Le dragon tellurique

par C’est Nabum
mercredi 31 août 2016

Mieux qu’une chimère.

Les hommes se fabriquent des craintes à la démesure de leurs angoisses existentielles. Le dragon a, en ce domaine, servi bien des intentions malignes pour édifier le bon peuple, conforter des ambitions, qu’elles soient temporelles ou bien séculaires. Il surgit du néant, des entrailles de la terre, de l’imaginaire des naïfs ou bien des calculs des puissants pour terroriser le bon peuple avant qu'un bras, poussé par la bonne foi ou l’esprit de réflexion n'ait raison du monstre.

Le dragon succombe alors ; le brave animal aime à mordre la poussière et avaler sa salive devant ceux qui l’ont créé. Il disparaît, laissant place et honneur à son vainqueur, lui déroulant, par son trépas, un tapis rouge feu. L’histoire se mord parfois la queue, fait souvent long feu pour finir par favoriser des desseins peu avouables qui ne servent jamais les intérêts des gueux. Le dragon en ce sens est un animal de classe : bienveillant pour les puissants, impitoyable pour les manants.

Il en va tout autrement pour son collègue pyromane des zones telluriques. Le volcan ne sert personne en particulier. Sa force terrible s’exerce aveuglément. Les mauvaises langues affirmeront qu’il n’est guère coulant, sans que la lave des crapauds n’atteigne sa majesté en son cratère. Le volcan aime à se creuser la tête pour inventer sans cesse nouveaux tourments pour ceux qui tremblent à ses pieds.

Alors, les diseurs de légendes, les faiseurs d’histoires ne peuvent s’offrir des batailles titanesques d’où le héros sortirait vainqueur, terrassant sa majesté au mauvais cratère. On ne cherche pas des poux dans la tête d’un cracheur de feu ; il n’y a que le dragon qui finisse par se faire des cheveux. Personne ne peut être de mèche avec la montagne qui fulmine ; il faut se le tenir pour acquis.

On se contente alors de faire quelques miracles qui feront couler plus d’encre que de laves incandescentes. Une statue de la Vierge détournera la langue de feu par sa seule présence, dût-elle se munir d’un parapluie pour se prémunir de la chaleur satanique du monstre. La Madone restera de marbre devant la chaleur infernale mais la plantation de vanille qu’elle devait protéger disparaîtra à jamais sous la cendre. Une église s’opposera vaillamment à la progression inexorable de la coulée vers l’Océan. La lave, pieusement, passera de droite et de gauche, évitant respectueusement l’édifice sacré.

On peut s’amuser de ces fables comme on doit comprendre que la crédulité est ici source de confiance. Vivre au pied d’un monstre sournois réclame de telles croyance magiques pour ne pas vous faire tourner bourrique et vous enfuir au plus vite loin de cette menace permanente. Il convient tout autant de détourner la menace au profit de quelques belles leçons de morale. La crainte qu’inspire le monstre servira alors à édifier les méchantes gens : ceux qui sont toujours tentés de suivre le Diable et de se détourner du droit chemin.

Ainsi la méchante esclavagiste, la dame Desbassayns qui mourut presque en état de sainteté tant elle avait trompé son monde, y compris sa Sainteté le Pape, finirait-t-elle, dans le cratère même du volcan, à expier tout le mal et les abominations qu’elle fit endurer, sa vie durant, à ses pauvres esclaves. La notoriété,quand elle est illusoire et mensongère, n’a qu’un temps et la sentence du bon peuple est plus redoutable que les courbettes des puissants.

Le Diable en personne est un locataire fort commode du cratère. On le sert à toutes les sauces pour enseigner le bien et punir le mal. Il se fait alors l’avocat de Dieu : étrange retournement des rôles que seul un volcan peut s’offrir. Ainsi le vilain Marcelin qui refusa de porter le deuil de sa pauvre mère, la gentille dame Tonia, décidant d’aller au bal le soir des obsèques de celle qui lui avait donné le jour. Une beauté troublante le séduisit : il s’engagea avec elle dans une ronde infernale avant que de mourir à la fin du bal. À la place du cœur un trou béant et une pierre volcanique tandis que la belle disparaissait dans un rire sarcastique.

C’est ainsi que, sur l’île de La Réunion, le peuplement récent n’a sans doute pas permis de faire surgir des dragons et des monstres, des fées et des lutins. Le volcan a rempli le vide laissé par des siècles d’absence humaine. Il est entré dans la légende par quelques éruptions spectaculaires qui ont frappé autant les esprits que les imaginations. C’est un merveilleux dragon de feu et de lave, de pierre et de vie. S’il sème la désolation, il a façonné l’île et nourrit son imaginaire. Il est en cela l’essence de toutes choses en ce territoire d’exception.

 

Légendairement sien.


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