Le Cid de nouveau à la Comédie Française
par Theothea.com
samedi 10 décembre 2005
Tant Brigitte Jacques Wajeman (la metteuse en scène) qu’Alexandre Pavloff (Rodrigue) confirment avoir été surpris, chacun dans son domaine, lorsque leurs compétences respectives ont été sollicitées pour porter à nouveau sur scène Le Cid, non joué à la Comédie-Française depuis 1977.
Estimer dans cette perspective, à l’instar de certains chroniqueurs, qu’une motivation mal fondée et un casting en contre-emploi aient pu menacer la réussite de cette re-création reste néanmoins sujet à caution ; il n’empêche que les partis pris de direction d’acteurs ne vont cesser de surprendre tout au long de la représentation : comme si par exemple, Rodrigue n’élevait la voix qu’à contretemps autant qu’ à contresens, en se mettant à murmurer là où il eût fallu lâcher les chevaux : " Nous partîmes cinq cents .... Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port... ".
Quant à Chimène (Audrey Bonnet) cadencée sur un rythme maniaco-dépressif, ses envolées alexandrines flirtent bien souvent avec le tempo d’un rap martelé, provocant en retour une perception moderniste des conflits intérieurs : "Va, je ne te hais point !", en ersatz sulfureux d’une improbable réplique telle "n... ta m... !".
En tout état de cause, la présence physique des deux héros sur scène transformera avec évidence leur dilemme insurmontable en degré indicible du tourment amoureux !...
Par ailleurs, comme étayée par une posture décalée, l’infante emporte tous les suffrages critiques, tant par son attitude pragmatique que par l’interprétation de Léonie Simaga faisant figure de révélation en tant que nouvelle pensionnaire du Français.
Il est incontestable que les réminiscences de la prestation de Gérard Philipe dans les années cinquante à Avignon, voire celle de Francis Huster plus récemment, encombrent quelque peu la perception du rôle mythique qu’il est donc judicieux aujourd’hui de ne pas aborder de front ; aussi, pourvu que le récit fût pédagogique, les enjeux clairement exposés et surtout que la langue versifiée y soit le vecteur incontournable, faire exister Rodrigue et Chimène sur la scène de la Comédie- Française peut effectivement se concevoir par une approche néo-romantique contemporaine avec cependant pertes et profits inévitables des repères de panache s’étalonnant sur les vertus traditionnelles.
Du désenchantement nostalgique pourrait naître alors le cheminement d’une réelle métamorphose dans la gamme du ressentiment et de l’orgueil vers une prise de conscience de la notion de relativité évoluant quelque part à distance entre sentiments privés et devoir moral.
Au demeurant, il semblerait que cette nouvelle production puisse s’adresser de manière privilégiée aux scolaires, et ce ne serait pas la moindre des réussites de La Comédie-Française que ceux-ci en ressortent heureux d’y avoir ri, fût-ce aux dépends du modèle emblématique, mais cependant fort émus d’y avoir trouvé réelle matière à identification.
Photo : Cosimo Mirco Magliocca
LE CID *** de Pierre Corneille - mise en scène : Brigitte Jacques Wajeman - avec Audrey Bonnet & Léonnie Simaga... - Comédie Française -