Le Mans, ville fortifiée romaine
par Fergus
lundi 6 janvier 2014
Peu de gens le savent, Le Mans a conservé un superbe rempart antique, témoin de l’époque gallo-romaine, lorsque la ville se nommait Vindunum. Ce rempart, édifié sous Dioclétien, constitue l’un des plus beaux exemples de l’architecture défensive des Romains et l’un des fleurons méconnus de notre patrimoine...
Lorsqu’ils évoquent les traces laissées par les Romains sur notre territoire, la plupart de nos compatriotes citent spontanément des villes ou localités caractérisées par la présence de vestiges importants et, pour certains, spectaculaires : Arles, Autun, Lyon, Nîmes, Orange, Paris, Remoulins (pont du Gard), Saint-Rémy-de-Provence ou Vaison-la-Romaine. Mais jamais ou presque Le Mans, beaucoup plus connue de nos concitoyens pour ses mythiques « 24 heures » automobiles ou ses savoureuses rillettes que pour son patrimoine architectural. Il est vrai que la ville, située en bordure de l’autoroute A11, n’est pas aussi visitée qu’elle le mériterait malgré un important héritage culturel et historique.
Trop près de Paris, dont on s’éloigne rapidement sur la route des vacances, et implantée de surcroît au cœur d’une région charmante mais sans grand caractère, Le Mans mérite pourtant que l’on y fasse étape comme l’y invite le label mérité de « Ville d’Art et d’Histoire » et peut-être, dans un avenir proche, une inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco. L’occasion de découvrir, au long des ruelles pavées ou sur les places de la vieille « cité Plantagenêt », des siècles d’histoire dont les témoins – la cathédrale Saint-Julien, les hôtels particuliers de la Renaissance, la centaine de maisons médiévales à colombages – forment un remarquable et séduisant ensemble.
Quels que soient les attraits de la cathédrale et des monuments classés juchés sur les hauteurs de la vieille ville, ce ne sont pourtant pas ces superbes fleurons du patrimoine sarthois qui frappent l’imagination des visiteurs, mais les vestiges du rempart romain. Un rempart construit aux alentours de l’an 300 pour ceinturer complètement les 9 ha de l’oppidum afin de protéger la capitale des Cénomans, devenue une importante cité de la IIe Lyonnaise, des invasions barbares dont le nombre s’était accru lors de la seconde moitié du 3e siècle. En trois décennies, grosso modo de 280 à 310 après JC, c’est une enceinte de 1300 mètres de périmètre, flanquée d’au moins 27 tours, qui a été élevée par les bâtisseurs romains afin de sécuriser non seulement les lieux de commandement et d’administration, mais aussi les commerces et les habitations des notables.
18 siècles plus tard, la totalité des ouvrages bas de l’enceinte romaine est encore visible en sous-sol (du moins aux personnes ayant autorité pour y accéder), mais une grande partie du rempart a disparu, victime des évolutions de l’urbanisme et de l’habitat. Le secteur sauvegardé n’en est pas moins spectaculaire, particulièrement depuis que des travaux de destruction des constructions parasites adossées au fil du temps à ces remparts ont permis de les remettre en lumière dans les années 80. Avec 500 mètres de murailles, 12 tours, 1 porte et 3 poternes, la ville du Mans peut même s’enorgueillir de posséder les plus importants vestiges de remparts de l’Empire romain après la cité fondatrice, Rome, et la lointaine Byzance, sans oublier la méconnue ville galicienne de Lugo en Espagne. Mais si les murs de Lugo sont spectaculaires par leur périmètre (environ 2200 mètres), nulle part ils n’offrent à la vue les ornementations des remparts de la vieille cité sarthoise, bien que les ouvrages aient été édifiés à peu près à la même époque.
L’enceinte du Mans est en effet l’une des plus belles qui se puisse admirer. Construite sur un modèle typique de l’architecture défensive romaine, elle présente, sur un soubassement fait de gros moellons assez largement récupérés de constructions plus anciennes, une couleur rouge principalement due à l’emploi du « roussard ». Très commun dans la région, le roussard* est un grès contenant une importante proportion d’oxyde de fer qui lui donne sa couleur rouge ; ici et là, la présence d’oxyde de manganèse lui donne même une teinte plus foncée pouvant tirer vers le noir, une particularité très utile pour diversifier les ornements.
Le rempart du Mans n’est toutefois pas constitué du seul roussard : ont également été employés dans l’appareillage de la muraille du calcaire crayeux et des briques afin de permettre la création des motifs ornementaux. Des motifs en l’occurrence agencés en niveaux superposés, chacun d’entre eux comportant trois rangs de briques et cinq rangs de moellons en calcaire ou roussard assemblés par du mortier rose, ici en cercles, là en chevrons, ailleurs en losanges ou en forme de chaîne. Le résultat est spectaculaire et fait du rempart de la vieille ville du Mans une véritable œuvre d’art que les travaux de déblaiement des abords ont permis de mettre en valeur pour le plus grand plaisir des visiteurs, qu’ils soient ou non des férus d’histoire antique.
Outre le superbe rempart gallo-romain, les nombreux monuments de la vieille Cité Plantagenêt ne peuvent manquer de séduire les visiteurs. De jour, mais aussi en soirée lorsque, la nuit tombée, les pavés prennent du relief à la lueur des réverbères ; il suffit alors de se laisser porter par son inspiration au fil des rues... Cerise sur le gâteau, Le Mans est une ville où l’on peut trouver d’excellentes tables. Ce n’est pas le plus important, et comme nous l’a enseigné Molière, « il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger », mais rien de tel que le plaisir de la table après le plaisir des yeux. Après tout, on ne vit qu’une fois !
* Utilisé dès l’époque gallo-romaine dans la Sarthe, d’une part pour extraire le minerai de fer, d’autre part pour la construction, le roussard n’est plus exploité de nos jours.