Le film de Quentin Dupieux, un « Steak » 100 % avarié ?

par Vincent Delaury
mercredi 1er août 2007

AgoraVox, chers lecteurs : Chivers !

Si je peux me permettre, je crois que le public est un peu passé à côté du film-tripes de Quentin Dupieux/Mr Oizo (DJ connu du grand public pour son tube Flat Beat sorti en 1999), qui vient, hélas, de se viander dans le (faux-)filet du box-office - on parle, pour ce film pour le moins hermétique, décalé, private-joke et vintage, de 260 000 entrées en quinze jours ; ce qui n’est pas si mal, vu son côté crypté et lo-fi ! mais, au final, sa carrière en salle devrait s’arrêter, tout au plus, aux alentours des 500 000 entrées, ce qui est peu par rapport à certains scores précédemment élevés d’ErikéRamzy les Dalton, La Tour Montparnasse infernale...).

Pour cette tranche de Steak ô combien ramassée (1 h 22 seulement), lors de la Fête du cinéma en juin dernier, j’ai même vu des gens, par « grappes » entières, sortir de la salle UGC ! Dommage, c’est une comédie burlesque atypique, à la fois débile et auteuriste, audacieuse et attachante, à laquelle il faut, pour bien la savourer, « laisser du temps au temps » comme nous invite à le faire, d’ailleurs, la BO « electro-clash » de Mr Oizo et de Sébastien Tellier - faite de sons robotiques qui tapent et de boucles électriques qui radotent (pour un tout assez minimaliste mixant du disco-pop pour les voix, Daft Punk ou encore Aphex Twin). Il faut aussi souligner ici, que pour une fois, dans le style comédie franchouillarde, Dupieux tranche dans le lard, on n’a pas affaire à un rire gras saignant avec package style Côte d’Azur/montage épileptique façon Formule 1/Club « Merde » mais, davantage - de par sa photographie froide (ciels gris, vitres fumées, couleurs automnales...), ses plans-séquences, ses cadres radicaux, sa lenteur assumée et sa thématique plutôt noire (les ravages de la chirurgie esthétique dans un monde futuriste et disneylandisé) - à un film-viande faisandé, mortifié, mais en aucun cas à une viande creuse, sans pour autant se la jouer pensum critique sur " la société-des-apparences-et-tout-le-toutim ".

Pitchons un peu : en 2016, la mode et les critères ont beaucoup changé, une nouvelle tendance fait des ravages chez les djeun’s : le lifting du visage, et le nec plus ultra de la branchitude suprême, c’est d’obtenir les faveurs d’une bande de winners-caïds liftés à l’extrême : les Chivers (!) qui portent des bottines en cuir et autres blousons rouges façon campus américain, font griller des marshmallows dans la forêt, jouent à un jeu sado-maso débile fait de battes de baseball combinées à du calcul mental et boivent du p’tit lait en guise de vodka-red bull, tu parles de post-rebelles, yeaaah, de vrais glandeurs XXL !

Mais le film ne serait que cela, une pochade de potaches, il serait sympa tout au plus. En fait, en y regardant de plus près, il est plutôt malsain (comme vicié de l’intérieur, n’avançant pas vraiment, une sorte de steak juteux et avarié à la fois), ce qui est assez rare dans le registre de la comédie hexagonale. Excusez du peu, ce film-hamburger, à l’esthétique bif(high)teck ou rétro-techno, mixe en 80 minutes seulement massacre collectif, internement psychiatrique, abandon familial, crise d’identité, rejet amical, chirurgie esthétique de barbares (visage tiré à l’agrafeuse, encore plus fort que Brazil  !), mutilation, passage à tabac : la totale, quoi !

En outre, ce Steak, tour à tour rouge ou bleu (photo travaillée à la Twin Peaks ), se la joue aussi tartare - il dresse le portrait condensé et cru d’une société outrageusement américanisée, avec un culte de l’image-blason qui fait l’identité, via une satire habile sur les dérives de la chirurgie esthétique d’apparat. Nous, êtres humains, serions des steaks (il faut bien trouver un rapport entre le titre du film et l’histoire narrée !) ou plutôt des visages viandés par excès d’images Canada Dry. On pense alors au visage-patchwork in progress de Michael Jackson/Bambi/Jacko (d’ailleurs, Ramzy en Chivers ou en momie - le visage bandé façon l’Homme invisible - fait penser, en creux, au Michael de Beat it & consorts) et, surtout, à une certaine culture électro, celle de Mr.Oizo and Co justement, où l’on conçoit le masque comme la meilleure alternative possible, face aux célébrités factices qui veulent être connues pour être connues, pour préserver l’anonymat, et donc le mystère, l’imagination. Aujourd’hui, tout est montré, expliqué... jusqu’à la gerbe.

Alors oui, je crois que ce Steak, au fond, vient chasser dans le même terrain de je(u) qu’Electroma, le film-trip(es) barré des Daft Punk, avançant définitivement masqués, où l’on voit dans le désert californien, après une station à Robot Town et à son mystérieux laboratoire de chirurgie esthétique, deux robots mélancoliques cherchant à devenir des hommes en essayant des masques humanoïdes (des steaks qui fondent au soleil), mais qui, in fine, après avoir tenté vainement de se faire greffer des visages humains, s’enfoncent alors, avec leur voiture noire immatriculée Human, dans la Death Valley, pour se faire sauter la caisse à fusibles. Bref, Human after all, plus humain que machine (ou image formatée) après tout, c’est ce que nous dit aussi ce film comique d’anticipation (un nouveau genre est né ?!) d’Eric et Ramzy, à point entre le Steak-Freaks et le Steak-Frites, alors certes c’est pas le pavé (dans la mare) extra-faim du siècle, mais c’est pas non plus, me semble-t-il, un simple morceau de bidoche - voire une daube ! - à snober, tout juste bon à accrocher à un crochet de boucher.

Alors, à vous tous, prenez rapido votre pied : Bottine !

 


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