Le livre va-t-il disparaître ?
par Argoul
jeudi 14 juin 2007
Deux attitudes coexistent sur l’avenir du livre : l’anglo-saxonne et la française - comme d’habitude.
La seconde est pessimiste, conservatrice. L’écran roi va tout détruire, comme Attila. Avec la brutalité de l’ignorance et l’énergie de la barbarie. Promoteur du « moi je », il sera médiatique plus que médiateur. N’existant que dans l’instant, il sera émotionnel et sans distance. Exit la réflexion de la réflexion pensée et du mot écrit, objectivés par un livre qui dure. Tout dans le scoop et les paillettes. Le livre est mort, de profundis.
Nul besoin de dire que des deux, aucune ne me semble satisfaisante. La caricature est trop « à la française », poussant aux extrêmes des tendances qui se contrastent et se contredisent dans chaque courant. Les Français lisent encore, les femmes surtout, et la classe moyenne plébiscite les bibliothèques ; les éditeurs font la course à qui publiera le plus, près de 50 000 livres chaque année en France. La question est de savoir quels sont ces livres publiés, demandés, lus. A produire très vite, on produit n’importe quoi et mal écrit, les tirages baissent et seulement 2 500 auteurs peuvent vivre de leur stylo, tous domaines confondus. L’astrologie et la psycho de bazar se vendent mieux que l’essai philosophique ou la littérature - mesurez les rayons relatifs des « grandes librairies ». Mais il reste quelques exceptions, tel cet étrange succès d’un premier roman écrit en français par un étranger et au titre peu vendeur : « Les Bienveillantes » de Jonathan Littell.
Toute autre est la lecture par devoir, celle de textes utilitaires, de la seule actualité, ou de manuels techniques. On s’y réfère, mais on court vers l’édition la plus récente. Là, le numérique remplacera le livre utilement. A condition d’oublier cette religion hippie du tout gratuit pour tous qui a deux inconvénients : 1/ la fiction de croire qu’un bon auteur va passer plusieurs années de sa vie à composer un manuel exhaustif pour la beauté du geste, au lieu de se vautrer comme les autres dans le divertissement, 2/ la fiction de croire que le gratuit est réellement gratuit, alors que tant de bandeaux publicitaires et de captations d’adresses passent par l’interrogation des moteurs.
Alors, le livre va-t-il disparaître ? L’actualité, la mode, le mal écrit et le people, probablement - soit 95 % de la production annuelle peut-être. Mais la qualité restera - comme toujours, comme partout. Des lecteurs continueront à s’intéresser à Louis XVI dont la biographie de l’historien Petitfils rencontre un grand succès cette année, ou même à la littérature dont le Dictionnaire égoïste de Charles Dantzig plaît beaucoup. Malgré le trollisme ambiant, ce qui est bien pensé, bien bâti et bien présenté demeurera la référence. Et on lira encore des livres.