Le ciné-réalité qu’est « Entre les murs » vaut-il sa Palme d’or ?
par Vincent Delaury
lundi 6 octobre 2008
Soit dit Entre les murs, ce film n’est pas très bon. Faut le dire. C’est du consensus mou. Il faudrait dire qu’il est très bien parce que Palme d’or à la clé et parce que, dixit Sean Penn, « film magique ». Mais ce film, du 2,5 sur 5 pour moi, histoire de noter comme à l’école, est plus intéressant sociologiquement que cinématographiquement.
Il serait faux de lui enlever son importance en tant qu’objet sociétal (il va être beaucoup vu et il est le support pour moult débats sociaux de pédagogues, de sociologues, de parents d’élèves et autres sur le statut et le fonctionnement de l’école de la République), par contre dire que c’est un petit film de cinéma, malin, mais très opportuniste (à l’image du mouvant et médiatique François Bégaudeau, scénariste, acteur et auteur du livre homonyme Entre les murs), me semble tout à fait pertinent. C’est un « film de festival » et il a fait mouche, tant mieux pour lui. Quelque part, je me demande si un film comme PROFS n’est pas plus près d’une certaine vérité de l’adolescence (mutine, sauvageonne) à vivre l’école(-forteresse) comme une prison loin d’être… dorée : quasiment passer à côté de cette idée de « prison dorée », un comble quand même pour un film, intra et extra muros, finissant palmedoré et croulant sous les – possibles – ors et dorures, Certifiées Education internationale, des Oscars et des Césars.
Le réalisateur Laurent Cantet, via le net (Libé) : « A 15 ans, on a les hormones qui bouillonnent et on passe 6 ou 7 heures pas jour à écouter un professeur. Les gamins vivent ça comme un enfermement. » Pas faux, mais quitte à faire de l’école – ce qui ne me semble pas souhaitable, n’en déplaise à certains, pour moi l’école reste le lieu de l’apprentissage dans le labeur et dans l’effort – un lieu de divertissement, voire d’animation tout-terrain, eh bien autant aller dans le folklo fictionnel tous azimuts du genre PROFS ou Battle Royale ! Dans ce créneau-là (un film sur la transmission de savoir et le conflit entre des langages, des générations, des cultures), L’Esquive me semble meilleur, plus malicieux, plus joueur. Et, par pitié, pour cet Entre les murs, qu’on arrête de parler de Pialat, qu’on ne peut réduire à un simple réalisme plan-plan. Entre les murs est un tout petit film de cinéma. Ah ouais, on me dira « Palme d’or 2008, Sean Penn, Oscar à venir et tout le toutim ». Et alors, qu’est-ce que ça prouve au niveau de sa qualité cinématographique ? Quantité et performance (filmer comme si c’était pour de vrai) ne sont pas qualité, jusqu’à preuve du contraire (et sinon, je demande à voir). Entre les murs, c’est un objet sociétal, un film-fait-de-société manifeste et, par la même occasion, un carton au box-office. Mais, au rayon cinéma, il a ses limites, il repose avant tout sur un dispositif. Alors OK, des grands films de cinéma ont été faits comme ça, je pense aux machines hitchcockiennes et gusvansantiennes telles La Corde, Fenêtre sur cour ou Elephant (dans l’idée de la topographie qui participe grandement du récit), mais Entre les murs, entre nous, ôtez-lui son stratagème de filmage (le temps réel dans un lieu réel), et vous n’y verrez qu’un Envoyé spécial un peu mieux fait - ouvrant grand la voie à moult interprétations, dont certaines bien crapoteuses (Entre les murs, film de gauche ou film gauche ?...), et à une peur issue de la « pensée TF1 » qui fait tant de mal, au niveau image, à nos jeunes-de-banlieue. On dit, cf. Godard, qu’un « travelling est affaire de morale » et je suis d’accord, mais elle est où la ligne directrice dans Entre les murs ? Je n’y vois jamais un regard d’artistes, d’auteurs façon Kechiche ou Pialat qui nous prennent par la main pour nous accompagner dans leur vision du monde, nous donner à voir, nous proposer des réponses.
