Le marteau américain du prog frappe fort avec Glass Hammer

par Bernard Dugué
jeudi 15 novembre 2012

Le rock progressif est loin d’être épuisé comme le montre la production actuelle disséminée sur quatre continents. Eh oui, on fait du progressif au Japon, certainement en Chine, en Australie, en Argentine, dans toute l’Europe jusqu’à la Russie et même en Ouzbékistan. Si les Etats-Unis ne constituent pas une grande nation du prog, on y trouve néanmoins quelques groupes excellents capables de se hisser au niveau des meilleures formations européennes. C’est le cas avec Glass Hammer, un groupe dont vous n’entendrez jamais parler si vous êtes abonné au Inrocks car il se positionne dans l’héritage de Yes, l’un des trois géants mythiques du prog seventies avec Genesis et Crimson. Et Yes est justement le groupe que détestent les Inrocks. Ce que l’on peut comprendre, car cette musique prend la tête et ne peut pas s’écouter dans un bar lounge fréquenté par les quinquas bobos après une dure journée de labeur.

Glass Hammer fait partie des formations de prog issues de la troisième génération, celle du renouveau amorcé au milieu des années 1990 après la parenthèse fruste du néo-prog des eighties largement submergé par la vague cold des Cure et autres Killing Joke. Parmi les formations nées autour de 1995, beaucoup sont encore en état de marche et continuent de tourner et composer. C’est le cas de Opeth, Porcupine Tree, Arena mais aussi de Glass Hammer qui vient de sortir fin octobre un treizième album. Cette formation a connu des line-up évolutives et comme dans la plupart des groupes de rock, progressifs ou non, une ou deux personnalités se démarquent, constituant l’ossature et la signature des oeuvres. Glass Hammer évolue depuis 1993 autour de deux multi-instrumentistes, Steve Babb, spécialisé dans la basse et Fred Schendel officiant principalement aux claviers mais capable d’exécuter des parties de guitare ou de percussion. Après des débuts contrastés Glass Hammer offre depuis plus de dix ans un rock symphonique abouti de très belle facture et même si l’influence de Yes se fait sentir, notamment sur l’album Culture of ascent, on ne peut pas considérer qu’il s’agit d’une copie. Et si influence il y a, elle relève plus du Yes dernière mouture que du Yes « prétendument pompeux » de l’ère Close to the edge. Aussi étrange que cela puisse paraître, cette formation évolue au Tennessee, état américain plus connu pour ses chanteurs de blues et de folk. En fait, ils ne sont pas originaires de Nashville ou Memphis mais de Chattanooga, ville moyenne (comparable à Angers) dont l’activité culturelle est très développée, tout comme son campus universitaire. L’imaginaire des musiciens se situe dans la littérature fantastique, mais aussi dans la poésie victorienne et les mythes médiévaux, genres littéraires appréciés par Babb qui y trouve matière pour écrire les textes.

Le dernier CD intitulé Perilous ne déçoit pas et l’on comprend pourquoi puisqu’il est exécuté par une line-up ayant fait ses preuves, associant au noyau central le guitariste Alan Shikoh et surtout le chanteur Jon Davison qui cette année, vient d’être recruté devinez par qui, Yes en personne, ce qui n’étonne guère tant Davison vocalise avec des intonations proches de celles pratiquées par Jon Anderson. Déjà trois albums à l’actif de cette dernière formation du très symphonique et inventif Glass Hammer dont les deux précédents albums, If et Cor cordium, ont reçut un excellent accueil de la critique, notamment pour le style assez majestueux et enveloppant avec des claviers somptueux et des compositions longues et surprenantes. Perilous est un peu différent dans la mesure où il est construit comme un concept album offrant une longue suite musicale déclinée en 13 morceaux dont la durée oscille entre 2 et 8 minutes. Une pièce musicale géante, ainsi que l’énonce la notice fournie avec le CD, précisant l’intention épique de cette suite racontant une « journée périlleuse ». Quant à l’intention esthétique, elle est incontestable. Aux percussions, Randall William complète avec précision la partie rythmique. Le quintet de musiciens est de plus agrémenté par un trio à corde, ainsi que deux ensembles vocaux avec notamment un chœur latinisant. Bref, du rock décliné comme de la « grande musique ».

A l’écoute, le résultat est surprenant tant ces séquences ressemblent à des petites pièces d’art musical contemporain dont la production très soignée offre l’impression d’une sorte de sculpture faite dans du matériau musical, avec des instruments clairement identifiables (je dis ça avec une pointe d’ironie en pensant à l’impression de brouillard sonore qu’on ressentait en écoutant le Yes des seventies). Une basse omniprésente et claquante, y compris dans ses intermittences placées entre deux séquences dynamiques pour laisser les effluves d’orgues peindre des tableaux successifs avec des sonorités très symphoniques. Il faut se méfier d’une écoute distraite laissant penser qu’on a affaire à une succession de chansons. Même si les parties mélodiques sont nombreuses, les fantaisies et les ruptures ne cessent de se succéder. Avec un tempo tantôt planant et symphonique, tantôt saccadé et rappelant en certaines occasions le style déjanté mais parfaitement maîtrisé des premiers albums de Gentle Giant. Il se dégage par ailleurs une douce atmosphère de gaîté et d’optimisme et l’on se rappelle les effluves sonores et symphoniques d’une autre grosse pointure du prog américain, Happy the man. Au final, ce disque est une réussite d’autant plus que Glass Hammer a su se renouveler en proposant des pièces raffinées et intimistes, différentes des longues pièces symphoniques et extraverties qu’on trouve dans If. A noter l’exécution des parties de riff à l’orgue, ce qui confère une teinte supplémentaire, baroque dans l’âme. On ne trouvera donc point de démonstrations ostentatoires de guitare comme dans un album de Symphony X. Et c’est pour cette raison que j’apprécie ce côté reposant et pénétré de sérénité qu’on ressent à l’écoute de Perilous, un disque divinement inspiré. Et qui mérite de figurer dans la discothèque de tout amateur de sensations musicales progressives.

En conclusion, on peut placer Glass Hammer parmi la dizaine de formations progressives les plus prolifiques et originales des années 2000 et 2010. Perilous, c’est pratiquement du Yes contemporain jouée aussi bien que Yes et bien plus exotiques et raffiné. Sans doute leur meilleur album depuis le sublime Lex rex paru en 2002. Le test imparable pour situer les meilleurs albums du prog, c’est le passage en boucle. Si à chaque fois vous avez le sentiment de découvrir quelque chose qui vous avait échappé lors des précédentes écoutes, alors c’est le signe d’un grand art musical et justement, Perilous entre dans cette catégorie. Et donc une perle, qui devrait être bientôt disponible dans les bacs et comme les fêtes approchent, alors vous pourrez offrir un bel album à un de vos proches qui sait apprécier la musique authentique.


Lire l'article complet, et les commentaires