Ils sont décidément scotchés. Leur arrogance n’est comparable qu’à leur incompétence. Ils parlent avec suffisance de tout et de rien, à la vitesse de la télévision, baladés d’un plateau à l’autre, ne voient rien venir, imbus de certitudes. Ont-ils encore des sens propres, des outils pour sentir, flairer le beau, l’innovent, le complexe ? Je voyais le « philosophe » Ferry, ex ministre de l’éducation, déclarer pompeusement avec un sourire satisfait (de lui même) que David Hockney, peintre annonciateur s’il en est, avait atteint la sénilité, puisqu’il peignait désormais sur un i-pad. Je sortais justement de cette exposition à la fondation Berger, submergé par le savoir faire de ce grand monsieur ludique, qui, malgré son âge, il a su domestiquer, par le travail et la fantaisie, cet outil complexe. Je suis resté pendant un quart d’heure à observer ses doigts experts mais marqués par le temps, caresser la surface plate du i-pad et lui donner volume, consistance, profondeur. Soudainement, le style sublime Hockney apparaissait, si spécifique, fait d’une précision déstabilisée par des détails d’une liberté exquise. Je ne suis pas un adepte des nouvelles technologies, je me débrouille très mal en informatique, mais je sais reconnaître le beau et l’innovant. Et ce que j’ai vu, n’a rien à désirer au volume inlassablement superposé d’un tableau, Hockney a su apprivoiser à son style, à sa manière un support qui a tout pour m’effrayer. Une fenêtre, des grues et la tour Eifel au loin, fleurs magnifiques et plantureuses, regard amusé, ombres et détails d’une palette électronique, je n’avais qu’une crainte, que ce tableau disparaisse. L’homme des piscines, de la volupté, des corps, des chaises de Gauguin et de Van Gogh, était là. Il maîtrisait le 21e siècle, enfantin et expert à la fois. De ces peintures, d’une désinvolture organisée et sensuelle, on aurait cru l’œuvre d’un jeune homme, sage et révolté à la fois.
Au lieu de lancer des apophtegmes narquois, l’ex ministre aurait du prendre la peine de visiter cette expo. Et proposer à son compère de l’éducation nationale d’y envoyer les lycéens qui font de l’i-pad un vulgaire outil de jeux et de textos séniles. Mais sans doute est-il trop occupé à se promener sur les plateaux télé pour affirmer qu’il est « plutôt » avec le gouvernement actuel, à vrai dire fait à son image : prendre le meilleur et en faire le pire.
La culture, la vraie, celle faite de sens et d’entendement, d’intériorisation de l’essentiel, de labeur, ne se domestique pas. Et il y aura toujours un peintre, un poète, un déviant pour rappeler à ces ignares qui confisquent quotidiennement le discours sur l’art, qu’ils ne valent pas un simple geste d’un Pollock, ou d’un David Hockney, un seul mot d’Eluard.
Même s’ils passent leur temps à les citer.
Le ministre vient d’écrire un bouquin (très bien fait, soyons justes) sur la mythologie grecque. Qu’il s’attarde donc un peu sur le mythe d’Araignée, celle qui se vanta d’être meilleure dentellière que son maître Athéna et que la déesse transforma pour son hubris en la bête que nous connaissons tous. A force de certitudes, il se réveillera un jour, à l’instar de Gregor Samsa, sous la forme d’un ver de terre, ange exterminateur d’un gouvernement dont « il est plutôt pour »…