Alors, soyons honnêtes, lucides, Entre les murs n’est pas déplaisant, il est même, à bien des égards, sensible, divertissant (beaucoup de rires dans la salle venant des tchatches et autres « stimulantes » joutes verbales), les élèves « multiculturels » sont souvent drôles, énergiques (une humanité plurielle qui questionne avec humour le monde des évidences et des adultes), certains sont touchants, il y a même quelques moments de grâce (Souleymane, pas un méchant bougre, qui traduit à ses profs ce que sa mère leur dit en conseil de discipline, à savoir qu’ « il est un bon garçon » – scène poignante –, ou quand tous les élèves regardent le travail plastique d’un des leurs autour de l’autoportrait : ici, leur silence est d’or, vraiment, c’est une captation au plus près de ce que l’école peut faire – enregistrer l’attention des élèves qu’on parvient à détourner du contentement de l’avoir pour l’orienter avec délice vers les possibilités infinies de l’être et du savoir). De plus, je ne me permettrais pas de juger les méthodes d’enseignement de l’ex-prof Bégaudeau (quiconque a affronté trente paires d’yeux dans une salle de classe sait que c’est à chacun d’inventer ses « combines » pédagogiques, au risque de l’affectif, pour séduire son auditoire et l’amener d’un point A à un point B), mais, question cinéma, je n’y vois rien d’autre qu’une espèce de ciné-réalité lorgnant du côté de la chronique voyeuriste et de la télé-réalité (ou real TV) dernier cri.
On met des élèves-cobayes dans une cour de récré et dans une salle de classe en huis clos et on les filme sous tous les angles de caméra-vérité, puis, comme à la piscine de Loft Story, sur la plage de L’Île de la tentation ou au château de la Star Ac, on ausculte un bahut dans toutes ses déclinaisons possibles – conseils d’administration, de classe, de discipline, salle des profs autour de la machine à café et j’en passe. Dans la salle de cours, transformée en atelier d’improvisation, il va forcément se passer des trucs hauts en couleur, ça va être explosif : ressources humaines et « belles personnes » captées obligent. Ainsi, ça répond tout à fait à une définition possible du reality show - format d’émission de TV dans laquelle des individus ordinaires vivent réellement et artificiellement des situations extraordinaires. Mais en quoi Entre les murs serait-il plus de l’art que Secret Story ou la Star Academy ? Maintenant, la télé-réalité kaléidoscopique, fascinée par l’intimité des autres à dé-montrer au centuple en prime-time, s’immisce partout : chambres conjugales de djeunes, sport, peoplelisation de la vie politique, cinéma, etc. Avec une observation qui ferait l’histoire et un naturalisme qui réduit les figures-êtres à des blocs d’opacité bruts de décoffrage, on assiste, ni plus ni moins, à un storytelling et à une scénarisation de la télé-réalité (ou ciné-réalité, ce qu’est Entre les murs pour moi) qui devient ainsi une espèce de genre, en soi, qui prend le pas sur la fiction. Qu’est-ce que ça entraîne ? Une télé-réalité qui devient soluble dans le cinématographe, hélas, puis une démission des auteurs de fiction, des dirigeants de chaînes TV et des producteurs de cinéma – pas tous ! – devant l’extravagance, le charismatique, le romanesque, l’audace, la profondeur de la perspective.
Eh oui, à l’avenir, on risque de s’ennuyer dans notre emploi du temps de spectateur épris d’intrigues, de respirations et d’entrelacs fictionnels : le cinéma-réalité qui se targue d’enregistrer la réalité avec des manières de comptable, façon Entre les murs, cache pour moi une sécheresse des auteurs à inventer ex nihilo, ce qui leur permet d’éviter, plutôt paresseusement, le stylisé, l’inventif, voire l’extatique. Attention, je n’ai rien contre le docu-fiction, je n’ai rien contre le cinéma génétiquement modifié, qui se nourrirait d’autres médiums et médias, par essence le septième art est impur (Bazin…), pour autant j’aime quand l’équilibre – juste – est trouvé entre documentaire (du réel) et fiction – style l’admirable Valse avec Bachir –, et qu’on n’oublie pas, même si un (vrai ) cinéaste recherche au plus près à témoigner de la complexité de l’Histoire, des petites histoires et de la vie, le filtre de l’art(ifice) et de la poésie. Cocteau disait : « La peinture est un mensonge qui nous permet de saisir la vérité », je pense que c’est valable pour le cinéma. Bref, on l’aura deviné, moi, j’aurais donné la Palme d’or à Valse avec Bachir, parce qu’il est dans le raccord parfait entre intime et extime, entre pudeur et monstration, entre poésie et politique. En bref, le ciné-réalité qu’est Entre les murs vaut-il sa Palme d’or ? Non, trois fois non même, et sorry Mister Penn.