Le dernier glou-glou de Murat

par LM
jeudi 14 septembre 2006

Faux brun ténébreux censé écrire des chansons d’amour, Jean-Louis Murat est en fait le seul digne représentant de la musique country en France. Sa country, c’est l’Auvergne.

La première fois que j’ai écouté Murat, je devais avoir l’âge de croire en l’amour impossible, aux cheveux longs et à l’art conceptuel. Je devais avoir cette force d’âme capable de vous convaincre que vos idées sont uniques et les meilleures, bien sûr, que tout le monde n’attend que vous, qu’il y a quelque chose dans le noir qui se trame et que vous êtes le seul à le (sa)voir. Un âge où j’aurais pu, par exemple, laisser quelques commentaires sur un blog. Sauf qu’à l’époque les blogs n’existaient pas. Je vous parle d’un temps (1989) que les moins de vingt ans peuvent à peine connaître, et encore, en se forçant beaucoup.

Murat chantait à l’époque les blessures du cœur, et sur un album comme Cheyenne autumn (pas son premier) se permettait quelque texte romantique en diable, comme au hasard Le venin. Et puis, vint Murat en plein air, une sorte de premier virage pour Murat, une poignée de chansons paysannes en diable, rurales pluvieuses et ruisselantes comme peut l’être la nature, parfois, si on sait écouter la pluie. Il y avait, sur ce petit CD quasi artisanal, distribué à l’époque par Libération qui l’envoyait à certains de ses lecteurs ayant à temps découpé un coupon, il y avait donc, disais-je, sur ce CD uniquement des montagnes dont un Dordogne qui laisse encore pantois, rêveur, estomaqué et ému. Et puis, encore et puis, pour résumer parce qu’on va pas non plus étaler ses guitares et comparer nos manches, l’Auvergnat publia ensuite Le manteau de pluie, somptueux disque contenant quand même quelques horribles single, comme Sentiment nouveau, qui lui apporta les bonnes oreilles de ce qu’on appelait encore à l’époque la « bande FM ». Venus suivra et Dolorès et je me souviens qu’à l’époque, Agnès Michaux l’avait invité sur Canal+, une Agnès Michaux qui n’en voulait qu’à ses yeux bleus et à son côté amoureux transi. Ce que le bougnat n’était plus, déjà, et depuis quelque temps. Dès Dolorès, Murat se lamentait sur l’ineptie de sa maison de disque, sur la nullité des photos utilisées pour les pochettes (pourtant, cette culotte, quand même) ce mantra contestataire dont il ne s’est pas départi depuis.

Arriva, tout à coup, comme au galop un cheval surgi du brouillard, et après un Live in Dolores déjà prometteur, Mustango, ovni généreux et bourré jusqu’à la gueule de chansons fragiles et étirées, musclées et déshabillées comme rarement la chanson française nous en avait offert. A partir de là, l’Auvergnat ne quittera plus le rayon nouveautés, enchaînant quatre albums coup sur coup (Le moujik et sa femme, Lilith, A bird on a poire, Moscou, précédés d’un double live, Muragostang, et d’un disque avec Isabelle Huppert), tous disques inspirés, différents, pléthoriques et originaux, enfilés comme d’autres enfilent des perles, ou des phrases aux phrases en croyant faire des livres. Murat ne lâchait plus le micro et on en redemandait. Au passage, il donnait quelques piges utiles à de jeunes filles aujourd’hui casse-couilles mais triomphantes comme Camille. Loin d’être dépassé par cette surproduction soudaine (j’oublie 1829, sorte de recueil de poésie chantée, que les fans m’excusent), Murat se montrait à son avantage sur scène ou sur les plateaux télé, pieds nus chez Nagui, ou pantalon pattes d’éph’ sur scène, jouant plus ou moins sérieusement avec ses machines, ses pédales, ses guitares, donnant souvent l’impression de s’égarer mais se retrouvant toujours, sur ses pattes, à l’aise comme jamais, miaulant mais en mesure, rigolant mais dans le ton, plaisantant mais sans jamais s’éloigner de son texte, de ses mots.

Aujourd’hui, après plus d’un an sans disque, ce qui est inhabituel, une année marquée selon Murat par beaucoup de deuils et de séparations, par pas mal d’amitiés fichues, aujourd’hui donc, l’Auvergnat revient encore, avec Taormina, album qui sent bon l’Italie mais pas trop. (Murat était fervent supporter de la squadra azura en juillet dernier, qui s’est retrouvé du coup heureux, très seul mais très heureux, quand la grosse bise fut venue, celle des vainqueurs.) Taormina est selon la presse un disque « sombre » (Les Inrocks) ou « libéré » (Elle). Murat déclare l’avoir écrit dans la douleur (Les Inrocks encore) ou en « pensant à sa fille » (sur Radio Classique), tout le cirque Murat déployé là, lui qui s’amuse des micros à l’envi, faisant récemment son show sur Canal+ en traitant, entre autres, ce crétin de Bové de « crétin », justement.

Mais ce n’est pas pour ces mauvaises raisons-là qu’on aime Murat, qu’on l’aime à lui en vouloir de ne pas sortir plus d’un album par an. Ce n’est pas pour son humour génial ou ses frasques hilarantes, son faux dilettantisme ou son dégagement forcé (enfin un « artiste » dégagé !), non, si on aime Murat, c’est pour ses mots, bien sûr, Tout le long du chemin j’entends le dernier glou-glou.

Ces paroles bien à lui, que nul autre ne maîtrise. Je me levais tôt pour être tôt en ville, ici on se lève tôt pour être tôt en ville.

Ces textes d’une autre poésie. Est-ce bien l’amour ou n’est-ce qu’un effet trompeur ? 

Qui enchantent les plus endurcis, à moins bien sûr de ne rien entendre Sous la pluie fine /quel est ce sens/ la mort est dégueulasse.

A moins bien sûr de ne rien vouloir comprendre. Car rien n’émeut cette terre ni charniers ni prières...

C’est pour son verbe que l’on aime JL Murat, ce Bergheaud d’Auvergne et d’ailleurs, de ces ailleurs dont on pourrait faire des continents, ou occasionnellement des îles, sous le vent qui emporte tant, qui importe peu, pourtant.

Murat est ce grand alcoolique de la Volvic ayant survécu aussi bien à Huppert qu’à Farmer, sans céder au (suicide) chantage. Murat est cet improbable Johnny Cash perdu entre des volcans éteints et une industrie moribonde, entre quelques troupeaux jamais égarés et de sévères cloches, qui tintent, qui trahissent le mouvement des bêtes qui paissent, agitent les oreilles ou la queue pour s’affranchir des mouches, des taons, des parasites, que sais-je ?

On ne peut décemment plus se passer de ce troubadour chevelu et esthète, qui marmonne un peu mais ne mâche rien, et surtout pas ses maux, qui sans jamais brailler hurle la beauté. Aux larmes.


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