en os à l’écran - cette mise en scène de foules en mouvement participant grandement de l’impression de grandeur et décadence de la civilisation gréco-latine. Ainsi, même au jeu de la surenchère, Le Choc des Titans fait pâle figure par rapport à certains péplums du passé. Et si on le compare à des films plus récents, appartenant à ce même genre combinant mythologie grecque et Heroic fantasy, il n’a pas ni l’amplitude narrative de Gladiator ni la capacité à atteindre le statut de film kitsch à la 300, au bord d’un NanarLand bien sympatoche. Avec l’image numérique, et désormais le retour en force de la 3D (nouvelle marotte hollywoodienne !), le champ des possibles dans le 7e art est infini mais c’est aussi là que le bât blesse : le talon d’Achille de cette industrie numérique, mixant effets visuels et spéciaux, en est l’utilisateur même. Tout dépend de qui est aux commandes. Si c’est un artiste inspiré qui brouille avec maestria réel et imaginaire, tel David Fincher, alors ça peut donner des objets filmiques hybrides fascinants (Zodiac, Benjamin Button) mais, si aux manettes, on a un artiste en manque d’inspiration (façon Tim Burton avec sa Alice criarde) ou un movie maker tout à fait lambda, alors c’est la cata assurée ou presque !

Au rayon poésie, Le Choc des Titans version 2010, s’inscrit aux abonnés absents. La monstration des monstres ne confine pas au sublime. Le kraken ressemble à un banal Godzilla pourvu de tentacules qui ne viennent même pas (alors que le film est en 3D) titiller notre rétine - même pas peur ! Quant aux scorpiochs du désert, énormes scorpions mutants, ils lorgnent sans vergogne sur les araignées de Starship Troopers mais sans jamais retrouver la poésie de l’animatronique du grand Ray Harryhausen, auteur culte des effets spéciaux du premier Choc des Titans (1981). En outre, rien n’est capté de la beauté antique, du calme hellénique et de la volupté olympienne. Les quelques enfants qu’on croise s’inscrivent dans une imagerie d’Epinal au comique involontaire ; les femmes, ici essentiellement destinées au repos du guerrier, en sont réduites à faire du tourisme culturel sur fond d’amourette style Harlequin ; et l’esthétique du film souffre d’une hétérogénéité formelle bien regrettable.

La vue d’ensemble d’Argos, berceau de la civilisation grecque, fait penser aux murs peints qu’on trouve dans les restos grecs du Quartier latin ! Les quelques statues antiques croisées ici et là semblent provenir d’un quelconque Pier Import, comme si l’Histoire de l’art de la Grèce antique n’avait même pas été effleurée pour tenter de nous plonger un tant soit peu dans le bain de cette civilisation fascinante ; perso, j’aurais par exemple rêvé d’un générique graphique qui reprenne les figures en noir sur fond rouge qu’on trouve sur les fameux vases grecs, mais non, rien de tout ça n’est convoqué, on est dans un générique flash à la Superman. D’ailleurs, sommet d’imagerie niaiseuse, le palais de marbre nuageux ou trône Zeus est un copier-coller des scènes sur la planète Krypton du Superman de 1978 avec Brando : Leterrier mixe super-héros Marvel et dieux grecs, ce qui n’est pas une grossière erreur puisque les auteurs de comics, on le sait, se sont largement inspirés des expéditions de la mythologie grecque, mais le problème avec son Choc des Titans c’est que la greffe ne prend pas car il n’y a pas suffisamment d’unité esthétique pour nous faire croire au monde qui nous est donné à voir. Il y a tout de même une scène à sauver : quand Persée et son équipée guerrière pénètrent le sanctuaire en ruines de la mortelle Méduse, qui change en pierre quiconque la regarde dans les yeux. On est avec eux dans ce jardin de pierres, aux frontières floues, et on est à l’affût du corps d’anguille de la fatale gorgone, ricanant sournoisement à l’idée de changer, à tout moment, le moindre mortel en statue de pierre. Mais bon, une bonne scène sur 1 heure 45 de film, nom de Zeus, ça fait peu tout de même !

Au final, on s’étonnera, qu’avec une telle pléiade de bons acteurs (Sam Worthington, Mads Mikkelsen, Liam Neeson, Ralph Fiennes) et un tel fond spirituel (la mythologie grecque), Louis Leterrier ne parvienne pas à tendre davantage vers le mythe. Pourtant, les vedettes peuvent, si elles sont amoureusement filmées, prendre une dimension mythique au cinéma et c’est peu dire que les héros grecs ont la gueule de l’emploi pour offrir un récit fabuleux, imaginaire, légendaire. Mais, au cinéma, ce n’est pas donné à tout le monde que d’offrir une dimension mythique à ses personnages. Avec son « Amérique de légendes », comme le rappelle Philippe Ortoli dans son ouvrage éponyme (1994), Sergio Leone parvenait à rendre mythiques des Eastwood, Bronson et De Niro en s’emparant de mythologies cinématographiques (le western, le film de gangsters) et en développant un art lyrique et picaresque qui relevait de la chanson de geste inoubliable (une image de Leone, tel un blason, ne s’oublie pas après l’avoir vue), or, avec son Choc des Titans, alors que Leterrier a avec lui toutes les cartes en main (des stars, des dieux, des humains chevaleresques) pour faire se tutoyer mythe et cinéma, il ne parvient à rien faire d’autre qu’un… film kleenex, aussitôt vu aussitôt oublié. Mais bon, n’est pas Leone ou Boorman (Excalibur) qui veut, je vous l’accorde aisément. 

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